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Par Gilles Bechet
Des investisseurs chinois implantent un centre d’innovation technologique dans le parc scientifique de Louvain-la-Neuve. Les entreprises belges et chinoises pourront y partager des informations ou des projets de recherche et préparer l’accès aux deux marchés dès 2020.
Avec son marché au potentiel de développement immense, la Chine fait office de nouvel Eldorado pour de nombreuses entreprises belges. Il en va de même pour les firmes chinoises alléchées par le Grand marché européen, mais il n’en reste pas moins que l’accès reste difficile de part et d’autre, pour des raisons tant administratives que culturelles. Un point de passage, de discussion et d’échange pourrait s’avérer bien utile. C’est ce que propose le futur China Belgium Technological Center qui devrait entamer ses activités en 2020 et dont les premiers travaux de terrassement viennent de débuter sur le site du parc scientifique Einstein de Louvain-la-Neuve.
Attentes immenses
Ce sera un centre d’entreprises ‘all-in’ destiné aux sociétés chinoises high tech ainsi qu’aux sociétés européennes intéressées par le marché chinois. À terme, il pourrait accueillir environ 200 entreprises et 1 500 emplois. Dans sa première phase, le complexe immobilier offrira un centre de conférence, un espace de coworking un business center, des bureaux sur mesure, ainsi qu’un hôtel. L’idée de ce projet remonte à la visite du Président Xi Jinping en Belgique en mars 2014 et à un premier accord signé avec le premier ministre de l’époque Elio Di Rupo. Côté chinois, les attentes sont immenses, notamment dans le sillage de l’initiative One Belt, One Road, aussi appelée la « Nouvelle Route de la soie » qu’a lancée le Président chinois en 2013 avec l’objectif de promouvoir une économie ouverte et d’accroitre les échanges économiques et commerciaux entre son pays et le reste du monde.
Des contacts existaient entre la Wallonie et la province de Hubei et sa capitale Wuhan, où un projet d’incubateur pour start-ups des secteurs High-Tech a été lancé avec une université. D’où la proposition faite à l’UcL de reproduire cette structure sur les terrains disponibles dans le parc scientifique.
Ecosystème complet
Les promoteurs du projet ont choisi les secteurs d’activité les plus porteurs, à savoir les sciences du vivant, les technologies de la communication, les technologies vertes et enfin l’industrie intelligente (ou smart manufacturing), secteur prioritaire pour les Chinois qui veulent par là développer des procédés de fabrication plus automatisés, intuitifs et durables. Le CBTC sera le plus important incubateur chinois en Europe, car si d’autres existent en Grande Bretagne, en Allemagne ou en France, ils sont limités à un seul secteur d’activité. « Notre objectif premier » précise le Dr Zhiwei Song, business director de UI International qui pilote le projet, « est de faciliter concrètement les rencontres et collaborations entre des entrepreneurs belges, ou européens, et leurs homologues chinois ». Pour les entreprises chinoises, l’intérêt est stratégique. Ils pourront d’une part développer des accords technologiques avec des entreprises belges pour améliorer leurs produits grâce à la « qualité européenne » et répondre à une demande croissante du marché chinois. Ils pourront aussi adapter leurs produits au marché européen où les attentes des consommateurs sont spécifiques et le niveau de normes et régulations généralement plus sévère.
De leur côté, les entreprises belges qui souhaitent s’implanter sur le marché chinois y trouveront des interlocuteurs pour leur faciliter l’accès par un accompagnement en matière de droit, de financement, de propriété intellectuelle et de brevets, et plus généralement, sur la manière de faire du business en Chine. C’est aussi un accès direct à un réseau d’interlocuteurs chinois, ce qui peut se révéler précieux quand on sait que là-bas commerce et business sont encore très dépendants du relationnel. Comme le souligne la présence dans le parc scientifique, l’incubateur sera ciblé sur les technologies de pointe. « Les entreprises seront sélectionnées suivant des critères très stricts et un vrai potentiel de recherche et développement. Toutes les candidatures devront être acceptées tant par le parc scientifique que par le CBTC. De notre côté, nous fournissons des services et nous ferons en sorte que les entreprises aient suffisamment d’occasions pour se rencontrer, quelle que soit leur stratégie et le degré de partenariat qu’elles souhaitent développer. » Grâce à la proximité de l’université, le centre souhaite créer un écosystème complet où l’éducation et la recherche, l’innovation et le commerce participent ensemble à une coopération technologique entre les deux continents.
