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© Bruno Deheneffe

Au chevet du château de la Royère

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Hainaut  / Néchin

Par Bruno Deheneffe

Édifié sous le règne de Philippe Le Bel au coeur de la campagne néchinoise, cet édifice fortifié, unique en Europe, nécessitait une restauration urgente. Son sauvetage s’est amorcé en octobre dernier.

A Néchin, non loin de la frontière française, subsistent les vestiges classés d’un très vieux château fortifié qui, jusqu’il y a peu, était voué à disparaître du paysage et à sombrer à jamais dans les oubliettes d’un glorieux et lointain passé. Il aura fallu que les propriétaires du domaine de la Royère remuent ciel et terre et sollicitent les pouvoirs publics pour réanimer ces vieilles pierres chargées d’une longue et riche histoire. Depuis l’été 2011 et les récents sondages archéologiques, on en sait beaucoup plus sur l’histoire de ce château qui, pour l’occasion, ne s’est pas fait prier pour livrer de nouveaux secrets.

Dirigée par Isabelle Deramaix (Service Public de Wallonie), cette campagne de fouilles estivale a d’abord permis d’apporter des réponses probantes par rapport aux problèmes d’instabilité qui mettent en péril ce qu’il reste de l’édifice médiéval. Elle a, en outre, fourni de précieux indices à même de dater sa construction avec plus de précisions. « L’exploration du sous-sol combinée à cette étude approfondie du bâti renouvelle toute la connaissance du site, explique l’archéologue. Plus aucun relevé n’avait été effectué ici depuis la fin du XIX e siècle, 1884 exactement. »

Il résulte des investigations fructueuses menées l’an dernier dans la campagne d’Estaimpuis, à mi-chemin entre Tournai et Mouscron, que l’enceinte actuelle — dont la forme décagonale lui confère une valeur architecturale unique en Europe — est bien plus récente que ce qu’imaginaient les historiens. « On a longtemps cru que son édification remontait vers le milieu du XIII e siècle tout en l’attribuant à Arnould IV d’Oudenaarde dont on sait avec certitude qu’il prit possession du château en 1227. À l’époque, le mari d’Alix de Rosoit, fondatrice de l’hôpital Notre-Dame à la Rose de Lessines (1), était au service des comtes de Flandre. Mais, comme il est mort en 1242, il est impossible qu’il en soit le bâtisseur », poursuit Isabelle Deramaix.

En revanche, des évènements politiques majeurs surviennent dans la région à la fin du XIIIe siècle et débouchent sur la conquête de la Flandre par un certain Philippe le Bel. Réquisitionné par les troupes françaises, le château de la Royère sera ensuite occupé par les garnisons flamandes après la bataille des Éperons d’Or. Au lendemain de celle de Mons-en-Pévèle (Département du Nord), il reviendra à la France. Tout indique que les remparts encore visibles de nos jours ont vu le jour aux alentours de 1305. Des preuves tangibles contribuent à accréditer cette hypothèse. « Les seuls documents qui attestent de travaux sur cette enceinte datent de 1311 et révèlent que leur exécution provient d’une commande de Pierre de Galare. Ce dernier était le maître-arbalétrier de Philippe le Bel et l’un des plus hauts dignitaires de l’armée sous son règne. »

 

Pour asseoir son pouvoir, celui que l’on surnommait le roi de fer ou de marbre avait l’habitude de faire construire de nouvelles citadelles tout en s’appropriant d’anciens châteaux en vue de les moderniser. À l’image de celui de la Royère qui devint un point stratégique et une zone de repli pour ses soldats sur ces territoires nouvellement conquis.

 

Pour asseoir son pouvoir, celui que l’on surnommait le roi de fer ou de marbre avait l’habitude de faire construire de nouvelles citadelles tout en s’appropriant d’anciens châteaux en vue de les moderniser. À l’image de celui de la Royère qui devint un point stratégique et une zone de repli pour ses soldats sur ces territoires nouvellement conquis. « L’enceinte existante marque la transition entre une architecture militaire très en vogue à la fin du XIII e et le style décoratif qui va se développer à l’entame du siècle suivant. Raffinée et élégante, celle-ci se caractérise entre autres par un jeu de moulures, de quatre tours et de cinq tourelles circulaires sur contrefort. Sa qualité majeure réside dans son plan décagonal. Il existe peu d’exemples comparables en Belgique et même à l’étranger. » Le château de la Royère est même, semble-t-il, le seul de ce type qui subsiste encore alors que le roi de France Philippe le Bel en avait érigé trois autres à Lille, à Bruges et à Courtrai.

