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© © N. Arias-Arena

Prisonnières dans les jardins de Seneffe

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Hainaut  / Seneffe

Par Marie-Marthe Angelroth

Jusqu’au 11 novembre, une trentaine des sculptures de Félix Roulin jalonnent le parc et les jardins du Domaine de Seneffe. L’occasion de (re)découvrir l’œuvre monumentale de ce sculpteur dinantais passionné par le bronze et qui fond lui-même ses pièces dans sa ferme à Biesmerée.

© N. Arias-Arena

Les portes-sculptures du Mac’s, au Grand Hornu, figurent parmi ses œuvres les plus connues, mais on lui doit également « L’Arche du Millénaire » devant la maison communale d’Andenne, les sculptures de la place Pierre de Coubertin à Louvain-la-Neuve ou « Les Ages de l’Humanité » sur le site de l’Hôpital Marie Curie à Lodelinsart, œuvre monumentale de forme pyramidale dans laquelle l’artiste a mêlé la pierre, le bronze, le fer, l’acier inoxydable et des métaux rares comme le titane.

Mais si Félix Roulin est à l’aise sur tous les terrains, de toutes les matières, c’est le bronze qu’il préfère. Il est d’ailleurs au cœur de son œuvre : des formes humaines emprisonnées dans de l’acier Corten ou de l’inox. L’ensemble prend souvent la forme d’une colonne ou d’une arcade, voire d’une porte. Des visages, des mains, des pieds, des courbes féminines s’y sont fait piéger et tentent de s’échapper. Figé mais tout en mouvement.

C’est à cet artiste qui a laissé sa « trace » en de nombreux endroits en Belgique et même à l’étranger et qui, à 87 ans, poursuit inlassablement son œuvre dans son atelier à Biesmerée (Mettet), que les responsables du Domaine de Seneffe ont fait appel cet été. Depuis 2005, en effet, le domaine ouvre son parc et ses jardins à différents artistes actuels en leur proposant soit une thématique avec laquelle ils peuvent composer à plusieurs, soit une exposition personnelle dans un espace ouvert. Cette alternance est devenue un rendez-vous incontournable pour qui se passionne pour l’art contemporain et actuel (souvenez-vous de l’exposition de photos géantes en plein air dans le cadre des festivités de Mons 2015). Voici donc venu le tour de Félix Roulin dont une trentaine des sculptures animent le domaine jusqu’au 11 novembre (entrée gratuite).

Des souliers rouges aux bottes de t’Serclaes

« J’étais justement à la recherche d’un cadre extraordinaire pour mes sculptures qui sont de plus en plus monumentales. J’avais pensé à divers lieux patrimoniaux et l’opportunité s’est présentée, ici, à Seneffe, explique le Dinantais d’origine. C’est un endroit magnifique.L’architecture du XVIIIe donne une structure intéressante à l’ensemble. Quand on fait de l’art monumental, le rapport avec l’architecture est important. J’aime particulièrement la Cour d’honneur. C’est par cette entrée que les gens arrivent et c’est pourquoi j’ai choisi d’y placer mes dernières pièces, à côté de quelques anciennes. »

Des colonnes, principalement, avec des personnages emprisonnés, évidemment, mais plus les œuvres sont récentes, plus les fragments visibles sont grands. Les colonnes s’ouvrent, les corps se libèrent de la matière brute et l’imagination s’envole. Le public peut ainsi suivre la chronologie de son travail. Les âges de Félix Roulin.

Au centre de la cour, une œuvre interpelle : « Souliers rouges », inspirée du conte d’Andersen. C’est l’agrandissement d’une petite sculpture où les pieds de la petite fille sont d’une taille normale tandis que les souliers sont en miniature. Ici, ce sont les souliers qui sont à échelle normale et les pieds agrandis. La sculpture trouve un écho dans « Les bottes de t’Serclaes », qui ont marché de la place de Tilly, d’où ce seigneur du XVIe siècle était originaire, pour venir se planter dans l’un des jardins du domaine.

