- Patrimoine
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Par Christian Sonon
On peut être et avoir été. Présente dans de nombreux et prestigieux édifices anciens, la pierre belge fait toujours bel et bien partie des plans des entrepreneurs et architectes. En raison de sa force expressive, de ses alternatives esthétiques, de ses qualités techniques et de sa forte connotation historico-culturelle, elle reste un des matériaux de prédilection de la création architecturale dans nos régions, comme en attestent les récentes constructions et rénovations signées Charles Vandenhove (Cour Saint-Antoine à Liège, Opéra royal de la Monnaie à Bruxelles ), Claude Strebelle (Sart-Tilman) et Daniel Dethier, dont le bureau d’architecture peut s’enorgueillir de nombreuses réalisations, tant dans les domaines de l’habitat et de la valorisation du patrimoine, que dans celui de l’aménagement d’espaces publics.
Daniel Dethier, quelle place avez-vous donnée à la pierre dans vos projets ?
D.D. — Au cours de la première partie de ma carrière, je l’ai beaucoup utilisée sous forme de moellons pour la construction de maisons dans les Fagnes, ma région natale. En raison de la proximité des carrières de Waimes et de Malmedy, c’est souvent l’arkose qui était utilisé alors. Ensuite, de 1996 à 2013, j’ai abandonné le moellon rustique pour me pencher sur la pierre de taille. Je me suis attelé à l’étude de bâtiments plus importants, faisant l’objet de marchés européens et situés en milieu urbain, principalement à Liège. S’il fallait n’en retenir que trois mettant en évidence l’usage du petit granit, je citerais la réhabilitation des résidences Curtius et Brahy dans l’ensemble muséal du Grand Curtius, les nouveaux bâtiments d’EVS et les amphithéâtres de l’Europe au Sart-Tilman. Mais les défis étaient tout autres ; par exemple, comment tailler les angles ou les baies pour que l’ensemble paraisse massif ?
Et aujourd’hui ?
D.D. — Aujourd’hui, le système est devenu sclérosé, très technocrate. Les cahiers des charges sont souvent des « copier-coller ». Les nombreuses contraintes et références exigées n’accordent plus beaucoup de place à la qualité du projet. Elles sont devenues telles que pour remporter un marché, il faut être spécialisé dans le type de construction demandé. En outre, cela nous a coûté très cher de défendre de gros projets pendant un an ou deux avant d’échouer au stade ultime. Nous avons donc cherché de nouvelles opportunités dans des marchés de niche, telle l’intégration d’écosystèmes locaux dans des contextes urbains. Nous essayons de rendre les bâtiments plus vivants avec du végétal, comme sur les quais de Liège où nous sommes en train de concevoir une forêt verticale sur un immeuble à appartements. Mais la pierre étant un matériau durable, elle reste l’une de nos priorités.
Quel rôle la voyez-vous jouer dans les constructions modernes ?
D.D. — Si l’on ne veut pas qu’elle soit bientôt remplacée par des matériaux ersatz moins coûteux, il conviendrait de lui redonner un rôle structurel, de la reconsidérer davantage comme un matériau porteur. La question technique de la pierre m’a toujours intéressé, mais en la réduisant à sa fonction de revêtement, en l’utilisant pour son aspect décoratif et non pour ses caractéristiques propres, on la conduit à sa perte.
BIO-EXPRESS
1956 — Naissance à Waimes. Jeunesse à Ovifat.
1979 — Obtention du diplôme d’ingénieur civil architecte à l’Université de Liège suivi d’une licence en urbanisme. Il est pendant 6 ans l’assistant du professeur Jean Englebert et travaille en tant qu’architecte indépendant.
1992 — Il fonde le bureau Dethier Architectures.
1993 — Le bureau est lauréat du concours portant sur la construction des amphithéâtres « Europe » pour l’Université de Liège, au Sart-Tilman.
2003 — Lauréat de l’appel d’offre européen pour l’aménagement de la nouvelle place des Guillemins à Liège, il sera ensuite chargé par la Ville de réaliser le projet d’aménagement du quartier de la gare jusqu’à la Médiacité.
2010 — Grand Prix d’architecture de Wallonie.
2013 — Premier Prix des « Urban Intervention Awards Berlin » pour le recyclage du complexe cinématographique Opéra en amphithéâtres pour l’Université de Liège.