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Par Christian Sonon
La recherche spatiale liégeoise ? Elle a démarré à l’Institut d’astrophysique de l’Université de Liège dont les bâtiments étaient situés sur une colline de Cointe, dans un parc privé qui abrite également un observatoire construit en 1881. Le Centre spatial de Liège, qui en est une émanation, a démarré ses activités dans les années 1960, lorsque l’Europe s’est décidée à entrer à son tour dans la course à la conquête spatiale déjà bien lancée par l’ex-URSS (avec Spoutnik) et les Etats-Unis (Apollo).
Une des premières missions auxquelles il participa fut l’observation des aurores polaires, phénomène encore mystérieux à l’époque. Un témoin de cette aventure – le mot avait déjà tout son sens, la fusée-sonde française Centaure dont les instruments embarqués ont été fabriqués de toutes pièces dans des ateliers de Cointe, trône d’ailleurs dans le hall d’entrée du CSL. « Elle a été lancée depuis la base de Kiruna, dans le nord de la Suède, avec pour mission d’observer les aurores et de prendre des photos », explique Nicolas Grevesse, astrophysicien retraité que la passion rend intarissable lorsqu’il fait visiter les lieux. « À l’époque, il n’y avait pas d’informatique. Les photos étaient prises avec un appareil avec des films 24x36. La fusée redescendait avec son parachute, on récupérait les films et l’on s’empressait de les faire développer. »
Planck et Herschel testés à Liège
Véritable petit musée qui retrace brièvement l’histoire de la recherche spatiale européenne, le hall d’accueil du CSL met également en lumière la participation du centre liégeois aux différents projets. Ici, c’est la sonde Giotto qui a photographié pour la première fois le noyau d’une comète, en l’occurrence celui de la comète de Halley, de passage en 1986. Là, c’est le télescope spatial Hubble qui fut lancé en 1990 par la navette Discovery et qui est toujours en service. Plus loin, le satellite SoHO, toujours en activité également, qui fut mis sur orbite en 1995 afin d’observer le rayonnement de l’astre dans l’ultraviolet. Et, côte à côte, dans une même vitrine, les satellites Planck et Herschel, lancés en 2009 par Ariane 5 avec un objectif commun, recueillir un maximum de données sur les premières structures de l’univers.
« Le CSL a eu pour missions de tester non seulement le satellite Planck pendant près de 10 mois juste avant son lancement, mais aussi le télescope de Herschel qui, avec ses 3,5 m de diamètre, était le plus grand télescope lancé dans l’espace », explique Nicolas Grevesse. « Ces deux satellites devaient être opérationnels sous des températures très basses, proches du zéro absolu, soit -273,15°. Mais si Planck a pu être testé dans une cuve existante de 5 m de diamètre, Herschel a nécessité la construction d’une cuve de 6,5 m. Nous les avons accueillis tous deux dans nos salles blanches, appelées ainsi car les instruments optiques étant particulièrement sensibles à la poussière, ces salles doivent être environ 500 fois plus propres que l’intérieur d’une maison ! Et le pilotage de ces opérations s’effectue depuis des salles de commande vitrées surplombant ces chambres ».
Le chaud et le froid autour de Jupiter
Inutile de préciser que l’on n’entre pas dans celles-ci comme dans un moulin, de la farine plein les mains. Il faut être protégé des pieds à la tête. Quant aux instruments, ce n’est pas toujours contre le froid qu’il faut les parer. Ainsi, pour la mission Solar Orbiter qui s’approchera du soleil à une distance 3,5 fois moindre que celle qui le sépare de la Terre, le CSL a non seulement dû construire l’instrument EUI mais également l’entourer d’un écran thermique lui permettant de supporter une température allant jusque 80°.
« Son lancement est prévu fin 2018, explique l’astrophysicien. C’est une des premières missions du programme spatial Cosmic Vision de l’ESA qui va se poursuivre jusque 2030. Le centre spatial de Liège participera à chacune d’elles, soit pour construire, soit pour tester les instruments. Ainsi, nous testons actuellement les panneaux solaires qui équiperont une sonde qui sera lancée en 2022, dans le cadre de la mission Juice, afin d’étudier les satellites de Jupiter. Elle arrivera dans son environnement en 2030 et ses panneaux solaires seront alors soumis à d’importants écarts de température, de -230° à +110° environ. »
Aladin pour de meilleures prévisions météos
Mais l’autre satellite qui a fait l’actualité cet été au CSL et que nous avons pu voir dans une salle blanche, alors qu’il allait être mis à rude épreuve dans une cuve à vide de 5 mètres de diamètre, c’est bien sûr Aeolus qui, avec son télescope Aladin, sera placé en orbite à 320 km de la Terre avec la mission de fournir des informations très précises et instantanées sur les vents.
« Les lasers super puissants dont est muni le télescope bombarderont l’atmosphère jusqu’à 30 km d’altitude et une infime partie de la lumière ainsi envoyée (un millionième de milliardième) lui reviendra après diffusion au contact des particules de poussière présentes dans les nuages. Le temps mis pour effectuer cet aller-retour permettra de connaître leur distance et la mesure du décalage de la fréquence, par effet Doppler, déterminera la vitesse des vents. » L’objectif étant bien sûr d’améliorer les prévisions météorologiques, ce que tout le monde appréciera. Ces données seront complémentaires avec celles récoltées par les satellites polaires Metop et les satellites européens Météosats qui, eux, sont géostationnaires et permettent l’observation en continu d’une zone précise du globe. « Pour établir des prévisions, on lance encore, parce qu’ils sont moins coûteux, entre 1 200 à 1 300 ballons sondes par jour dans le monde », explique Nicolas Grevesse. « Vous imaginez le temps qu’il faut pour qu’ils montent ! Avec Aeolus, dont les informations seront transmises instantanément au centre d’analyse des observations météos européennes, ces ballons n’auront plus guère de raisons d’être. Et tout ce matériel est testé au CSL. »
ULG — DEUX MASTERS ET DES SATELLITES LIÉGEOIS. OUFTI !
