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Un centre taillé sur mesure à Soignies

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Hainaut  / Soignies

Par Christian Sonon

Le site classé de la Grande Carrière Wincqz, à Soignies, va être réhabilité pour accueillir un Centre de formation aux métiers de la pierre et du patrimoine. Ce projet heureux était indispensable pour l’avenir de la profession.

Tout est parti d’un constat qu’une étude menée en 2010 à l ’ initiative du Cefomepi (Centre de formation aux métiers de la pierre) a élevé au rang de grande menace. Alors que le secteur doit faire face à une recrudescence de demandes en matière de restaurations et de nouvelles constructions, il souffre d’un manque de visibilité et d’attractivité croissant. Les métiers de tailleur de pierre, marbrier, foreur, débiteur, meuleur, conducteur d’engins lourds, chef mineur… remorquent un train d’images peu attrayantes, voire négatives. Ils n’attirent plus les jeunes et se recouvrent peu à peu de la poussière de l’oubli. Conséquence : les entreprises éprouvent de plus en plus de difficultés à lutter contre le vieillissement du personnel et les départs naturels. Face à l’incapacité de renouveler leur main d’oeuvre et de perpétuer l’emploi, plusieurs d’entre elles seront forcées de disparaître dans les prochaines années.

« Aux yeux du grand public, ces métiers sont considérés comme pénibles, salissants, pas glamour, mal payés, trop sélectifs. Autant d’idées préconçues, comme celle qui assimile l’enseignement professionnel à une filière de relégation. »


Pourtant, l’offre de formation, même si elle est moins riche aujourd’hui, est encore bien présente via plusieurs filières. Les principales ? La formation de tailleur de pierre-marbrier est dispensée en alternance par l’IFAPME, au centre de Mons-Borinage-Centre, à Braine-le-Comte, selon les formules d’apprentissage et de formation de chef d’entreprise. Le Forem propose des formations de base de six mois pour les tailleurs de pierre à Grâce- Hollogne, en région liégeoise, et à Brainele- Comte, en Hainaut. Le centre de compétence ConstruForm met sur pied depuis peu des formations pour tous types de publics à Braine-le-Comte, tandis que le CEFOMEPI organise des formations spécifiques pour les ouvriers carriers en fonction des besoins. Quant aux formations spécifiques au patrimoine et liées à la pierre, elles sont organisées par l’Institut du Patrimoine wallon, à la Paix-Dieu, à Amay. « L’ancienne abbaye cistercienne, en cours de restauration, constitue le support pédagogique idéal pour les nombreuses activités de sensibilisation, de formation et d’information que nous organisons également à l’attention d’un très large public, explique Anne-Françoise Cannella, la directrice du Centre de la Paix-Dieu dédié aux métiers du patrimoine. En dix ans, nos 25 stages autour de la pierre y ont rassemblé 184 participants et ont fait naître d’heureuses vocations. Le problème, c’est le long terme. Aux yeux du grand public, ces métiers sont considérés comme pénibles, salissants, pas glamour, mal payés, trop sélectifs. Autant d’idées préconçues, comme celle qui assimile l’enseignement professionnel à une filière de relégation. » « À Braine-le-Comte, nos deux formules de formation ne rassemblent qu’une grosse vingtaine de personnes, il faut parfois réunir deux classes afin de réaliser des économies d’échelle », renchérit Éric Bergeret, le responsable du centre hennuyer de l’IFAPME. « Chaque année, ils sont une quinzaine de tailleurs de pierre, maximum, à se présenter sur le marché de l’emploi, alors qu’il en faudrait dix fois plus afin de compenser les départs ! »

En créant un centre des métiers sur un site à sauver, l’IPW a fait d’une vieille pierre deux coups

Sur base de tous ces constats, une large réflexion portant sur les filières de formation et la nécessité de mettre en place une structure plus harmonieuse et plus performante a été entamée voici six à sept ans. C’est ainsi qu’est née l’idée de créer un centre des métiers de la pierre par le biais d’une synergie entre les différents partenaires. Parallèlement, dans le cadre de sa mission d’assistance aux propriétaires, l’Institut du Patrimoine Wallon cherchait à donner une nouvelle vie aux bâtiments industriels de la Grande Carrière Wincqz, à Soignies, bâtiments désaffectés qui furent classés en 1992. La solution était donc à portée de pelles. L’accord sur la création du centre fut d’ailleurs scellé sur le site même, le 20 mars 2013, entre les responsables des différents centres de formation : l’IFAPME, le Forem, le CEFOMEPI et le Centre de la Paix-Dieu. « La rencontre des deux projets constitue une belle opportunité de mettre en évidence la complémentarité des différents aspects du patrimoine, explique Anne- Françoise Cannella. La réaffectation envisagée s’intègre parfaitement dans l’histoire du site où elle témoignera de la place prise par le travail de la pierre dans la région au fil du temps. Quant à l’implantation d’un centre de formation aux métiers de la pierre à Soignies, elle répond à une logique évidente compte tenu de l’importance du bassin carrier de la province de Hainaut. En outre, en matière d’emplois, la région disposera d’une meilleure adéquation entre l’offre et la demande, puisque les formations répondront aux besoins des entreprises et à la réalité du terrain. »

