- Patrimoine
Par Thierry Desiraut
Sans rien renier ou oublier de son statut de lieu de mémoire, le Bois du Cazier ouvre un nouveau cycle et s’intéresse désormais à la condition des mineurs dans le monde, à la sécurité au travail de manière plus générale et à la condition des travailleurs immigrés aujourd’hui. Les erreurs qui ont conduit au drame, la condition des mineurs en Belgique et les leçons que les autorités ont tirées du drame servent de base à une réflexion et à une observation de ce qui se fait ailleurs dans le monde.
Le Bois du Cazier reste avant tout un lieu de mémoire. Après les commémorations de la catastrophe qui a provoqué la mort de 262 mineurs, le 8 août 1946, dans des circonstances particulièrement dramatiques, c’est une nouvelle page de l’histoire du Bois du Cazier qui s’écrit aujourd’hui. Le nécessaire travail de mémoire a été accompli avec, en 2006, le sauvetage du site du charbonnage. Une seconde page a été écrite avec sa rénovation et sa transformation en un lieu de mémoire et un espace muséal vivant. La troisième phase s’est achevée en 2016 avec l’inauguration d’un nouvel espace dédié aux sauveteurs et les événements qui ont marqué le soixantième anniversaire de la catastrophe.
À l’occasion des commémorations, un nouvel espace a été ouvert. L’espace « sauveteur » qu’Alain Forti, le conservateur, nous fait découvrir. « Pour 2016, on a voulu rendre cette fois hommage aux sauveteurs qui se sont dépensés sans compter, au péril de leur vie pour retrouver des survivants – ils en retrouveront trois par miracle – et, surtout, pour remonter les dépouilles de leurs camarades. Un travail extrêmement long et éprouvant. Le dernier corps retrouvé ne sera remonté qu’en décembre. Et pour leur rendre hommage, quoi de mieux que l’un des camions qui était là le jour du drame. Ce superbe camion rouge avait servi dans un charbonnage jusqu’en 1984, puis avait été utilisé pendant des années par un groupe folklorique verviétois, appelé les Flambeurs. Ça ne s’invente pas ! Sauvé de la casse, par un généreux collectionneur qui nous en a fait don, le camion a été restauré en profondeur et se retrouve aujourd’hui au milieu de nombreux autres objets qui ont servi aux sauveteurs. Des photos, des témoignages et des extraits de film illustrent leur rôle pendant la catastrophe. »

Le mineur aujourd’hui dans le monde
Plus que jamais, le Bois du Cazier est ancré dans la réalité du monde moderne et entend montrer aux jeunes générations le chemin parcouru en matière de conditions de travail et de sécurité dans le monde de l’industrie. « On a voulu voir ce qui avait changé dans l’univers de la mine dans d’autres pays depuis la catastrophe », explique Alain Forti. « On s’aperçoit que c’est toujours la même exploitation des hommes, des femmes et des enfants, le même manque de sécurité et le même mépris pour la vie humaine. Et on a pris comme exemple la catastrophe qui a eu lieu à Soma en Tunisie en 2014. On s’est rendu compte que les photos qui circulaient sur le net, c’étaient exactement les mêmes qu’à Marcinelle, mais en couleur ! Et là, on s’est dit qu’il y avait un vrai travail à faire. Nous avons fait des recherches et l’exposition montre différents sites miniers dans le monde avec des photos, des vidéos et des paroles de mineurs qui disent aujourd’hui ce que disaient déjà ceux de 1956 : on descend au fond pour que nos enfants aient un avenir… » Des documents souvent poignants, comme ce témoignage d’un mineur des Andes qui raconte, avec des mots simples, l’horreur de son quotidien ou cette photo d’une fillette de 7 ou 8 ans qui porte sur sa tête un énorme bloc de charbon. Très bien documentée, très didactique et très bien mise en scène, cette exposition vaut à elle seule le détour.

À voir absolument
Une autre exposition, intitulée « Le mineur, ce héros » vaut aussi le coup d’œil. L’idée est partie d’une discussion autour de photos et de souvenirs et, surtout, de ces valeurs que partagent les mineurs et les super héros des comic strips : courage, force, solidarité et abnégation. Didier Ocula, auteur du livre Charleroi, black country, white spirit, a convaincu des élèves de la Haute École Albert Jacquard et des dessinateurs réputés, qui ont collaboré à des productions aussi prestigieuses que Disney, Pixar ou Star Wars, de réaliser une vingtaine de planches sur ce thème. Avec un fil conducteur : le foulard rouge qui se retrouve dans tous les dessins. Un autre regard, ludique et émouvant sur l’univers des mineurs. Une exposition à voir jusqu’au 11 décembre, au second étage de la recette, lieu central du charbonnage par où transitait tout le charbon extrait de la mine.
