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Par Carole Depasse
Soudain, les vidéoprojecteurs entrent en scène. La façade d’une église sort de la nuit. Jeux de lumières et illusions d’optique : Dirty Monitor repoussent vers l’imaginaire infini les limites des arts numériques.
Donner vie à la façade d’un bâtiment : un exemple d’installation visuelle hautement performante dont Dirty Monitor a le secret. Virtuose du mapping vidéo, le collectif d’artistes carolorégien s’est déjà taillé une solide réputation internationale dans le milieu. Leader en Belgique, installé au cœur de la ville basse de Charleroi, Dirty Monitor égrène avec fierté les spectacles ou événements récents sur lesquels il a travaillé. La comédie musicale Peter Pan, The Never Ending Story à Forest National, l’ouverture du Festival International du Film de Beijing (Pékin), le show de Florence Foresti à Bercy, les 75 ans de Spirou ou encore le mariage d’une princesse saoudienne.
Encore un anglicisme
Le monde informatique en regorge d’autant que la plupart des langages de programmation ont un vocabulaire tiré de l’anglais. Pour les non-initiés, le mapping vidéo est une technique multimédia qui permet, grâce à des logiciels créatifs, de projeter « sur mesure » des vidéos sur des surfaces ou des structures 3D. Que ce soit la façade d’un bâtiment, une sculpture, un pont, un train ou un fleuve, la projection joue sur l’illusion d’optique entre le réel et le virtuel projeté. La technique du mapping vidéo habille de lumières, d’images et de sons ce qu’elle éclaire, comme une seconde peau parfaitement greffée. « Nous sommes bien loin d’une projection classique cinématographique sur écran, précise Orphée Cataldo, un des membres de Dirty Monitor. Dans le mapping vidéo, la projection est calibrée au millimètre près. Chaque élément à éclairer est préalablement analysé, modélisé et intégré dans nos ordinateurs. Nous projetons ensuite les éléments modifiés par nos logiciels sur ceux, réels, que nous souhaitons sublimer. Par exemple, nous pouvons, si nous le souhaitons, éclairer uniquement les châssis ou les moulures d’une façade. Nous pouvons aussi simuler une explosion, une démolition ou une invasion de cette façade par une végétation luxuriante. » Tout est possible : effets spectaculaires, trouvailles graphiques, esthétisme classique ou débordement fantasmagorique. Seul compte le résultat : un spectacle inspiré et captivant.
« Grâce à notre technique de projection, nous étions en mesure de donner l’illusion que les livres s’ouvraient, se transformaient en bibliothèque, en garde- robe pour enfants, en falaise. »
Fragile illusion
En matière de « mapping sur structure », le spectacle musical du réalisateur Luc Petit est une prouesse. Un show grandiose et dément, 15 000 m2 de projection, Forest National habité par l’univers magique du lutin vert. La mission de Dirty Monitor : un mapping vidéo sur un décor de livres géants. « Grâce à notre technique de projec- tion, nous étions en mesure de donner l’illusion que les livres s’ouvraient, se transformaient en bibliothèque, en garde-robe pour enfants, en falaise. » Des mois de travail et une maîtrise parfaite de la projection vidéo sans lesquels la magie ne pourrait pas opérer. La moindre faille, le plus petit défaut et c’est la désillusion. Une désillusion qui peut avoir un coût. En fonction de la prestation demandée et, notamment, du nombre de vidéoprojecteurs mobilisés, le budget est variable, très extensible, parfois des centaines de milliers d’euros. Un investissement colossal pour le commanditaire. Une responsabilité pour Dirty Monitor. Le collectif en a conscience, qui a bâti sa réputation sur une expérience de plus d’une dizaine d’années et sur les compétences d’une équipe jeune, venant de disciplines différentes telles que l’architecture, la photographie, le dessin, l’infographie, la musique ou le montage vidéo. Une diversité d’inspirations et de talents qui fait la force artistique et technique de Dirty Monitor.
New York et Rio
Répondre aux appels à projets, aux concours in- ternationaux est un des grands axes du travail interne de Dirty Monitor. Monter des dossiers pour des projets qui n’aboutiront pas nécessairement fait aussi partie du jeu. Orphée Cataldo n’aime pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Il reste donc discret sur plusieurs dossiers en cours pour lesquels la concurrence est là. Néanmoins, il est déjà acquis que Dirty Monitor réalisera, en octobre prochain, un mapping vidéo pour les 175 ans de l’horloger de luxe genevois, Patek Philippe. « Nous allons raconter l’histoire de la rencontre, en 1844, à Paris, de l’homme d’affaires polonais, Antoine Norbert de Patek et de l’horloger français, Jean-Adrien Philippe. Par un habillage à 360° des bâtiments, les spectateurs vont être plongés dans le Paris du XIXe siècle, au moment où la Tour Eiffel est en construction. » Autre commande prestigieuse : le Pont de Lucerne, en Suisse, devrait être prochainement « habillé » tous les soirs, pendant plusieurs années, par une installation de Dirty Monitor. Manque encore au palmarès de ces surdoués « la Statue de la Liberté ou le Pain de Sucre », s’amuse Orphée Cataldo.
Un sérieux belge
En matière de mapping vidéo, la Belgique a une sacrée réputation à l’étranger. « Nous sommes toujours surpris d’avoir cette notoriété. La Belgique est, dans ce domaine, techniquement à la pointe. C’est d’autant plus surprenant qu’il n’y a pas vraiment d’écoles qui forment au mapping vidéo. La technique s’apprend sur le tas, au cours de formations courtes proposées par les vendeurs de vidéoprojecteurs. Nous avons en Belgique les meilleurs produits. Nous sommes récemment allés à la Fête de la Lumière, à Lyon, et tous les vidéoprojecteurs étaient belges. » C’est une chance, car « nous sommes tributaires du matériel. Sans le matériel, on ne peut rien. Nous travaillons avec ADC Production, une des firmes les plus compétentes sur le marché. »
Charleroi brûle pour Mons 2015
Dirty Monitor est « dans le coup ». L’ouverture et/ou la clôture des festivités ? C’est encore secret. Orphée Cataldo dit juste que « Charleroi a la volonté politique de redresser la ville grâce à la culture. » Mons 2015 est une opportunité que Charleroi va saisir, car les idées ne manquent pas. Dirty Monitor a été désigné « chef de projet » pour la ville dans le cadre de Mons 2015. Le choix est malin car le collectif a l’habitude de monter des spectacles époustouflants. Rien n’est encore tout à fait au point ni validé, mais Orphée nous confie qu’il s’agira d’un allumage grandiose de toutes les façades qui, face à la gare rénovée de Charleroi-Sud, vont du Ministère des Finances jusqu’au nouveau Pôle de l’Image. Et puis, il y a les péniches qui, équipées de vidéoprojecteurs, descendraient la Sambre, de Mons à Charleroi avec un arrêt symbolique au Rockerill, temps béni de l’industrie vivante à Charleroi.
Renseignements:
Dirty Monitor
Rue de Marcinelle, 30
BE-6000 Charleroi
info@dirtymonitor.com