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La belle histoire de la pierre de Gobertange

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Wallonie

Par Christian Sonon

En opposition à la pierre bleue, plus sombre, la pierre blanche calcaire est présente sur deux sites : à Jodoigne, autour du hameau de Gobertange, et dans la région frontalière de Florenville, à Fontenoille. On peut la tailler et la scier – en ce sens, elle est donc proche de la pierre bleue –, mais elle use les outils en raison de la présence de silices (sable). En outre, parce qu’elle est extraite de petits bancs dans les carrières de sable dont les gisements sont souvent très entamés, les blocs sont de petite taille et, donc, les usages plus limités.

Comme pour les pierres du Condroz, où la plupart des entreprises n’emploient qu’une poignée de personnes et où la production est réduite, la pierre blanche est un matériau local qui fait la spécificité du terroir. En Gaume, on la trouve sous forme de moellons pour la construction, dans les pavements extérieurs et les contours de fenêtres. En Hesbaye, son application s’étend du moellon à la pierre de taille, mais elle s’est également forgé une réputation dans le domaine artistique.

La pierre blanche a une longue et belle histoire en ce sens qu’elle a servi de matériau de base dans la construction de nombreux édifices prestigieux depuis le Moyen Âge (voir plus loin). « Dans le paysage bruxellois, si la pierre bleue se retrouve dans les soubassements, les contours des fenêtres, les angles, les balcons, les corniches…, les parties principales sont constituées de pierres blanches qui sont plus résistantes », note Francis Tourneur.

« La pierre a presque disparu de nos outillages. Aujourd’hui, seuls les artisans peuvent rencontrer l’homme préhistorique sur le terrain de la maîtrise, de l’intelligence du geste, de la vision technique, des savoirs sensoriels. »
— Fernand Collin, préhistorien. Dans Vies de pierres


PIERROT BERNARD EST NÉ SOUS UNE BONNE VEINE

Il y a 48 millions d’années – on vous passe les décimales – , à l’âge du bruxellien, une couche de roche blanche composée majoritairement de calcite se forma dans les profondeurs de notre sous-sol où elle se fraya patiemment une voie à l’abri des regards des envieux et autres spéculateurs. La suite alla très vite : le 13 décembre 1947, dans le hameau de Gobertange, à Mélin, un petit bout donna de tels coups de maillet et de burin dans le ventre de sa maman que celle-ci n’eut pas le coeur à le tenir enfermé plus longtemps. À l’heure de graver son nom dans les registres paroissiaux, ses parents l’appelèrent Pierrot, car il était si petit qu’il pouvait tenir dans un sabot. Son destin, cependant, allait être d’une autre pointure, car l’enfant était né précisément là où le gisement de calcaire gréseux, originaire de Bruxelles, était venu mourir d’épuisement. Là, surtout, où les qualités de la pierre blanche avaient éclaté au grand jour permettant, au fil des siècles, la construction d’édifices majestueux, tels l’Hôtel de Ville et la cathédrale saints Michel et Gudule à Bruxelles, la cathédrale de Malines, les halles d’Ypres, l’église Saint-Pierre à Louvain... Mais si, pour les habitants de Gobertange, ce gisement était une veine, puisqu’il fut la terre nourricière de nombreuses générations de tailleurs de pierre – au XVIIIe siècle, on dénombrait une cinquantaine de puits dans le village –, pour le cadet de la famille Bernard, cette veine à ciel ouvert était l’espoir d’une grande carrière !

Apprenti tailleur en culottes courtes

L’aventure commença à l’aurore, peu après la mort de son père. Pierrot n’avait pas encore 14 ans, en 1961, quand il s’en alla par les chemins se faire la main dans une entreprise bruxelloise, avec pour seul bagage les rudiments du métier que son grand-père maternel lui avait enseignés alors qu’il était encore trop petit pour qu’on lui taille un pantalon. Son premier argent, le jeune apprenti le gagna à la Bourse, lorsqu’il fit ses griffes sur les lions devant l’entrée du temple en rénovation. Après dix années de labeur tuant, il entra dans une entreprise funéraire installée à Linsmeau (Hélécine) où il apprit à travailler la pierre bleue. En même temps, un « ancien » lui montra comment dégrossir un bloc pour sculpter une pièce. « J’ai vite appris à rentrer dans la matière en taille directe pour obtenir ce que je veux ! », lance-t-il aujourd’hui, des perles de lumière dans les yeux et les habits maculés de poussière blanche.

Salut l’artiste !

Ce qu’il voulait ? Attaquer la matière, la transformer, la ciseler, lui donner une autre vie. Les pierres grossières destinées aux bâtiments, aux cheminées ou aux contours de fenêtre ressortaient polies de ses mains expertes. Se rendant compte qu’il était très demandé, car il travaillait vite et bien, Pierrot Bernard se mit à son compte à l’âge de 32 ans. Les commandes se multiplièrent alors tout en se diversifiant, l’artisan tailleur de pierre cédant de plus en plus souvent la place à l’artiste. Il remplaça des pinacles sur la cathédrale saints Michel et Gudule, planta – à sa mode – des choux frisés sur ceux de l’Hôtel de Ville de Bruxelles, sculpta des baldaquins pour l’église Notre- Dame de Tirlemont, enfanta vierges et saintes pour les chapelles et potales de sa région natale et, même, fit sauter ses anciens camarades de classe du banc d’école au banc de pierre en sculptant leur visage dans la Gobertange…. « Ce qui me passionne dans ce métier, confiet- il, c’est que je réalise chaque jour quelque chose de différent ! Tenez, lorsqu’Albert II a abdiqué, un représentant du Sénat est venu me demander une oeuvre en guise de cadeau. C’est ainsi que j’ai offert au Roi un disque de pierre gravé d’inscriptions renvoyant à ses discours… »

Pas encore la fin de carrière

Aujourd’hui, Pierrot Bernard travaille avec ses enfants, Patrick (46 ans) et Gaëtan (31 ans), au sein de la S.A. Bernard Pierrot et Fils, une entreprise qu’il a fondée en 1997, lors du rachat des chantiers Dewart. La société familiale est la dernière à encore exploiter la Gobertange qu’elle extrait durant les mois d’été, le reste de l’année étant consacré à la taille en fonction des demandes. Parmi celles-ci, nombreuses concernent des restaurations de patrimoine, comme la cathédrale Saint-Bavon à Gand, pour laquelle 131 m3 de pierres devront être remplacés prochainement. Mais qu’en est-il de son exploitation ? Le destin d’une carrière n’est-il pas de se vider, comme le déclarait l’historien Gérard Bavais ? « Le site que nous avons racheté s’étend sur douze hectares, dont cinq seulement sont exploités. Nous sommes donc loin d’en être venus à bout », lance Pierrot. Et la sienne, de carrière, en voit-il la fin ? « J’ai 66 ans mais je n’éprouve nullement l’envie de raccrocher mes outils. Ce n’est pas le travail qui manque… Je n’ai pas encore eu le temps de réclamer ma pension ! », lâchet- il d’un bloc.

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