- Star Waw
Par Marc Vanel
L'amoureux des terroirs
Le maître queux du Coq aux Champs, à Soheit-Tinlot, propose une cuisine à son image : moderne, épurée, pleine de subtilités mais sans esbroufe. Rencontre avec un chef reconnu tant par le Guide Michelin que par le Gault&Millau et qui a trouvé sa bonne étoile sans dévier deson chemin.
Originaire de Seraing, Christophe Pauly a toujours oscillé entre Liège « pour la fête » et Namur pour ses études de comptabilité. Du moins au début, car il se rend vite compte qu’il fait fausse route. Engagé comme étudiant pour faire la plonge à l’Hôtellerie de la Poste, à Hamoir, il y découvre rapidement les rudiments de la cuisine et ses premiers secrets, notamment la préparation du homard, un détail qui aura son importance. Cette initiation l’incite à s’inscrire à l’Ecole hôtelière de Spa, mais il n’y reste que deux jours !
« Je me souviens de cet atelier et de ce prof, très motivé, qui nous explique son amour des beaux produits avant de nous sortir fièrement deux carottes et un homard surgelé. Peut-être un peu arrogant, je lui dis que je n’ai pas l’habitude de travailler les mêmes produits que lui. Viré de la classe, je suis envoyé chez le directeur et je lui dis que cela ne m’intéresse pas de rester dans son école… »
Sermonné par ses parents, Christophe Pauly leur déclare qu’il souhaite faire un apprentissage. Son premier contrat, il l’obtient en 1994 au Pré Mondain*, à SommeLeuze, où Daniel Van Lint, après l’avoir éconduit, est finalement séduit par sa motivation et décide de le tester en le chargeant de travaux peu gratifiants. « Mon premier job a été d’éplucher des petits oignons grelots qui remplissaient des caisses et des caisses sur deux mètres de haut, puis des crosnes du Japon, un légume à la forme plus qu’improbable. Que des trucs du genre pendant plusieurs semaines. J’ai vite regretté le homard surgelé de Spa ».
Un détour par la France
Le test finalement réussi, notre apprenti restera en place trois années à l’issue desquelles il se voit proposer plusieurs opportunités, notamment chez Eric Martin, au Château de Lavaux-SainteAnne. « J’aimais bien l’esprit d’Éric, très nature, un chef qui bossait le produit, mais qui faisait aussi de gros banquets, c’était très intéressant de voir autre chose aussi ».
Trois ans plus tard, en 2000, Christophe Pauly dépose ses valises pendant un an et demi chez Michel Troisgros***, à Roanne, qui pratique une cuisine plus minimaliste, utilisant avec perfection la saveur acide dans une cuisine ouverte sur la nature, la ruralité. De retour en Belgique, il continue son apprentissage chez René Mathieu, au Capucin Gourmand, à Baillonville (SommeLeuze), avant de se mettre à chercher un endroit pour y développer son propre restaurant avec Catherine, son épouse. « Je cherchais dans ma région, le Condroz liégeois. Comme Catherine est de Ciney, je cherchais un lieu entre Ciney et Neupré. Sur les conseils d’un ami négociant en vin, je vais discuter avec Albert Horenbach qui était depuis 1973 le chef du Coq aux Champs, à Tinlot, et où j’allais avec mes parents. Mais l’achat était trop lourd pour nous, je n’avais pas les garanties bancaires.
Un des fournisseurs locaux - Ferme du Gros chêne © Idrisse Hidara
Deux semaines plus tard, Albert nous rappelle et nous dit qu’il s’est renseigné sur mon compte chez tous les chefs où j’ai bossé et que, comme je suis sérieux, il me propose une location avec option d’achat. Nous n’avons pas réfléchi longtemps et nous avons signé en juin 2003 ». Tous les travaux d’aménagement ont été financés par leurs maigres économies et avec l’aide des copains. Comme d’habitude dans ce genre de projet, il y avait beaucoup à faire et, finalement, seul le sol en pierre de la salle a été conservé !
Un livre de recettes
Si la publication d’un livre de recettes par un chef est chose courante, il faut reconnaître que celui de Christophe Pauly sort du lot. Tout d’abord parce que Le Coq aux Champs – Un livre de recettes, paru à La Renaissance du Livre, est parfaitement à l’image de son créateur : humble, serein et pas du tout nombriliste. Ni parcours ni biographie ne sont présentés, juste l’évocation d’un amour pour sa région et les produits. Les recettes sont accessibles à tous, que l’on soit cuisinier professionnel ou débutant. Le produit y est roi. Pour illustrer ces 100 mets en 240 pages, le chef Gault&Millau de l’année a fait appel au photographe et auteur de livres culinaires Jean-Pierre Gabriel, qui a véritablement mis le produit à l’honneur, à l’image de ce qui est servi en salle. Nem de reblochon, asperges à la flamande, poularde, tartare d’huîtres, chevreuil d’ici… Le livre est un régal et devrait rapidement trôner sur tous les plans de travail.
Une ascension fulgurante
L’ascension sera alors fulgurante pour le jeune chef. Six mois plus tard, en janvier 2004, le Coq aux Champs, nouvelle version, est gratifié d’un BIB Gourmand par Michelin et l’année suivante – la veille de son 25e anniversaire – par une étoile ! Pauly est qualifié de «Grand de demain» par Gault&Millau en 2007 et devient Chef de l’Année en 2021, en pleine crise sanitaire. «Lorsque l’on a ouvert le restaurant, se souvient Christophe, je ne voulais pas faire la même chose que les autres. Au début, j’étais seul en cuisine et Catherine en salle.
