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Par Aristide Padigreaux
Originaire de Vottem, près de Rocourt, Emmanuel Prévinaire passe désormais son temps entre Hollywood, Hong-Kong, Paris, Londres et... Oupeye, où est situé le quartier général de FLYING-CAM, l'entreprise qu'il a fondée en 1988 et qui très vite est devenue leader mondial en matière de prise de vue aérienne depuis un hélicoptère sans pilote. En effet, depuis 1979, Emmanuel combine sa passion pour le cinéma et l'aéronautique en proposant aux superproductions, notamment américaines, des prises de vue moins coûteuses, moins dangereuses et souvent plus précises que celles réalisées par un véritable hélicoptère. Sa réputation ne faisant que grandir, FLYING-CAM atteint désormais des sommets en termes de reconnaissance notamment du fait de sa participation récentes aux tournages d'Harry Potter, de Mission Impossible, d'Adèle Blanc-Sec de Luc Besson, ou du dernier Robin des Bois avec Russel Crow... Aujourd'hui, que serait Hollywood sans son "Holy Walloon" ?
Flying-Cam dispose désormais de trois sites: le premier ici à Oupeye, le second à Los Angeles et le troisième à Hong-Kong, inauguré en 2005....
Sur chaque site nous disposons de deux hélicoptères, de bureaux, d'une aire de vol afin d'effectuer nos "warm up flights", car nous nous astreignons à une préparation très stricte. Dans le domaine du cinéma, le droit à l'erreur n'existe pas : quand mille figurants, des vedettes comme Tom Cruise ou Bruce Willis, attendent un plan FLYING-CAM, il ne s'agit pas d'être en retard. Nous nous obligeons à avoir une préparation en vol de deux hélicoptères en configuration terrain avant chaque prestation : un jour de préparation complet est prévu préalablement à chacune d'elle; l'équipe se réunit ici, met en vol les machines, range et vérifie le matériel suivant une check-list rigoureuse. FLYING-CAM a par exemple participé au tournage d'Adèle Blanc-Sec de Luc Besson, dans lequel nous nous sommes chargés des prises de vue depuis le ptérodactyle en vol. Pour se faire, nous avons pu tourner dans les jardins de l'Elysée avec autorisation spéciale pendant le déplacement de Sarkozy au G7.
Ce travail a donc nécessité une préparation minutieuse et des répétitions effectuées au château de Limont au début de la Hesbaye. Nous travaillons dans un domaine situé entre l'art et la science. La science via l'aéronautique, les transmissions, la mécanique, l'aérodynamique, de l'électronique.... Nous sommes donc à l'intersection de toutes ces technologies, ce qui nous oblige à posséder d'une part, la rigueur du domaine aéronautique et d'autre part, la vision artistique et flexible d'un réalisateur, d'un cadreur, ou d'un directeur photo dont la créativité s'exprime au moment du tournage.
Mais au départ, il y a aussi l'aéromodélisme.
Oui, j'ai été champion de Belgique d'hélicoptère, après avoir conquis ce titre en planeur.
Cette passion a précédé celle du cinéma ?
Non, les deux ont coexisté dès le départ. Ma mère possédait ce versant artistique, et m'a très vite inculqué le goût pour la photographie : elle pratiquait aussi la peinture, le piano... Elle était cantatrice...
Mon père, lui, correspondait plutôt au versant scientifique. Son paternel l'a empêché de devenir ingénieur, ce qui l'a frustré toute sa vie mais l'a constamment poussé à inventer des procédés, malgré sa profession de notaire. Il fut le premier en Belgique à informatiser son étude dans les années soixante. Il a cultivé des abeilles, fabriqué une éolienne et m'a transmis le virus de l'aviation et du modélisme qu'il pratiquait. J'ai pu très vite prendre les commandes d'un avion, petit ou grand. Très tôt, j'ai donc pris conscience d'un fait peu classique dans le monde du modélisme : aux commandes d'un avion, votre vie est en jeu. Il s'agit donc de suivre certaines règles très strictes de contrôle avant, pendant et après l'envol. J'ai donc appliqué la rigueur apprise dans le domaine de l'aviation au modélisme afin de gommer l'aspect péjoratif et amateur qu'on lui colle souvent.