Outre des tessons de céramique, Isabelle Deramaix et son équipe n’étaient pas au bout de leurs surprises. En remuant les terres de remblais, ils ont exhumé les ossements d’un cheval au crâne défoncé (peut-être par un boulet de canon), mais surtout un squelette humain n’ayant visiblement pas eu droit à une sépulture digne de ce nom. Âgé d’une trentaine d’années, cet homme avait les pieds joints et les mains ligotées dans le dos. Il s’agit manifestement d’un prisonnier que l’on a laissé mourir de faim ou tué avant de le jeter dans une fosse, non loin du donjon central qui, jadis, s’élevait à 30 m de hauteur et dont les murs de fondation présentent une épaisseur de 2,40 mètres ! « Les datations radiométriques réalisées sur ce squelette mis au jour dans les parties les plus anciennes du château permettent d’affirmer que l’ouvrage d’origine remonte à la fin du XII e siècle. »

Valeureux propriétaire

Jusqu’à la Révolution française, des nobles ont successivement occupé le château de la Royère avant que celui-ci ne soit racheté en 1880, à des fins agricoles, par les ancêtres d’Olivier Moulin, l’actuel propriétaire. « Lorsque mon grand-père paternel a pris possession de ce bien pour y cultiver des terres, il l’a négligé sans avoir conscience, hélas, de sa valeur historique. »

Se rendant compte qu’il n’aurait jamais la possibilité d’entreprendre sur fonds propres le vaste chantier de restauration qui s’impose, Olivier Moulin a néanmoins pu convaincre l’Institut du Patrimoine Wallon de se pencher sur le sort d’un château fort familial désormais répertorié sur sa liste prioritaire.

En octobre dernier, huit stagiaires, parmi lesquels un architecte, des ouvriers de la ville de Tournai ainsi que des étudiants, se sont rendus au chevet des ruines fragilisées. Sous la direction de Jacques de Pierpont, expert maçonnerie ancienne, ils ont procédé durant une semaine aux premiers travaux de consolidation dans le cadre d’une formation mise sur pied par le centre des métiers du patrimoine La Paix-Dieu basé à Amay. Pour mémoire, favorisant la transmission des savoir-faire, la maîtrise des techniques et la connaissance des matériaux spécifiques au petit patrimoine, l’IPW s’est aussi fixé pour mission d’épauler les détenteurs de biens classés dans des dossiers de rénovation et de réaffectation. « Avant de pouvoir intervenir correctement sur le site, le propriétaire et les participants au stage ont abattu un énorme travail de défrichage tant la végétation avait repris ses droits. Il a également fallu faire baisser d’un bon mètre le niveau des eaux coulant dans les douves afin de disposer les échafaudages au pied des parois à restaurer », précise Ingrid Boxus, coordinatrice de la cellule « stages » de la Paix-Dieu.

La tâche n’est pas mince en raison de l’ampleur des dommages causés par le temps et l’indifférence passés. « Des parements risquent de s’écrouler, d’autres manquent et justifieront dans les prochains mois un second stage portant, cette fois, sur la taille de pierre. Au total, deux tonnes de matériaux ont été acheminées sur place », ajoute encore Ingrid Boxus. Au travers de ces travaux de maintenance, Olivier Moulin se voit enfin récompensé, lui qui, depuis son adolescence, ne ménage pas ses efforts pour valoriser ce château à sa juste valeur architecturale et patrimoniale. « Si on parvient à le consolider et à le restaurer dans son apparence actuelle, ce serait déjà très bien. Nous pourrions entrevoir une forme de mécénat avec des entreprises dont les activités sont en lien direct avec ce matériau premier qu’est la pierre calcaire de Tournai et avec laquelle le château a été construit. »

Projet touristique vivant

Autour de celui-ci, le propriétaire entend promouvoir un projet touristique durable en s’inspirant du château de Guédelon (Bourgogne). « Ce site abrite un chantier d’archéologie vivant qui attire chaque année 300 000 visiteurs passionnés de culture médiévale. Voilà un concept et une thématique que l’on pourrait fort bien transposer à la Royère. » Olivier Moulin compte bien attiser la curiosité de professeurs d’université, de philosophes et de conférenciers afin de renforcer le pouvoir d’attraction du site ainsi que sa puissance évocatrice. « Mon ambition est d’ouvrir ces lieux à la collectivité et de faire en sorte que les visiteurs repartent instruits et dépaysés. » Dans l’attente que ses voeux soient pleinement exaucés, le propriétaire se fait un plaisir d’organiser des visites guidées à la demande des écoles et des amoureux de vieilles pierres… qui ont tant de choses à raconter. ■

(1)  Voir article paru dans notre numéro 10 (septembre 2010)


Tous en stage

Classées comme monument depuis le 17 mars 1944, les ruines du château de la Royère ont été inscrites sur la liste des biens de l’Institut du Patrimoine Wallon lors de la dernière révision de cette liste en date du 19 juillet 2012.

Dans ce cadre, la cellule de stages du Centre des métiers du patrimoine La Paix-Dieu a organisé en partenariat avec la Direction de l’Archéologie et le service de Maintenance de la Direction de la Restauration du Département du Patrimoine (SPW), l’Institut du Patrimoine wallon (IPW) un stage de consolidation de maçonneries anciennes en pierre.

Informations : 

Rue du Château de la Royère
7730 Néchin
Tel. : +32 (0)56 481 377

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