Du côté des Carrières de la Pierre Bleue Belge, société anonyme qui a cédé les bâtiments classés de la Grande Carrière Wincqz à la Région wallonne sous forme de bail emphytéotique, le projet s’inscrit on ne peut plus harmonieusement dans la philosophie de la famille Abraham. « Jean-Franz, mon père, s’est toujours battu pour que les métiers techniques soient remis en valeur, explique Émilie Abraham, qui gère aujourd’hui l’entreprise de 240 personnes en compagnie de sa soeur Julie et de son frère Anthime. C’est lui qui fut à l’origine de la création de Skills Belgium* et c’est déjà lui qui tira la sonnette d’alarme, en 2007, pour insister sur l’avenir des métiers de la pierre et l’importance de la formation des jeunes. »

Première phase : les bureaux et la grande scierie

Les bureaux, la grande scierie, le pavillon du treuil, la forge, la menuiserie et le magasin à huile et à clous. Si la zone concernée par la réaffectation comprend plusieurs édifices abandonnés depuis la fin des années soixante – l’exploitation de la Grande Carrière Wincqz s’arrêta, quant à elle, dans les années trente –, l’auteur de projet, c’est-à-dire l’Institut du Patrimoine Wallon, prit la sage décision, devant l’ampleur des travaux, d’échelonner la création du centre en trois phases. « La première portera sur les édifices les plus dégradés, les bureaux et la grande scierie, qui deviendront, respectivement, un pôle administratif et un vaste atelier de taille de pierre dans lequel sera intégré un local de cours, explique Sébastien Mainil (IPW), l’ingénieur architecte qui a conçu le cahier de charges. C’est l’association momentanée de l’Atelier Bribosia de Huy et de la société turinoise TRA qui a remporté le marché. L’appel d’offre a été lancé cet hiver et nous espérons que les formations pourront débuter à l’automne 2016. »

La deuxième phase, elle, concernera la forge et la menuiserie, où des ateliers et des salles de cours supplémentaires seront sans doute aménagés ; puis viendra le tour du magasin et des abords, où l’IPW parle d’installer un centre de documentation et une lithothèque. « Mais les plans ne sont pas figés, note le responsable. Nous verrons les nécessités en cours de route… »

« L’idée est de faire un lieu de référence où pourront se rassembler tous les acteurs du secteur de la pierre en Wallonie. Ce centre proposera les formations actuelles mais aussi de nouvelles, de façon à englober tous les métiers. Il devra aller bien au-delà de la seule pierre bleue locale et porter sur l’ensemble des ressources lithologiques du territoire », conclut Anne-Françoise Cannella.

PIERRE-JOSEPH WINCQZ, LE SÉNATEUR VISIONNAIRE

Des Galeries Royales à Bruxelles, en passant par les digues et les escaliers à Ostende, la place Saint-Lambert à Liège ou les palais de justice d’Anvers et d’Arlon, on ne compte plus – rien que dans notre pays – les sites magnifiés par la présence du petit granit depuis plus de 300 ans. Non loin des célèbres Carrières du Hainaut, les Carrières de la Pierre Bleue Belge assurent la production et la commercialisation des sites du Clypot (Neufvilles), du Tellier des Prés et des carrières Gauthier & Wincqz à Soignies. Ces dernières sont situées à quelques encablures de la Grande Carrière Wincqz et arriveront en fin d’exploitation dans quelques années. Ces sites doivent leur nom à Pierre-Joseph Wincqz (1811-1887), ancien bourgmestre de Soignies et sénateur visionnaire, qui se battit pour le développement du réseau ferroviaire belge. On comprendra aisément que le passage de celui-ci à Soignies, sur la ligne Mons-Bruxelles, fut l’élément moteur de la fulgurante expansion des entreprises dans la région.

* Voir dossier spécial de WAW n°18 (automne 2012) [retourner à lecture du texte]

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