Quand elle a ouvert ses portes, voici 200 ans très exactement, l’Université de Liège proposait déjà un cours d’astronomie. C’est dire que l’histoire d’amour entre la Cité ardente et l’espace ne date pas de la dernière pluie. Aujourd’hui, l’ULg s’attèle plus que jamais à former des jeunes désireux d’étudier et de mieux comprendre notre univers. C’est ainsi qu’elle propose à la fois un master en ingénieur civil en aérospatiale, destiné aux futurs ingénieurs, et un master en sciences spatiales, à l’attention des physiciens.
« L’Université de Liège est la seule institution en Belgique à proposer ces deux masters sous un même toit », explique Serge Habraken, directeur académique et scientifique. « Les deux métiers sur lesquels ils débouchent sont complémentaires. Quand l’ESA lance une mission spatiale, celle-ci est définie sur base de la science, c’est-à-dire qu’elle est confiée aux mains des astrophysiciens qui vont chercher à étudier tel phénomène et auront besoin de tel type d’instrument. Ensuite, c’est le travail des ingénieurs de traduire ces rêves, de concevoir et construire les instruments. Quand ceux-ci sont opérationnels, ils sont fournis aux astrophysiciens. Ceux-ci sont donc impliqués au départ et à l’arrivée, tandis que les ingénieurs s’occupent du chaînon manquant. »
En anglais
Proposé à l’ULg depuis une dizaine d’années seulement, le master en sciences spatiales est unique en Fédération Wallonie-Bruxelles. Il est structuré en plusieurs orientations (cosmologie, astronomie, planétologie, océanographie,…) afin de permettre aux étudiants d’acquérir des compétences pointues dans l’ensemble de ces domaines. Ces apprentissages se complètent d’une formation pratique : observations au moyen de télescopes (à Liège ou à l’étranger), traitement de données scientifiques au moyen de logiciels spécifiques et travaux en laboratoire (par exemple en optique). « Comme le master en aérospatiale, il est donné en anglais afin de permettre aux étudiants belges d’améliorer leurs connaissances dans cette langue, mais également d’ouvrir la porte aux étudiants étrangers », explique le directeur. « Il est moins suivi, entre six et sept étudiants par année, mais les jeunes qui sortent avec ce diplôme trouvent très vite du travail, généralement dans le monde académique, en tant que professeurs d’université ou chercheurs FNRS, mais aussi dans des observatoires et centres de recherche, en Belgique ou à l’étranger (ESA, NASA…). »
« L’existence d’un écosystème local capable d’embaucher est un atout pour attirer les étudiants », explique Christelle Bertrand, en faisant allusion non seulement aux entreprises implantées sur le plateau du Sart Tilman, comme Amos, Spacebel et Deltatec, mais également à d’autres telles Safran Aero Boosters et Thales Alenia Space. « Avec ces entreprises en pleine croissance, notre tissu économique a une belle réputation en Europe. Et la récente découverte des exoplanètes a valorisé le travail des chercheurs de l’ULg. C’est très positif également. »
![]() Oufti ! qu’il est petit ce satellite . |
Oufti-2 et 3
En guise de travail de fin d’études, les futurs ingénieurs ou astrophysiciens se voient proposer divers sujets, comme la rentrée dans l’atmosphère, l’étude d’orbites ou encore la conception de nanosatellites (ou CubeSats), des satellites pesant moins de 10 kilos qui permettent aujourd’hui aux universités de développer et de placer en orbite leurs propres engins spatiaux.
En Belgique francophone, on se souvient ainsi d’Oufti-1, qui fut lancé en mai 2016 et qui avait pour objectif de tester un protocole de télécommunication pour les radios amateurs. Après douze jours, malheureusement, le contact fut perdu. « Le satellite est inutilisable mais pas détruit. On perçoit en effet encore un signal de balise, preuve qu’il est toujours en orbite », commente Serge Habraken. « Oufti-1 faisait partie du programme « Fly your satellite » (FYS) de l’ESA, ce qui avait permis son lancement à Kourou. Il était inscrit dans un calendrier, c’est-à-dire qu’il y avait des deadlines à respecter. Les lancements sont réservés par de gros groupes, pour de gros satellites. Les petits doivent s’inscrire dans les trains en partance et ils n’ont donc pas toujours le temps d’affiner leurs produits. Ceci dit, derrière le but éducatif, l’objectif principal était de donner aux étudiants un exercice pratique. »
Et ceux-ci se suivent en se ressemblant. Le professeur Jacques Verly, responsable du projet, s’est déjà attelé à la conception du CubeSat Oufti-2, avec une nouvelle équipe d’étudiants ingénieurs et informaticiens de l’Université de Liège. L’objectif est de prolonger la mission de son prédécesseur, en réalisant les corrections nécessaires. Le nanosatellite devrait être « prêt pour l’espace » début 2018 au plus tard. « Puis, ce sera au tour d’Oufti-3 », annonce le directeur. « Celui-ci aura pour mission d’observer la terre avec une caméra infra-rouge. »