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Par François Colmant
De jeunes chercheurs issus des quatre coins du monde élaborent un nouveau type de fusée supersonique. À la tête du projet, un jeune ingénieur… né à Ghlin, près de Mons.
On ne sait pas si Sandy Tirtey rêvait déjà de construire des fusées quand il était enfant, mais il peut se targuer de faire partie du petit microcosme à y être parvenu ! Ce jeune montois de 34 ans dirige en effet une équipe de chercheurs et d’ingénieurs à l’initiative d’un projet un peu fou. Mettre au point une alternative fonctionnelle aux fusées actuelles. Spécialisé en mécanique des fluides, diplômé des Facultés polytechniques (UMons), il passe par l’Institut Von Karman de Bruxelles pour y réaliser un doctorat avant de mettre le cap pour l’Université de Queensland, en Australie. Engagé sur un projet pilote de superstatoréacteur par le Pr Russel Boyce, directeur scientifique, il travaille seul pendant six mois avant de voir les renforts arriver. Un aérodynamicien et un ingénieur système viennent l’épauler et, ensemble, poursuivent le développement du prototype pendant plus d’un an. « Il fallait prouver à nos partenaires que le projet pouvait être viable et réaliste. Lorsqu’on a pu les convaincre, en leur montrant un premier design, que nous étions dans le bon chemin, nous avons pu engager le reste de l’équipe », explique-t-il. Un groupe qui, au final, ne compte pas plus d’une dizaine de personnes, mais qui peut compter sur l’apport de nombreux doctorants à travers le monde. Trois ans plus tard, le projet passe des tables à dessin et feuilles de calculs à la réalisation matérielle du premier prototype et, surtout, son premier vol.
C’est dans l’extrême nord de la Norvège, à Andoya au-delà du cercle arctique, que toute l’équipe s’est rendue, début septembre, afin de procéder au premier test grandeur nature du lancement de la fusée. « Notre but n’était pas de réaliser un long vol vers une certaine destination, mais de mettre à l’épreuve nos théories et emmagasiner le plus de données sur le comportement en vol de notre véhicule », précise le directeur technique du projet.
Une technique ancienne, en théorie
La technologie liée au superstatoréacteur n’est pas neuve. Connue depuis près de cinquante ans, elle n’a cependant jamais dépassé le monde de l’expérimental, tant sa maîtrise fait intervenir quantité de facteurs complexes. « Au fond, un superstato, c’est assez simple d’un point de vue géométrique. C’est un simple tuyau avec des trous ! Pour le faire fonctionner, par contre, il faut être en mesure de contrôler la gestion de la chaleur, la résistance à la pression de l’air, l’écoulement des fluides. On est encore au stade de la recherche fondamentale, mais les progrès réalisés ces dernières années, notamment grâce à l’amélioration des puissances de calculs, permettent d’avancer plus rapidement qu’il y a vingt ans. »
À la différence d’un réacteur de fusée classique, un superstatoréacteur, ou scramjet, utilise l’air présent dans l’atmosphère pour fonctionner. Comme une voiture. Sauf que la combustion s’opère à des vitesses supersoniques (plusieurs fois la vitesse du son), et c’est précisément là où se situe le noeud du problème. Tous les carburants ne peuvent assurer une combustion suffisamment rapide pour maintenir la poussée à des vitesses avoisinant les 8 000 km/h. Mais ce n’est pas tout, puisqu’il faut aussi mettre au point des matériaux capables de résister à la chaleur générée par le frottement de l’air et les contraintes mécaniques qui y sont liées. Enfin, un tel moteur ne peut fonctionner qu’une fois atteintes ces vitesses hypersoniques, il ne peut en effet y parvenir seul ! Il doit donc être lancé par une fusée classique, atteindre au minimum Mach 5, avant de maintenir, voire accroître, ces vitesses folles sur de longs trajets.
Voilà pour les difficultés techniques. Du côté des avantages, le scramjet est, on l’a compris, plus rapide, mais aussi plus stable, plus léger, dirigeable et surtout, beaucoup moins gourmand en carburant. Ce qui lui permet de couvrir de bien plus longues distances qu’une fusée « normale ». Fusée, qui, en outre, ne peut se déplacer qu’à la verticale. « Deux applications concrètes sont possibles grâce à la technologie des superstatoréacteurs. Qu’il s’agisse de l’accès à l’espace pour la mise en orbite de satellites, ou le transport hyper rapide de passagers ou de marchandises. »
Les engins classiques, du type Soyouz ou Ariane, que l’on compare souvent à des gratte-ciel volants, restent incroyablement gourmands en énergie. Pour envoyer un satellite en orbite, ils ingurgitent entre 200 et 250 tonnes de carburant ! « En gros, une fusée c’est surtout un gros réservoir puisque plus de 80 % de son poids est consacré au combustible. Ce qui représente un coût énorme, sans parler des rejets polluants dans l’atmosphère », ajoute Sandy Tirtey. Le poids d’un satellite ne représente en outre qu’un petit pour cent de la masse totale de la fusée. « Quand on sait qu’un satellite coûte, grosso modo, son poids en or, si nous parvenons à développer un appareil capable de réduire drastiquement sa consommation d’énergie, les coûts dédiés à la propulsion vont diminuer tout autant ! Ce qui pourrait permettre aussi d’envoyer dans l’espace des engins plus gros. »
Concrètement, le scramjet doit être plus léger et surtout, plus efficace dans l’accélération. « Dans un premier temps, une fusée classique amène le superstatoréacteur à une vitesse supérieure à Mach 5, puisqu’il ne peut démarrer avant. Dès qu’il prend le relais, il accélère très rapidement jusqu’à haute altitude pour larguer un satellite ou entamer un vol avec des passagers. À cette distance du sol, il n’y a presque plus d’air, juste suffisamment pour alimenter la combustion du carburant. » Et qui dit peu d’air, dit peu de résistance, de frottement, soit des conditions idéales pour maintenir à peu de frais une vitesse supersonique constante, surtout durant la période de l’ascension, très gourmande en carburant.