On faisait des pâtes, des anguilles au vert, une croquette de crevettes et, à côté de cela, un plat aux truffes. En fait, je faisais ce dont j’avais envie. Je proposais, par exemple, un croque-monsieur, mais avec les meilleurs produits. J’ai été l’un des premiers à travailler les porcs basques de Pierre Oteiza. Ma démarche s’est très rapidement dirigée vers les produits de la région, que je faisais évoluer s’il le fallait, même si ce n’était pas toujours simple. Il y a 20 ans, un maraîcher ne comprenait toujours pas que l’on puisse vouloir autre chose qu’une courgette de trois kilos! »
Des claques révélatrices
En 2008, notre chef va manger avec des amis à Paris, chez Alain Passard, à L’Arpège***, et se prend une claque à chaque plat. A tel point que lorsqu’il rentre à Tinlot, il vide les frigos et décide de travailler tout à fait autrement. «C’est là que mon identité a commencé à se marquer, avouet-il. J’ai vraiment compris ce que je voulais faire. Aujourd’hui, je ne propose qu’un seul menu en six services, mais si quelqu’un ne veut manger que deux des six plats proposés, pas de problème.
Coquille Saint-Jacques à la coque (© Jean-Pierre Gabriel)
En fait, plus on offre, moins ce qu’on fait est abouti. Il faut surtout être cohérent avec la saison et très souple, car il y a tous les jours quelque chose qui varie selon les approvisionnements. Et Christophe de préciser son idée : Le client aime encore trop souvent savoir ce qu’il va manger avant de commencer. Mon objectif est de pouvoir demander au client le nombre de plats qu’il souhaite et ses allergies ou intolérances éventuelles. A partir de là, je prépare. Le but premier est de faire à manger pour les gens. Et si la pièce de viande est trop grosse, je fais sauter un plat ».
L'appel de la montagne
Outre le VTT, la grande passion du chef Pauly est la montagne. « La première fois que je suis allé aux Gets, en Haute Savoie, et que j’ai mis les pieds sur des skis, j’avais trois ans. Ado, j’ai fait le tour des grandes stations, mais je retourne aujourd’hui aux Gets. Pas toujours pour skier ni uniquement l’hiver, mais pour la randonnée, pour aller cueillir des myrtilles, des champignons ou des racines de gentiane. Je recevrai au printemps mes premières eaux-de-vie à base de fruits que j’ai achetés là-bas et que j’ai fait distiller à quelques kilomètres de la station. La gentiane, par contre, je suis allé l’arracher moi-même aux Gets avec un pote et cela ne s’arrache pas à l’opinel, il faut y aller, c’est vraiment physique. Si je sors dix litres de gentiane, je vais la servir au compte-gouttes. C’est ma transpiration, un truc de fou. Cela se mérite ! ».
© Mel Carle
Christophe Pauly, qui s’est vu proposer par le maire des Gets le titre d’ambassadeur du village, a également demandé à une fruitière locale – une fromagerie de montagne – de lui préparer 200 ou 300 kilos de tomme blanche qui lui permettront de faire un sorbet, une glace. « La tomme blanche, c’est le reblochon quand il est frais, avant qu’il ne commence à s’affiner, son goût est alors très fruité. Il faut aller chercher les choses où elles sont bien faites. Que mon terroir soit à cinq kilomètres d’ici ou à Chambéry, c’est la même chose, mais vous ne verrez jamais de wagyu sur ma carte. Nous avons des choses plus proches aussi intéressantes ».
Des producteurs locaux
Conscient qu’il convient avant tout de passer un bon moment et de ne pas sortir gavé du restaurant, le chef s’efforce de proposer quelque chose de vivant, qui respecte les saisons des fruits et légumes, mais aussi des poissons et fromages. «Tout le monde mange tout à n’importe quel moment, c’est dommage! Je bosse dès lors avec les producteurs locaux. Nos fromages viennent de la Ferme du Gros Chêne à Méan, les légumes du Jardin des Templiers à Flémalle, les volailles et le lait de la Ferme de Limet à Modave, la crème de Bütgenbach, mais j’achète mon beurre en Normandie et mes tomates en Provence, car la Belgique n’est pas un terroir à tomates ». Christophe Pauly propose également des vins de terroirs et de producteurs, pas de négociants. «Ma cuisine est avant tout identitaire. Si on jette sur une table vingt photos de plats et que l’on peut identifier les miens, alors je suis déjà heureux… »
BIO EXPRESS
- 27 janvier 1978 Naissance à Seraing
- 1994-96 Apprentissage au Pré Mondain*, à Heure-en-Famenne
- 1997-99 Patronat et commis de cuisine au Château de Lavaux-Sainte-Anne*
- 2000-01 Chef de partie chez Troisgros***, à Roanne
- 2002 Second de cuisine au Capucin Gourmand* à Somme-Leuze
- 2003 Reprise du Coq aux Champs à Tinlot
- 2004 Bib Gourmand Michelin
- 2005 1 étoile au Guide Michelin
- 2007 “Grand de demain” au Gault&Millau où sa cote passe de 13 à 16/20
- 2009 17/20 au Gault&Millau
- 2016 Rejoint l’Association des Maîtres cuisiniers de Belgique
- 2021 Chef de l’année Gault&Millau (17,5/20 et 4 toques)
Christophe Pauly est aussi l’un des dix chefs fondateurs de Génération W et il fait partie de l’association North Sea Chefs.