Vous n'étiez d'ailleurs pas trop pris au sérieux en Belgique au début de votre carrière ?
Lorsqu'il a commencé à rouler à vélo, même Eddy Merckx s'est cassé la figure... Une fois surmontées toutes les difficultés initiales rencontrées dans son pays, fatalement l'on commence à être connu en dehors comme celui qui a réussi. Quand j'ai débarqué aux États-unis, les gens de cinéma me demandaient "Are you the Belgian guy? Yes? That's the one we want!"... De retour en Belgique j'étais seulement celui qui avait trébuché ici ou là. Aujourd'hui, du fait du succès mondial de FLYING-CAM, je suis un Wallon qui a réussit : l'aura extérieur rejaillit ici et se faisant, efface le passé.
Vous démarrez, la société prend de l'ampleur, vous engagez... combien êtes-vous aujourd'hui ?
Nous sommes quinze à Oupeye et une vingtaine en tout, lorsque l'on inclut les freelances.
Le plaisir que l'on tire de ce travail est essentiellement basé sur les capacités d'un pilote et d'un cadreur à effectuer un travail en équipe. Le pilote, c'est les ailes, le cadreur la tête : tous deux dirigent une machine qui doit répondre au doigt et à l'oeil à leurs injections. La tâche est néanmoins essentiellement humaine au sens où une communication idéale doit s'instaurer entre le pilote, le cadreur et l'organisateur. Cette symbiose doit même aller jusque dans le langage utilisé entre le pilote et le cadreur: il doit être précis et sans aucune ambiguïté pour que la communication soit immédiate.
Ce travail humain va être facilité par les nouveaux développements que nous finalisons –raison pour laquelle nous avons augmenté l'équipe – l'ordinateur et les capacités de l'informatique ouvrant des nouvelles possibilités. Tout le fastidieux écolage en termes de coordinations de mouvement est à présent réalisé par ordinateur. Depuis maintenant sept ans, nous avons commencé à doter l'appareil d'un cerveau intégré.
La machine devient intelligente ou du moins gagne en intelligence, par rapport à son environnement : dorénavant, l'hélicoptère connaîtra sa position dans l'espace. Ce n'est plus le pilote qui maîtrisera seul sa position : la caméra volante connaîtra sa position grâce au gps, avec une précision qui dépasse celle de l'homme puisque nous parvenons désormais à connaître à 2,5 cm près la position de la machine.
L'Aerial Robotics offre désormais ce type de précision. FLYING-CAM est en train de franchir cette étape grâce aux cinq ingénieurs qui travaillent sur trois domaines à la fois : l'engin volant, le cerveau, et les capteurs (la gyrostabilisation par exemple)
Ces trois aspects sont pris en charge de concert. À ma connaissance, il n'existe pas au monde d'autre entreprise qui réunisse sous un même toit ces trois compétences à la fois
Cela représente un défi énorme mais qui nous permet de développer un produit plus performant encore, en avance sur les autres, puisqu'il intègre ces trois éléments.
Mais le développement ahurissant de l'informatique n'est-il pas non plus un désavantage au sens où les informaticiens finiront par tourner des images sans vous ?
C'est ce qui avait été annoncé voici dix ans et qui ne s'est pas réalisé. Il faut énormément travailler afin de créer un décor en images de synthèse – un plan de montagnes par exemple – alors que FLYING-CAM y parvient en quelques secondes.
En fait, des progrès ont été réalisés aussi bien en amont qu'en aval. À partir d'une image réelle, l'on peut désormais extraire un tas d'informations qui permettent de reconstruire un univers artificiel. Grâce aux images de base que nous lui fournissons, l'ordinateur peut reconstituer un univers 3D qu'il aurait mis un temps fou à réaliser. De plus, il va pouvoir ajouter des éléments de décor artificiel.
