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Un fleuron wallon qui défie les âges

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Wallonie

Par Christian Sonon

S'il n’y avait pas eu la pierre – ou plus précisément la roche – pour l’abriter dans les moments difficiles, l’homme préhistorique n’aurait sans doute pas fait de vieux os. En Belgique, elle est née il y a quelque 350 millions d’années et sa garderobe, dans nos sous-sols, peut s’enorgueillir d’une quinzaine d’habits, de confortables vêtements de voyage, comme le porphyre aux somptueuses parures de bal, comme le marbre et le petit granit, en passant par le grès, le schiste, le calcaire carbonifère… On la trouve principalement dans la vallée de la Meuse et les régions de Tournai, Écaussinnes, Soignies, Philippeville, Jodoigne, Spontin, Sprimont, Saint-Hubert, Malmédy et Vielsalm. Avec l’eau et le bois, elle est une richesse naturelle de la Wallonie et la compagne silencieuse de l’homme. Cependant, si elle pouvait parler, elle nous émerveillerait pendant mille et une nuits. Les « anciennes » raconteraient le long cheminement, sur les routes de Wallonie et des Pays-Bas, des pavés de porphyre provenant de Lessines et Quenast, ainsi que l’édification de la Grand-Place de Bruxelles en pierres de Gobertange, du Palais des Princes-Évêques à Liège en pierres bleues, de la Cathédrale de Tournai en pierres de… Tournai ou du Palais de Versailles en marbre de Rance. Les « jeunettes » se pâmeraient en narrant le mariage du calcaire de Vinalmont et du marbre de Carrare au Théâtre des Abbesses à Paris. Elles nous vanteraient également l’odyssée du marbre rouge de Philippeville au Parliament House de Camberra, ainsi que l’ascension fulgurante du noir de Golzinne jusqu’au World Trade Center de Shanghai. Sans oublier, glisseront les plus instruites, la belle aventure du coticule de Vielsalm qui, tout modeste qu’il soit, parvint à tracer sa route à travers l’Europe. Il faut reconnaître que la pierre abrasive avait des arguments tranchants !

Pourtant, si elle a su sauter sur le train de la modernisation au XIXe siècle, si elle a survécu à la crise qui frappa les industries minières et sidérurgiques au XXe siècle, si elle a profité de la modernisation des voies de communication pour s’en aller la fleur au fusil conquérir le monde, si elle continue à défier le temps sans prendre une ride, bref, si elle se porte et s’exporte très bien, tout ne fut cependant pas rose dans le quotidien de la pierre wallonne. Son « passage à vide » se situe à l’époque de la Seconde Guerre mondiale. À l’aube de celle-ci, l’industrie de la pierre avait encore bonne mine, puisqu’elle occupait 25 000 ouvriers carriers et comptait quelque 800 sites d’extraction.

« La Belgique dominait alors le marché avec l’Italie, où le savoir-faire remonte à l’Antiquité, voire plus tôt encore si l’on fait référence au marbre blanc de Carrare qui était déjà utilisé par les Romains, explique Francis Tourneur, docteur en géologie. Mais, au milieu du XXe siècle, s’est amorcée une longue période de désaffectation à l’égard de la plupart des matériaux naturels. Suite à l’abandon des pavages des voiries et à la montée en puissance, dans la construction, du béton, du métal et du verre, de nombreux sièges d’extraction durent fermer et l’emploi chuta de façon vertigineuse. À la fin des années 1970, le secteur fut réduit à quelques dizaines d’entreprises et la pierre entachée d’une image passéiste lourde à porter. »

« Pierres et marbres de Wallonie »

Les responsables politiques, heureusement, ne restèrent pas de marbre. En rendant les régions responsables de la gestion de leurs ressources naturelles, le remodelage de la Belgique a permis aux autorités publiques régionales de se porter au secours du secteur. Plusieurs actions de redressement furent ainsi entreprises.