Projet technologique
À deux ans du début d’activité, aucune compagnie n’a encore marqué son accord définitif. En Chine, un groupe de cinq personnes fait jouer les réseaux officiels ou professionnels pour vanter les avantages de l’incubateur. Plusieurs grands noms ont déjà été approchés, mais le Dr Song préfère ne pas encore dévoiler leurs noms. Côté UcL, différentes séances d’information ont déjà été organisées sur le parc scientifique et dans les cercles d’entreprises. « Il y a encore des questions et des appréhensions » précise Philippe Barras, DG de l’UcL et responsable de la promotion et la gestion des Parcs scientifiques. « Mais les gens ont bien compris que ce n’est pas du B to C mais bien un projet technologique. » Philippe Barras veut cibler en priorité les entreprises qui ont une expérience à l’export et qui ont l’intention de prendre pied sur le marché chinois.
« Pour les start-ups, on s’est rendu compte que ce n’est pas le meilleur service à leur rendre que de les lancer dans ce bain-là, quand elles sont encore commercialement ‘trop tendres’. Les entreprises chinoises, par contre ont plusieurs fois manifesté leur intérêt d’investir dans des start-ups européennes. »
Pour l’UcL, le CBTC offre aussi des retombées indirectes au niveau académique. Des collaborations existent avec des laboratoires universitaires chinois pour des programmes de recherche, mais ce ne sont pas des initiatives coordonnées. Consciente du retard, notamment par rapport aux universités flamandes, l’université en a fait une priorité stratégique en ouvrant un « China Desk » « Notre objectif est d’augmenter les collaborations académiques, faciliter les échanges de professeurs et augmenter les présences d’étudiants chinois sur le campus. Le CBTC pourra agir à cet effet comme un levier. »
Volet culturel
L’investissement de UI Europe à Louvain-la Neuve comprend aussi un volet immobilier. Pour répondre à l’arrivée sur le site de nombreux expats chinois, les gestionnaires du CBTC prévoient la construction de 300 appartements répartis sur trois sites de la ville universitaire. Soucieux d’intégrer au mieux leurs compatriotes à la population de Louvain-la-Neuve, ils ont souhaité y intégrer un volet culturel qui s’est concrétisé par une contribution d'un million d'euros à la rénovation du Musée de Louvain-la-Neuve. À charge pour le musée, d’organiser chaque année, une édition du « China L Festival » qui contribuera à l’intégration des deux communautés par la culture.
Mais au fond, pourquoi Louvain-la-Neuve et la Belgique ? Aux arguments déjà relevés d’un positionnement stratégique au cœur de l’Europe, le Dr Song ajoute l’excellente collaboration au plus haut niveau entre les autorités des deux pays, et un dernier argument plus inattendu et sentimental. « Il y a très longtemps, les Belges ont soutenu les Chinois pour la construction du chemin de fer reliant Pékin à Wuhan, or le directeur de WuHan EastLake Hi-Tech Innovation Center, partie prenant du projet, est originaire de Wuhan. » Pour lui, il ne fait pas de doute que si nous voulons étendre nos réseaux, il faut d’abord faire appel à ceux qui nous ont déjà aidés. Et enfin, ajoute le Dr Song. « Les Belges sont un peuple très pragmatique. Vous parlez peu, mais vous agissez. Ce qui est très similaire au mode de de pensée des Chinois. »
UNE RÉFÉRENCE POUR LE PARC
Les futurs bâtiments du China Belgium Technological Center s’implanteront dans le Parc scientifique Einstein à proximité immédiate de Louvain-la-Neuve. Le projet financé par United Investment Europe, à hauteur de 200 millions d’euros s’étendra sur 28 000 m2. L’ensemble des bâtiments comprendra bureaux, des laboratoires, un hôtel de 160 lits, un centre de services et de conférences, de la logistique et des parkings. La mise en œuvre chantier a été confiée à une association momentanée formée des constructeurs belges Franki, CIT Blaton, et BPC, sous la supervision du bureau d’architecture baev/archipelago. Le site, qui s’étend sur huit hectares entre la N4 et l’E411, occupe un vallon coupé en son centre par une route. Pour créer une unité fonctionnelle, le centre s’élèvera sur un socle formé d’un double plateau posé par-dessus la voirie. Les cinq bâtiments qui composent la première phase du projet reprennent le matériau caractéristique à Louvain-la Neuve, la brique et le béton. Autre particularité remarquable du site, les eaux de pluie seront totalement récupérées, stockées et recyclés dans des jardins de pluie ou pousseront roseaux et iris. Comme c’est le cas avec les incubateurs similaires en Chine, tout le site s’organise autour d’une place publique. « La volonté du maître d’œuvre est de favoriser l’échange entre les Belges et les Chinois, les Chinois et les Belges », explique Jean-Sébastien Mouthuy, coordinateur du projet chez archipelago, « ce sera un lieu de rencontre ouvert à tous, qui créera, on l’espère une référence pour le parc scientifique. »