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Par Marc Vanel
Implanté en campagne namuroise à Bovesse, le Domaine du Ry d’Argent est une réussite due avant tout à la pugnacité de Jean-François Baele qui, en plus de ses talents de vigneron, a un sens aigu du commerce. Rencontre avec un entrepreneur qui voit loin.
Alors que sa famille exploitait une ferme de cultures et de bovins laitiers depuis plusieurs générations, Jean-François Baele ne voyait pas l’avenir du même oeil. Habitant juste à côté du vignoble de Philippe Grafé, il y effectue un stage dans le cadre de ses études d’agronomie et l’expérience lui donne des idées. « Philippe a planté en 2003, j’étais alors en 1e année de graduat en agronomie et j’ai commencé à réfléchir à la question. En 2005, j’ai fait mon travail de fin d’études au Chenoy sur l’implantation à grande échelle d’un vignoble en Wallonie et, chemin faisant, cela m’a bien plu. »
Un premier hectare de vignes est donc planté en 2005. Du Regent, comme chez son voisin, un cépage interspécifique résistant mieux aux maladies que les cépages classiques. Deux hectares suivent en 2006, avec du Cabernet-Jura en rouge et du Solaris en blanc, un autre interspécifique, et encore deux autres hectares en 2007, mais avec du Dornfelder cette fois. « Nous ne sommes que trois vignerons en Belgique à avoir opté, au niveau professionnel, pour les interspécifiques : Philippe Grafé, Vanessa et Andy Wyckmans à Bioul et moi. Nous avons été rejoints récemment par la coopérative Vin de Liège. »
Ne pouvant se contenter « de regarder la vigne pousser » pendant les trois premières années de plantation, Jean-François Baele exerce d’abord un autre emploi, hors de la ferme, avant de prendre une pause-carrière pour se donner à fond au Ry d’Argent. « Nous sommes à présent installés. La gamme peut évoluer. J’ai commencé l’élevage en fût de chêne en 2008-2009 pour un rouge sur quatre, maintenant il y en a 2. Je décuple cette année la production du mousseux rosé créé en 2011, on passe ainsi de 1 500 à 15 000 bouteilles ! »
La production tourne à présent autour de 45 000 bouteilles de vin tranquille et de 15 000 de mousseux. Les ventes se font par divers canaux. Une partie en grande distribution, une partie sur place ainsi que dans les foires et salons ou pour des soirées privées. Le métier de vigneron belge serait-il donc rentable ? « Moi j’en vis, confie Jean- François. C’est rentable, mais on a encore des kilomètres à faire avant d’être connus. Certains restaurateurs sont toujours sceptiques quant à la qualité des vins belges, il faut casser les préjugés et donner au vin belge ses lettres de noblesse, comme pour la bière ou le chocolat. Le vin belge, c’est aussi un savoirfaire, une histoire, un terroir. »
Selon lui, la création en juin dernier d’une Association professionnelle des Vignerons de Wallonie (voir encadré) palliera certains manques. « Cela va permettre de mieux nous concerter pour l’avenir, mais également de nous prémunir et de nous professionnaliser encore plus dans la culture même de la vigne. Nous pourrons enfin faire de véritables tests, tout comme le font, par exemple, les producteurs de pommes de terre. »
« Moi j’en vis, c’est rentable, mais on a encore des kilomètres à faire avant d’être connus. Certains restaurateurs sont toujours sceptiques quant à la qualité des vins belges, il faut casser les préjugés et donner au vin belge ses lettres de noblesse, comme pour la bière ou le chocolat. Le vin belge, c’est aussi un savoir-faire, une histoire, un terroir. »
Confiante dans l’avenir, la famille Baele a concédé d’importants investissements en 2011 et prévoit de développer l’accueil du public. Notre entrepreneur entreprenant a en outre ajouté une corde à son arc en achetant une vendangeuse que plusieurs vignerons s’arrachent déjà. « Je récolte encore tout ce qui est mousseux à la main, soit 1 à 1,5 ha. Mais, pour le reste, il n’y a pas photo, je fais un hectare à l’heure avec la machine. À la main, c’est 40 personnes pendant 2 jours. Vu que cela va tellement vite, je vais dans d’autres domaines. Je ne pousse pas à la charrette, mais je sais que lorsque les vendanges viendront, mon téléphone commencera à sonner… Pour l’instant, je vais rester discret au moins jusque milieu 2013 environ, car nous commençons bientôt la maison, plus, plus, plus… Et donc j’ai besoin de temps pour ma vie privée aussi ! » Notre homme prend de la bouteille, c’est certain…
Renseignements
Domaine du Ry d’Argent
Rue de la Distillerie 51 à 5081 Bovesse
+32 (0)81 56 65 45
www.domainedurydargent.com
Association des Vignerons de Wallonie
Trois ans après son équivalente flamande, l’Association a vu le jour le 30 mai dernier. Pour l’heure, elle ne réunit que 18 des 30 vignerons professionnels wallons et aucun de la centaine de vignerons amateurs que compte la Région, mais l’étape est plus qu’importante et, au-delà de la mise en conformité avec la législation, c’est avant l’espoir de voir enfin la profession renforcée.
Depuis 2001, la compétence agricole étant régionalisée, ce n’est plus l’État fédéral qui exécute la politique agricole européenne, mais bien la Région wallonne et la Vlaamse Gemeenschap, avec un ministre fédéral comme porte-parole aux institutions européennes. Au sud du pays, tout ce qui est réglementation, soutien agricole, promotion des produits et, en aval, les arrêtés de mise en application des politiques européennes, est donc du ressort de la Région wallonne.
Représentés auparavant par la Fédération belge des Vins et Spiritueux, les vignerons belges ont donc dû créer deux organisations professionnelles, l’une flamande et l’autre wallonne. Les Flamands furent les premiers à réagir en 2009, n’hésitant pas à se baptiser… « Belgische Wijnbouwers » (vignerons… belges), ce qui ne fit pas accélérer les choses. Côté wallon, grâce au concours de la Fédération wallonne de l’Horticulture à laquelle l’ASBL est aujourd’hui rattachée, l’Association des Vignerons de Wallonie vient de voir le jour sous la présidence d’Henri Larsille (Domaine des Agaises) et la viceprésidence de Philippe Grafé (Domaine du Chenoy).
L’association a pour but « le développement, la mise en valeur et la protection du potentiel wallon de production vitivinicole » et nourrit, entre autres, l’ambition de coordonner et d’encadrer le secteur, de vulgariser des informations en relation avec le secteur, de promouvoir les produits et de développer l’oenotourisme régional wallon. Reste plus qu’à trouver les fonds nécessaires, éternel nerf de la guerre.