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By Jean Fauxbert
Écouter François Dethier parler de la bière qu’il vient de créer avec son compère Renaud Pirotte est un régal ! Et leur produit aussi, à en croire les premiers veinards qui ont déjà eu la chance de goûter la « Curtius », en production depuis ce mois de septembre… rue de la Brasserie. Ça ne s’invente pas !
L’atavisme industriel côté liégeois, décidément, on sait ce que c’est ! Rappelez-vous les aventures de Krugger, ce constructeur de motos – champion du monde de sa catégorie ! – qui a repris le flambeau des ingénieurs de la « F.N. », « Gillet » ou « Sarolea »*. Rappelezvous également le défi que relève Yves Toussaint et son équipe, en construisant une nouvelle « Imperia »**, solide roadster au moteur hybride qui signifie le retour sur la scène mondiale de la marque qui a remporté le premier Grand Prix de Spa, en 1922… Et voici aujourd’hui les « héritiers » de Jean- Théodore Piedboeuf, fondateur de la brasserie éponyme en 1853 et devenue aujourd’hui INBEV, premier groupe brassicole mondial ! Ils s’appellent Renaud Pirotte (23 ans) et François Dethier (25 ans) et ils se sont lancés dans la production de la Curtius.
* WAW Wallonie Magazine n° 14
** WAW Wallonie Magazine n° 15
Le goût de l’amitié
Belle histoire… Celle d’un jeune homme, né à Achouffe et qui, à l’instar d’Obélix et la potion magique, est un peu « tombé dedans quand il était petit ». « Renaud a suivi de près la belle aventure de la “Chouffe”, explique son compère François Dethier, puisqu’il habitait juste à côté de la brasserie. Cela lui a donné à la fois le goût de ce délicieux produit, bien sûr, mais aussi l’envie d’aller plus loin, de connaître sa fabrication et, pourquoi pas, de créer une bière. »
Cette passion est très largement partagée par François Dethier, originaire pour sa part de Verviers. Elle ne fera que croître au fil de leurs études communes à l’Institut Provincial d’Enseignement Agronomique, à La Reid. « Nous y avons suivi non seulement des cours nous permettant de connaître les produits constitutifs de la bière – et la manière de les utiliser, poursuit le jeune entrepreneur, mais aussi des cours de gestion et de management ! Qui plus est, nous avons même eu la possibilité d’étudier en théorie la création d’une microbrasserie… » Inutile de dire qu’avec un bagage pareil, le houblon était dans le verre comme le ver… dans le fruit !
Une fois les études terminées, Renaud et François se lancent dans l’aventure, certes, mais pas à l’aventure. « On a d’abord tenté de cerner les caractéristiques que l’on voulait donner à notre produit, précise François. On a abouti, après différents essais, à une bière blonde, une “triple” comme on dit, avec la richesse du froment ajouté à l’orge et au houblon et qui lui donne un peu la douceur d’une bière blanche. L’amertume est donc tempérée. Ce qui fait de la Curtius une bière de dégustation, riche en saveurs fleuries, légèrement fruitée… » On croirait un oenologue qui parle d’un Château Cheval Blanc 1990, non ?
Soutiens financiers différenciés
Une étude de marché ayant confirmé les intuitions des deux amis de l’existence d’une demande pour un tel produit, restait le « nerf de la guerre »… et l’utilisation des différents types d’outils de soutien économique disponibles pour toute jeune entreprise wallonne.