Des œuvres qui racontent une histoire

A l’arrière du château, le parc de 22 hectares qui invite à la promenade est partagé entre pelouses, allées, haies et pièces d’eau. Chaque année, c’est l’un des défis proposés aux artistes qui doivent s’y confronter et composer avec ces espaces de nature et de forme très variées. Comme cette structure en bronze et inox placée devant le grand bassin ou le portique « Génération » qui ouvre sur le grand parterre. « J’essaie d’y placer mes sculptures de façon cohérente », explique l’artiste qui, fait exceptionnel, fabrique lui-même ses pièces dans sa fonderie à son domicile. « Une partie que j’apprécie particulièrement, ce sont les cubes de verdure. Là, je me suis amusé un peu 

© R.Rouer

Amusé ? Derrière les haies qui quadrillent le Jardin des trois terrasses, le sculpteur a choisi d’exhiber des sculptures plus anciennes, la plupart datant des années 80 et 90. Ici aussi les corps sont confrontés à la matière. Mais ils sont cette fois libérés. Enfin… façon de parler car le bras d’Icare – tout ce qui reste du téméraire – est toujours attaché à l’aile qui l’a entraîné dans sa chute. Dans un autre cube de verdure, c’est précisément un morceau du bras qu’il manque à cette amazone en train de bander fermement un arc. Un puzzle à reconstituer ? Oui, celui de l’imagination de l’artiste. « Ces œuvres racontent une histoire. Je suis sensible à l’Antiquité, aux légendes, aux contes... Dans le processus de création, je m’intéresse de plus en plus à la signification. Qu’est-ce que ça raconte, qu’est-ce que j’ai envie que ça raconte ? »

Toucher c’est comprendre

Vous êtes sceptique ? N’hésitez pas à toucher les pièces, à caresser les formes. Pour l’artiste, une sculpture doit être touchée pour être véritablement comprise. « C’est normal ! La sculpture est un art qui utilise tous les sens. Nous sommes dans une époque où on privilégie l’image (via les écrans des télés et des ordinateurs) mais de nombreuses sensations manquent : le rugueux, le lisse, le chaud, le froid, le lourd, le léger, l’humide... Tout ça n’existe pas à l’image. La sculpture l’apporte, l’utilise et le communique. »

Ainsi parlait Héphaïstos dans sa forge.

 +32 (0)64 55 69 13

www.chateaudeseneffe.be

 

Un artiste complet

Né en 1931 à Dinant, où on lui doit le monument Adolphe Sax représentant des femmes et des saxophones emprisonnées dans la matière, Félix Roulin est le digne héritier de ces dynasties de dinandiers qui ont travaillé le cuivre. Sa vocation a-t-elle été influencée par les rochers en croûte qui surplombent la Meuse ? Toujours est-il que le futur sculpteur a des fourmis dans les doigts et de l’attirance pour toutes les matières. Il se forme à l’école des métiers d’art de Maredsous où il enseignera ensuite, avant d’être professeur d’art du métal puis de sculpture à l’Institut supérieur d’Architecture et d’Art décoratif de La Cambre, à Bruxelles. En 1961, il reçoit le Prix du Musée Rodin à la Biennale de sculpture de Paris. Il commence alors à exposer un peu partout en Belgique, mais également à Paris, Sao Paulo, etc.

Son œuvre se caractérise par des sculptures monumentales qui trouvent leur écrin dans les espaces publics, en ville ou dans la nature. Artiste complet – il est aussi expert en orfèvrerie –, ses créations naissent en quelques traits sur le papier et prennent leurs formes définitives dans sa fonderie à Biesmerée. C’est là, dans le cadre tranquille d’une ferme réaménagée, qu’il poursuit inlassablement son œuvre tout en transmettant sa passion à des jeunes sculpteurs.

 

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