Un premier essai étonnant
Retour en Norvège pour le premier vol, celui du prototype de deux mètres de long pour 35 cm de diamètre. Très lourd à l’avant, pour un poids total de 150 kilos, il est dessiné comme une flèche, avec des petites ailes de part et d’autre du fuselage arrière. Ce qui complique la mise au point d’un design approprié, mais l’efficience est à ce prix. Le but de l’essai grandeur nature est de confirmer – ou infirmer – les projections des ingénieurs et permettre à l’équipe d’emmagasiner une série de données essentielles pour la poursuite de l’aventure. « Le vol permet de valider notre méthodologie. On confronte 4 ou 5 années de recherche avec l’empirique, avec le passage obligé dans la réalité. Il est essentiel de rapidement passer du concept pur à une mise en application de nos calculs car le temps est compté », souligne encore Sandy Tirtey.
Concrètement, le scramjet est installé sur le troisième étage d’une fusée. Les deux premiers échelons propulsent l’ensemble à plus de 100 km d’altitude afin de larguer le superstatoréacteur. La force d’inertie fait le reste pour atteindre l’apogée, à plus de 300 km. Ensuite, c’est la descente, qui permet d’atteindre la vitesse voulue pour allumer le moteur et opérer un vol de 2,5 secondes, suffisant pour juger du comportement de l’appareil et enregistrer les précieuses données de vol.
« Le vol permet de valider notre méthodologie. On confronte 4 ou 5 années de recherche avec l’empirique, avec le passage obligé dans la réalité. Il est essentiel de rapidement passer du concept pur à une mise en application de nos calculs car le temps est compté »
Voilà pour la théorie, où, comme souvent, tout se passe bien. Dans la pratique, hélas, le vol ne s’est pas déroulé comme prévu. « Lors de la mise en route de la fusée, une partie du premier étage a été endommagée. Cela a rendu le vol beaucoup plus instable. On n’a pas pu atteindre la vitesse voulue, ni l’altitude. Pourtant, après deux minutes de vol, alors même que l’appareil n’était pas là où il devait être, il s’est mis en route comme prévu et a pu opérer toutes les fonctionnalités programmées. » Un coup du sort, qui n’est pas directement imputable à l’équipe de Sandy Tirtey puisque le lanceur était fourni par un partenaire industriel, mais qui ne démoralise pas pour autant le directeur technique. « C’est considéré comme un succès d’ingénierie, car cela veut dire que le véhicule a été fonctionnel. On a pu obtenir toutes les données voulues, et même si le vol n’a pas été à la hauteur de nos attentes, on a remarqué que notre véhicule s’était même mieux comporté que ce qu’on avait imaginé, qu’il a mieux résisté et ce, à des vitesses et altitudes qui n’avaient pas été envisagées ! » Reste donc à comprendre pourquoi l’appareil a fonctionné aussi bien alors même que l’équipe ne s’y attendait pas, et aussi analyser la défaillance qui a perturbé le décollage. « On ne sait pas encore qui est responsable de ce couac car on n’a pas encore compulsé toutes les données mais on n’en veut à personne. Nous sommes tous partenaires sur ce projet, même si on est un peu déçu évidemment. Pour réussir à construire ce prototype en l’espace d’un an, on n’a pas compté nos heures. On travaillait à 4 ou 5, plus de 12 heures par jour, y compris les week-ends. » La ténacité et la passion sont à ce prix et il en faut plus pour décourager l’équipe. Si le prochain vol n’est pour l’instant pas encore programmé, il serait étonnant que l’aventure s’arrête sur cet épisode fâcheux. « On doit encore régler pas mal de choses. Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes encore au niveau de la recherche fondamentale, qui est nécessaire et primordiale avant d’envisager une activité commerciale. On est peut-être encore à 20 ou 25 ans du premier vol apte à transporter du matériel ou des passagers. »
Dans un avenir plus proche, Virgin Galactic devrait organiser son premier vol suborbital commercial. Si les visées et l’appareil sont différents (il n’est pas question ici de faire de longs voyages), la dynamique qui pourrait se créer autour de cette activité ne pourrait être que bénéfique pour tout le secteur. « On suivra cela avec attention, car s’ils réussissent, l’engouement autour de cette nouvelle frontière pourrait nous permettre de débloquer de nouveaux fonds, indispensables à la poursuite de notre projet », conclut Sandy Tirtey.
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