Sur le dernier Robin des Bois, FLYING-CAM a réalisé le plan d'une flèche, le point de vue de celle qui a tué le méchant dans la scène finale. Le tournage s'est effectué sur une plage déserte. Tout le reste, y compris le cheval, a été ajouté par la suite en images de synthèse.
Mis à part le survol de la plage, tous les éléments de décor ont été rajoutés; nous avons réalisé le plan global de départ sur lequel est venu se greffer les éléments. Bref, on aura toujours besoin de faire appel à un moment ou à un autre à un engin qui va capter la réalité.
On peut partir d'un univers synthétique et ajouter des images réelles ou partir d'images réelles et ajouter des images de synthèse, ou tout simplement garder la pure réalité qui existera toujours. Nous irons toujours assister à un concert live avec de vrais instrumentistes...
Je suppose que vous n'avez plus vraiment le temps de piloter. Cela vous manque-t-il ?
Détrompez-vous, il m'arrive encore de piloter de temps à autre. Je conserve le plaisir de voler en m'entraînant sur le côté avec des modèles réduits qui me permettent de garder la main. Le modélisme a fait des progrès phénoménaux. Je garde surtout le lien avec les pilotes que je forme, que je sélectionne et que je fais travailler. J'essaie même de les accompagner sur le terrain, de réaliser des boulots de cadreur, histoire de voir ce qui se passe...
Quel type de travail préférez-vous dans ce panel d'activités ?
Il y a plusieurs facettes : en premier lieu, la recherche et le développement qui ont toujours été essentiels. L'hélico télécommandé a été pris à tort pour un jouet mais doit aujourd'hui être considéré comme un engin extrêmement pointu au niveau technologique.
Nous sommes leaders mondiaux depuis vingt ans et le nouveau prototype que nous développons, qui répond au joli nom de SARAH pour Special Aerial Response Autonomous Helicopter, est le nec plus ultra : nous sommes devant les Américains, les Japonais ou les Israéliens...et ceci depuis 22 ans dans la catégorie d'engin de moins de 150 kilos.
Cet aspect là des choses est moins connu et glamour que notre participation à Harry Potter, mais pour y arriver, il a fallu beaucoup travailler et développer la technologie.
Ce volet me passionne au même titre que le terrain : le plaisir du voyage et de rencontrer des gens, de participer à un projet, à savoir un film qui va exprimer des idées, des sensations, des émotions est un autre plaisir.
Troisième élément : c'est l'entreprise elle-même qui a pris de l'importance au fil du temps. Elle acquiert une existence propre et grandit à l'image d'un enfant dont les organes se développent. FLYING-CAM exige une attention permanente dans l'optique de sa croissance. Un volet tout aussi passionnant, mais qui apporte autant de frustrations que de résultats. On est face à un groupe de gens dont les capacités doivent être démultipliées. Si l'on y parvient, on réalise des choses extraordinaires. C'est le cas avec SARAH, que seule une entreprise, un groupe humain peut parvenir à réaliser.
Votre rôle d'entrepreneur coïncide-t-il en quelque sorte avec votre boulot de réalisateur ?
Exactement ! C'est lui qui fait l'équipe. Souvent, on considère les gens de cinéma comme des bohémiens. Curieusement, je ne cesse de découvrir des similitudes : lorsqu'on est aux commandes d'un film, il s'agit de trouver des fonds, la bonne équipe, une bonne histoire... Cette alchimie est la même dans une entreprise... FLYING-CAM est un long métrage qui dure depuis 22 ans. (rires)
Réaliser un film vous tente ?
J'en rêve mais j'attends. Je rêve que ce nouvel hélicoptère fasse ses preuves sur le terrain. Nous avons reçu un Academy Award for Technical Achievement, l'étape suivante serait de décrocher un Scientific and Technical Achievement Award, ce que SARAH est capable de nous offrir. Une fois cet objectif atteint, je pourrai me tourner vers autre chose (sourires).