Outre la partie du charbonnage restaurée, le site comporte deux autres musées. Le premier est le musée du verre, situé dans un nouveau bâtiment, en verre et acier contemporain, à côté de la lampisterie. Les collections invitent le visiteur à remonter le temps à partir des œuvres contemporaines pour découvrir les techniques et l’évolution des matériaux jusqu’aux premiers verriers connus. Le second est le musée de l’industrie, qui occupe les locaux des bains-douches. On y a installé des machines et les collections qui viennent des anciennes Forges de la Providence à Marchienne-au-Pont. Des collections qui retracent l’histoire industrielle du Hainaut. On y découvre un laminoir à tôles du milieu du XIXe siècle, des machines à vapeur, des dynamos ou encore un tramway électrique.
Il y a aussi les ateliers de forge et fonderie, équipés d’un outillage moderne permettant des créations originales réalisées par les artisans. Dans une ambiance particulièrement authentique soulignée par le contraste entre la noirceur des machines et la lumière des foyers de forge, l’odeur âcre du charbon et le tintement des enclumes, le visiteur peut assister à des démonstrations de forge.
Changer pour mieux se préserver
« Pour rester attractif, un espace comme celui-là doit se renouveler en permanence, explique Jean Louis Delaet, directeur du site. C’est pourquoi nous avons fait appel aux techniques les plus récentes pour commander un film à une jeune société de Charleroi, Dirty Monitor. Le film s’intitule "De la Révolution industrielle au Patrimoine mondial". Déjà réalisateurs du très remarqué videomapping de Mons 2015, les créateurs ont cette fois planché sur l’évolution industrielle de la région. Et ils en ont tiré un film de 15 minutes, aux images de synthèse intenses et passionnantes qui plongent le visiteur, dès l’entrée du musée, dans l’univers des machines et du travail. » Et pour compléter le tableau, une nouvelle animation s’adresse plus particulièrement aux enfants des écoles. « Nous avons voulu donner l’envie aux jeunes d’en savoir plus sur ce monde de l’industrie à travers une animation orientation. Le site du charbonnage s’étend sur 24 ha et s’y trouvent encore trois terrils. Ces témoignages du passé minier ont évolué au fil du temps. Ils sont peuplés d’une faune et d’une flore à la richesse étonnante. » Cette animation invite les élèves à « garder le nord ». Apprendre à lire une carte, retrouver des balises cachées sur le carreau de l’ancien charbonnage. Se renouveler pour continuer à intéresser le public et en particulier les jeunes, c’est une nécessité pour un site touristique majeur en Wallonie. Un site qui a attiré 60 000 visiteurs l’an dernier. « Et nous avons un très beau projet en voie d’élaboration, poursuit Jean-Louis Delaet. Toutes les grandes villes, toutes les régions qui comptent ont un musée d’histoire. Mais pas Charleroi qui fête pourtant ses 350 ans. Nous avons donc mis en chantier le projet de créer sur notre site un musée d’histoire du Pays de Charleroi. Une histoire riche et surprenante qui mérite d’être racontée avec les technologies les plus pointues. Le projet est en bonne voie et ajoutera une pièce maîtresse à un ensemble déjà très riche. »
Pour le directeur du site, l’avenir du Bois du Cazier est en passe de devenir un lieu de conscience, à l’instar du camp de concentration de Terezin, de l’île de Robben Island, de la prison de Nelson Mandela ou de l’île de Gorée par où transitaient les esclaves arrachés à l’Afrique. La tragédie qui s’est jouée ici a montré combien le sort des hommes pesait peu face aux exigences de l’économie. Et cela continue, partout dans le monde. « Nous devons témoigner de cela pour les jeunes générations. La reconnaissance de notre site en 2012 par l’UNESCO, en même temps que trois autres sites miniers wallons, nous confère une mission et une visibilité qui nous permettent de dépasser notre rôle de témoin du passé, même s’il n’est évidemment pas question de le renier en quoi que ce soit. C’est une seconde vie qui s’ouvre au Bois du Cazier. »
Le Bois du Cazier, un lieu de mémoire, mais aussi et surtout un lieu passionnant où le passé et le monde d’aujourd’hui se rencontrent et bousculent les idées reçues sur le monde de la mine, notre histoire et nos valeurs.