- Star Waw
Par Catherine Moreau
SOPRANO ET PROFESSEURE DE ZUMBA
Artiste lyrique de renommée internationale, Céline Scheen magnifie des œuvres baroques avec les plus grands ensembles et des chefs renommés. Et troque régulièrement des tenues de concert pour un legging et un débardeur convenant à ses cours de zumba.
Talentueuse, Céline Scheen, exprime souvent le souci d’offrir le meilleur à son public et l’appréhension de ne pas y parvenir totalement. Rencontre avec une artiste modeste et attachante dont le récit est jalonné de grands éclats de rire cristallin.
Comment une petite fille née dans une famille nombreuse et accueillante en est-elle venue à la musique ancienne ? Plombières, où elle a passé son enfance, c’est un village orphelin de ses activités minières d’autrefois. « Avec des maisons ouvrières, des gens ancrés dans le présent. Cela me touche beaucoup, explique-t-elle. J’y retourne parfois, explorant, avec ma fille Farah (11 ans), un terril où l’on trouve des fleurs rares dont des ravissantes petites pensées. »
A l’émission Jeunes solistes
L’année suivante, l’enseignante envoie son élève à l’émission Jeunes solistes, de la RTBF, où la jeune soprano chantera des airs de Mozart et de Donizetti et gagnera le Prix du Public. Inoubliable ? « Pas tant que cela, nuance-t-elle. J’y ai perçu ce qu’était le métier, la pression, l’impératif de faire les choses parfaitement. »
Elle opte pourtant pour la musique, non sans être tentée par la psychologie. Le directeur du Conservatoire de Verviers, Guy-Philippe Luypaerts – le papa de Maurane – lui donne « le souffle pour aller plus loin ». Au Conservatoire de Mons, Céline Scheen apprend le chant avec Marcel Vanaud qui lui proposera d’y donner quelques cours ainsi qu’au Conservatoire de Bruxelles.
« Mais je ne parvenais pas à me projeter dans la vie professionnelle, dans le métier de chanteuse lyrique tel que je le concevais », explique-t-elle. Elle décroche une bourse pour aller étudier le chant durant deux ans à la Guildhall School of Music and Drama, à Londres. « C’était dur, exigeant. Au début, je n'arrivais pas à trouver mon identité de chanteuse et de musicienne. Véra Rosza, grande pédagogue, m’a aidée à trouver le timbre, la couleur de ma voix. »
« Je travaille énormément la langue car tout autant que le son de la voix, ce sont les mots, le message que le public va recevoir. »
© Michal Novak
Céline Scheen en compagnie du contre-ténor allemand Valer Sabadus.
Attirée par les chansons contemporaines
A la lisière de l’Allemagne et des Pays-Bas, la soprano a puisé l’envie « d’ouvrir les fenêtres », de connaître d’autres cultures, d’autres langues. « Mes parents s’exprimaient en français, en allemand et, entre eux, en patois que j’entendais aussi parler dans le village. Mais si avoir baigné tôt dans d’autres langues est sans doute précieux dans mon métier, je travaille énormément la langue orale : tout autant que le son de la voix, ce sont les mots, le message que le public va recevoir. »
Petite, Céline Scheen souffrait de problèmes pulmonaires ; le médecin conseilla la pratique d’un instrument à vent. La voilà donc, vers 6-7 ans, à apprendre la flûte à l’Académie de Welkenraedt. « Si j’adorais lire les notes, cet instrument ne m’a jamais attirée », se souvient-elle. Elle y ajoute le chant, au Conservatoire de Verviers. « Là, c’était vraiment mon choix. Je ne rêvais que de chansons contemporaines, mais, très habilement, ma professeure, Annie Frantz, m’a expliqué qu’indépendamment des styles et des époques, il s’agissait d’apprendre des techniques vocales, de travailler le souffle… »
Le Roi danse
Le hasard ou la chance s’en mêle. La soprano participe à l’enregistrement de la bande originale du film Le Roi danse, de Gérard Corbiau, avec l’ensemble Musica Antiqua Köln que dirige Reinhard Goebel. La renommée du film, les contacts, les rencontres, le bouche à oreille l’aident à construire son parcours. Plutôt vertigineux ! Céline Scheen chante dans les plus grands festivals et les plus grandes salles en Belgique, en Europe, aux Etats-Unis, au Japon…, sous la direction de plus grands chefs. Elle a joué dans les meilleurs ensembles baroques, interprété de nombreux rôles à l’opéra, enregistré bon nombre de disques. « Il y a eu de bonnes surprises et de belles rencontres, mais aussi des années plus creuses. J’ai vite compris que l’opéra n’était pas mon truc ; je voulais exister pour ma propre identité, rester dans la sincérité de ce que je suis. J’ai mis du temps pour m’installer à petits pas. »
Mélanger les genres
Des souvenirs marquants ? Elle pointe Café Müller, en 2016, dans les Arènes de Nice, sur une chorégraphie de Pina Bausch et une partition de Purcell avec l’ensemble baroque Castello. Et, voici deux ans, à la Cigale, à Paris, un duo avec le DJ Arnaud Rebotini sur un thème du compositeur John Dowland. « J’apprécie beaucoup le mélange de genres, c’est cela qui me donne les plus fortes émotions ! »
BIO EXPRESS
• 1976 Naissance à Verviers
• 1991 Commence la flûte et le chant au Conservatoire de Verviers