« Ce fut d’abord, en 1985, la publication d’un beau livre, Pierres et marbres de Wallonie, qui fut conçu comme un ouvrage de synthèse sur les matériaux et leurs applications et qui est devenu un véritable ouvrage de référence en la matière. Ensuite, afin de promouvoir la pierre ornementale, il fallait une vitrine, un salon. Ce fut Techni-Pierre, créé en 1988 par la Foire internationale de Liège, à l’instigation des maîtres carriers et avec le soutien de la Région wallonne. Celle-ci encouragea alors les producteurs à participer aux foires les plus prestigieuses, dont Stone- Tec à Nuremberg, Bouwbeurs à Utrecht et Marmomacc à Vérone. Puis, en 1990, ce fut la création de Pierres et marbres de Wallonie, dont je suis le secrétaire général et que je gère avec l’aide de Nicole Carpentier, géologue également. Le but premier de l’asbl, qui est également soutenue par l’AWEX, est de promouvoir la pierre et de défendre l’intérêt des producteurs et des matériaux. Nos membres sont les carrières de pierres ornementales wallonnes les plus significatives. Et nos activités prioritaires sont la publication de livres et brochures, et la participation aux foires et salons. »

Des efforts que les maîtres carriers ne se contentèrent pas d’observer tels des chiens de faïence. Le secteur se lança dans la modernisation de ses outils au prix de lourds investissements financiers, il mit au point de nouveaux produits pour ranimer l’image de la pierre et entreprit de relancer les filières de formation. En même temps, on assista à un renouveau de l’architecture inscrite dans les valeurs de terroir. Les maçonneries en moellons traditionnels firent leur joyeux retour autour des chaumières et le chiffre d’affaires du secteur doubla en dix ans, entraînant avec lui une croissance de l’emploi de l’ordre de 25 %. Aujourd’hui, même si elle n’occupe plus que la 12e ou la 13e place sur l’échiquier mondial – où les pays asiatiques (Chine, Inde…) sont en train de damer le pion aux pays méditerranéens –, l’industrie de la pierre en Belgique a retrouvé des couleurs. En 2012, sa production annuelle était de 70 millions de tonnes et le secteur occupait près de 4000 personnes.

LE LUXE D'ÊTRE WALLON
Par Francis Tourneur
« Le luxe d’être wallon, c’est d’être né et de vivre dans une région privilégiée ! Privilégiée par la nature, qui l’a dotée de richesses quasi inépuisables et de paysage d’une grande variété. Privilégiée par une histoire, certes parfois un peu tourmentée, mais qui explique les courants d’influences si diverses qui l’ont traversée et enrichie. Privilégiée par un peuple d’une grande inventivité et d’une forte envie d’entreprendre. Privilégiée par la grande liberté d’esprit et d’action qui continue à y régner. C’est tout ce qui fait que nous, Wallons, restons riches... même au coeur de la crise ! »


Une concurrence effrénée venue d’Asie

Mais l’euphorie doit s’effacer devant la vigilance, car il convient de tout mettre en oeuvre pour préserver l’exceptionnelle diversité de nos matériaux pierreux et de ses gammes d’utilisation. Le secteur est en effet plus que jamais confronté à une forte concurrence des pierres étrangères, comme en témoignent les parts de marché grandissantes des pierres bleues d’Irlande et d’Asie, dont celles en provenance du Vietnam et de la Chine. Les causes principales sont les conditions salariales, la protection du travail et la couverture sociale qui diffèrent selon les pays. Face à cette concurrence, et donc ce défi économique, nos pierres naturelles ont heureusement un argument de taille à faire valoir. À l’heure où les notions de développement durable et d’écologie sont gravées dans tous les manuels et cahiers des charges, leur haute qualité environnementale est un atout qui vaut son pesant dans la balance. En effet, grâce à la proximité des chantiers, les étapes entre son extraction et sa mise en application sont brèves et peu « polluantes », c’est-à-dire qu’elles consomment globalement peu d’énergie et entraînent peu de rejets nuisibles à l’environnement.

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