« La bonne idée, on pensait qu’on l’avait ! La compétence aussi tout comme le produit qui allait plaire et auquel on croyait – et on le croit de plus en plus, poursuit François. Restait à faire connaître la Curtius et à trouver le financement de sa fabrication. Et l’on a eu droit à un chouette coup d’accélérateur ! » Ce coup de pouce s’appelle « Starter », cette émission de la RTBF qui a pour but de soutenir de nouvelles initiatives entrepreneuriales, et que nos deux lascars vont remporter en avril dernier. « La banque Belfius était l’un des partenaires de l’émission. Ils nous ont donc proposé de nous soutenir, dans le cadre de l’accord de garantie qui leur est fournie par le Fonds européen d’investissement. Nous sommes donc intégrés dans le programme qui vise à faciliter l’accès des starters au financement et, parallèlement, nous avons également pu bénéficier du soutien de l’Agence de Stimulation Economique de la Région wallonne (A.S.E.) qui nous a accordé une bourse pour acheter notre matériel. »
Restait donc à trouver un site de fabrication. « On voulait tous les deux que ce soit à Liège, assène François. C’est la ville de la bière, d’abord, et puis on avait appelé notre produit du nom d’un personnage célèbre de Liège : Curtius qui fut un très grand industriel et qui, sous le régime espagnol, a fait rayonner les industries et le savoir-faire liégeois dans toute l’Europe ! Nous avons alors repéré un bâtiment industriel vide qui appartient à la Société Provinciale d’Industrialisation (S.P.I.) et qui est situé… rue de la Brasserie… Vous imaginez bien, sourit le jeune industriel, on n’a pas beaucoup hésité ! »
C’est donc de ce cadre idéalement situé par rapport au premier public visé que sortiront dès ce mois de septembre les premiers fûts et les premières bouteilles. Elles seront bouchonnées, car il s’agit d’un produit sinon de luxe, du moins de dégustation, mais son design ne ressemble à aucun autre… Et, là encore, l’amitié a pris le quart, comme dit Brassens. « Un ami designer nous a aidés à trouver un style un peu à contre-pied de la tendance actuelle, faite de beaucoup de couleurs et de fioritures. On voulait un style épuré et sobre, donnant sur une certaine élégance. La forme de la bouteille respecte cette philosophie, afin que le consommateur déguste la Curtius comme on déguste un bon champagne ! »
Un accueil prometteur
Dans l’attente de la mise en production sur site propre, la présentation au public s’est faite cet été lors de différentes fêtes locales, mais sur tout à Liège, berceau de la « Curtius » : « Oui, confirme François, on a vraiment envie que les Liégeois puissent se reconnaître dans notre bière, et l’intégrer dans leur “patrimoine”. Ce sera notre “premier cercle”. Nous irons ensuite vers d’autres marchés. Du reste, nous avons d’ores et déjà un carnet de commandes intéressant, puisque même de grandes enseignes nous ont contactés… Mais nous ne voulons pas brûler les étapes et y aller pas à pas ».
Une philosophie qui fait partie depuis le début du parcours des deux amis. D’ailleurs, lorsqu’on souhaite parler à Renaud (Pirotte) : « Il est au boulot, regrette François. Je suis pour l’instant le seul membre de notre nouvelle société. Renaud a conservé son travail pour l’instant ; il me rejoindra dès que possible… »
Cet été, plus de 3 000 litres, brassés dans une brasserie partenaire du projet, auront permis à la Curtius de se faire connaître à Liège comme ailleurs. « Nous comptons brasser environ 500 hectolitres durant cette première année de fonctionnement, conclut François Dethier. Après quoi nous envisagerons de conforter la position que nous aurons éventuellement acquise sur le marché, corriger ce qui devra l’être. Et puis… Augmenter la cadence.» (sourires !)… Et puis, ce que François ne dit pas trop haut, c’est aussi d’envisager d’autres produits pour composer une gamme. Sûr, avec ces deux gaillards, la réputation des bières liégeoises n’est pas près de s’éteindre ! Jean-Théodore Piedboeuf peut être fier de ses jeunes « héritiers »… Et, comme on dit aujourd’hui dans les maisons de bouche : « Excellente dégustation ! ». Avec modération, cela va sans dire, mais c’est mieux en le disant quand même !
Renseignements
La Curtius
Rue de la Brasserie, 8
B-4000 Liège
www.lacurtius.com