• 1992 En finale aux Jeunes Solistes (RTBF)
• 1994 Entre au Conservatoire royal de Mons où elle obtiendra un Premier Prix en chant concert et chant opéra
• 1998-2000 Étudie le chant à la Guildhall School of Music and Drama, à Londres
• 2000 Enregistre la musique du film Le Roi danse (Gérard Corbiau) avec l’ensemble Musica Antiqua Köln
• 2004 Enregistre, avec l’Ensemble Clematis, deux disques consacrés à Nikolaus à Kempis et Carel Hacquart, compositeurs des Pays-Bas méridionaux
• 2011 Enregistre Bellérophon, de Lully avec Les Talens Lyriques, et la Messe en si, de Bach, avec Jordi Savall
• 2016 Enregistrement du Psaume 51 de Bach avec l’ensemble Le Banquet Céleste
• 2018 Enregistre Himmelsmusik avec l’ensemble Arpeggiata
• 2020 Participation aux Grammy Awards, à Los Angeles
Des regrets ? « J’ai souvent refusé des propositions intéressantes, craignant de ne pas être à la hauteur ; je manque de capital confiance et cela peut être douloureux. Au début de ma carrière, j’ai décliné des propositions de Christina Pluhar, spécialiste de la musique ancienne. Heureusement, elle a continué à me solliciter et je chante régulièrement dans son ensemble vocal et instrumental Arpeggiata. »
C’est avec cet ensemble et le contre-ténor Philippe Jaroussky que la soprano a réalisé l’album Himmelsmusik, avec des morceaux de musique sacrée allemande du XVIIe siècle. Cela lui a valu une nomination, en 2020, dans la catégorie meilleur album classique vocal aux Grammy Awards, à Los Angeles, qui honorent les plus grands artistes dans le domaine de la musique. « Je ne pensais pas à une possible nomination pour ce type de musique, dense et très intérieure, et j’étais touchée de pouvoir la défendre », confie la soprano. Dépitée de repartir les mains vides ? « Pas du tout ; j’ai découvert un autre monde : un show rôdé, des rencontres avec des musiciens de genres très différents… »
En 2020, Céline a été nommée dans la catégorie meilleur album classique vocal aux Grammy Awards, à Los Angeles.
« J’ai vite compris que l’opéra n’était pas mon truc ; je voulais exister pour ma propre identité, rester dans la sincérité de ce que je suis. »
« Je suis encore chanteuse »
Comment a-t-elle vécu le confinement sur les plans personnel et professionnel ? « Je me sentais privée de mes ailes. Une cinquantaine de concerts ont été annulés. Je peux heureusement donner quelques cours de chant à l’Opéra de Liège. Je suis passée par une période de déprime, j’ai passé en revue tous les métiers possibles. Pour en conclure que changer ne serait pas une bonne idée. J’aime ce métier et je n’ai pas problème de voix. Je suis encore chanteuse ! J’ai fait une formation en ligne de coaching mental pour redevenir créative. »
Car des projets, Céline en a. Un disque de musique napolitaine et des Balkans, avec l’Arpeggiata ; un autre, plus intimiste, en duo avec Philippe Pierlot à la viole de gambe. Un autre encore, avec l’ensemble Le Banquet Céleste… « Je rêve de sortir des sentiers battus, de mélanger les genres. Pourquoi pas un concert avec la kora, un instrument de musique à cordes d’Afrique de l’Ouest ? »
Sur une île déserte avec…
Quels livres, quels films Céline Scheen emporterait-elle dans ses bagages si elle devait embarquer pour une île déserte ?
« J’emporterais Jeu et théorie du Duende, de Federico Garcia Lorca, et Les sonnets, de Shakespeare, répond cette passionnée de poésie.
Ainsi que quelques romans policiers. »
Côté films, elle cite : Melancholia (Lars von Trier), Dirty dancing (Emile Ardoloni) et deux séries : Inorthodox et Le jeu de la dame.
LIBRE ET VIVANTE COMME JAMAIS
© Salvatore de Gaetani
Chaque semaine, Céline Scheen donne des cours de zumba. Une autre passion.
Pourquoi ce goût pour la zumba ?
J’ai toujours aimé danser. Mais pour mes parents, entre la danse et la musique, il fallait choisir. Et s’y tenir. Il y a une dizaine d’années, je traversais une période plus difficile. Ma belle-sœur m’a entraînée à une formation de zumba. D’abord, planquée au fond de la salle, je n’osais pas bouger. Mais peu à peu, la salsa, musique latine, m’a prise aux tripes. Je me sentais libre et vivante comme jamais. J’y suis allée une soirée par semaine, puis deux, puis trois. Je suis devenue « addict ».
« Pour une personne assez timide, comme moi, cela peut devenir très libérateur et cela développe l’empathie. »
De l’élève au prof, il n’y a qu’un pas ?
J’ai retrouvé mon envie de transmettre. Après plusieurs formations, j’ai commencé à donner un cours à Membach, près d’Eupen, à une quarantaine d’élèves de tous âges. Actuellement, vu les mesures de confinement, je déplace les meubles de mon salon pour donner le cours en ligne trois fois par semaine.
Que vous apportent ces cours ?
C’est génial de communiquer avec le corps, de montrer le mouvement et le plaisir qu’on peut ressentir. Pour une personne assez timide, comme moi, cela peut devenir très libérateur et cela développe l’empathie. J’y rencontre des personnes que je ne côtoierais pas ailleurs. Certains ignorent que je suis une chanteuse et seraient étonnés s’ils l’apprenaient !