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Par Benoît Noël
Il y a des artisans rares. Mathieu Boulet en est un. Ce luthier répare et conçoit des guitares haut de gamme dans son atelier de Grand-Manil, près de Gembloux. Parcours d’un créateur unique.
Lorsque l’on pénètre dans l’atelier de Mathieu Boulet, la première chose qui marque, c’est l’odeur. Celle du bois fraîchement raboté, des copeaux d’épicéa ou de cèdre. Des effluves agréables qui renforcent encore le caractère authentique de l’endroit. Quelques guitares toutes neuves (classiques, jazz, folk ou électriques) sont soigneusement alignées dans l’entrée de la maison, à quelques mètres d’une vieille basse en piteux état. Cette vénérable centenaire, usée par le temps, ne demande qu’à être réparée par le maître des lieux, un trentenaire longiligne qui passe ses journées au milieu d’instruments qu’il conçoit avec une minutie impressionnante.
« Nous sommes trois ou quatre luthiers de guitare à oeuvrer au sud du pays mais, à ma connaissance, je suis le seul à en vivre à temps plein », raconte Mathieu Boulet, 33 ans. Cela fait cinq ans seulement que cet artisan méticuleux peut vivre d’une passion « qui ne rend pas riche les premières années. » La lutherie n’a longtemps été qu’une activité complémentaire à d’autres jobs, comme moniteur d’auto-école. À moins que ce ne soit l’inverse… « Pour vendre, surtout dans le domaine du haut de gamme, il faut se bâtir une réputation. Personne ne sort facilement 3 000 ou 5 000 € pour une guitare. Il faut avoir confiance dans le luthier. La réputation, cela ne s’acquiert que par le bouche à oreille. Cela prend des années. Il m’a fallu de la patience. »
Aujourd’hui, les guitares Boulet sont synonymes d’excellence. Et leur image de marque s’étend donc pas à pas aujourd’hui auprès d’une clientèle essentiellement professionnelle, en Belgique mais aussi en France et au Luxembourg. « Ma fierté, c’est de travailler pour des musiciens reconnus, des musiciens de studios qui demandent du haut de gamme. » Augustin Foly, guitariste de Mauranne, Axel Red ou Philippe Lafontaine, roule en Boulet, tout comme Nicolas Berwart, bassiste du groupe Été 67. Mais pour arriver à ce stade de reconnaissance, que de chemin il a fallu parcourir.
Des journées passées à raboter, limer, mettre en forme, assembler, dans l’atelier à l’hygrométrie constante… Tout cela demande de la précision, prend du temps…
« Ma passion pour la lutherie est née très tôt, durant mon enfance, sans que je sache vraiment pourquoi. En primaire déjà, je bricolais beaucoup tandis que le plaisir de jouer de la musique a été entretenu dans une famille où tout le monde touchait à un instrument. » Au milieu de ses études secondaires, Mathieu Boulet effectue un premier stage dans un atelier de lutherie en Suisse, dans un village proche de Genève. L’adolescent accroche. Et une fois son diplôme de secondaire en poche, il entame une formation de sept ans (!) au très réputé CMB de Puurs, centre de construction d’instruments près d’Anvers. Mathieu Boulet y réalise sa première guitare - une électrique qui « traîne encore » dans son atelier, tel un trophée -, y obtient aussi un diplôme de facteur d’instruments et y apprend en outre l’art de la restauration des meubles anciens. Mathieu Boulet se lance alors à son compte en faisant le choix de s’installer à la campagne, dans une ruelle de Grand-Manil, non loin de Gembloux.
« C’est un choix de vie. Je n’avais pas envie de vivre en ville. Il me fallait un contact avec la nature. Quand je sors de mon atelier, je suis dans mon jardin. J’ai besoin de cet équilibre », raconte-t-il. Ce choix de fuir la foule est assumé mais, commercialement, il n’est pas le plus rentable. « C’est clair que ma seule vitrine, c’est mon site internet. » Et sa réputation, répétons-le. Car les guitares Boulet sont aujourd’hui une marque reconnue. Le luthier de Grand-Manil ne supporte pas la médiocrité. Il fait tout lui-même (sauf les cordes), ne sous-traite pas. « Sans compter la pose des différentes couches de vernis, il faut un bon mois au moins pour sortir une guitare », mesure-t-il.
Chaque modèle est unique
Tout commence par une discussion entre le luthier et l’acheteur potentiel. Car la guitare sera faite sur mesure. Chez Boulet, on vient chercher l’instrument d’une vie. Chaque modèle est unique. « Les clients attendent un objet dont ils ont rêvé durant des années. Ils ont des demandes esthétiques, acoustiques. Je ne peux pas me tromper. J’aime ces défis, explique Mathieu Boulet. Concevoir une guitare permet plus de liberté que lors de la fabrication d’un violon, un processus aux normes beaucoup plus strictes. » En fonction du type de guitare et des souhaits du client, Mathieu Boulet choisit un bois (cèdre, épicéa, cerisier, acajou…), dessine le modèle, puis débute la fabrication proprement dite.
Des journées passées à raboter, limer, mettre en forme, assembler, dans l’atelier à l’hygrométrie constante… Tout cela demande de la précision, prend du temps, avant le stade de la pose du vernis dans une cabine spéciale. « Je passe 50 % de mon temps à fabriquer des guitares. L’autre moitié est consacrée à la réparation d’instruments. C’est une question de survie financière. J’aimerais passer plus de temps à la conception d’instruments, mais pour l’instant ce n’est pas possible. La réparation reste plus rentable. »
Si Mathieu Boulet oeuvre seul – « Je ne saurais pas travailler avec quelqu’un » – il n’a cependant pas renoncé à transmettre son savoir. Son fils Raphaël (un an et demi) marchera peut-être dans les pas du paternel. « Ce serait bien, il aurait une longueur d’avance car se constituer un atelier, c’est un fameux investissement. »
Pro et prof
Mais en attendant, Mathieu Boulet songe à ouvrir une section lutherie au centre de formation IFAPME de Limal (Wavre). « Cette section pourrait ouvrir en 2013, voire même déjà en 2012 », annonce le luthier qui est contraint aujourd’hui de refuser de nombreuses demandes de stage. « Il y a un vrai intérêt en Wallonie pour la lutherie. C’est un artisanat qui attire. Ce métier ne mourra pas », constate avec satisfaction Mathieu Boulet. Car si la plupart des guitares présentes sur le marché belge sont importées de Corée du Sud, de Chine, du Japon et des États-Unis, il y a à Grand-Manil un artisan qui a prouvé que la guitare wallonne est une marque d’avenir et de qualité. ■
Bio Express
•• 1992 → À 14 ans, Mathieu Boulet construit sa première guitare en récupérant des pièces par-ci par-là.
•• 1994 → À 16 ans, il effectue un stage chez un luthier suisse, Kaspard Murër. Cette expérience lui confirme que luthier est bien sa vocation.
•• 1996-1999 → Mathieu suit des cours de restauration de meubles anciens pour sa familiariser au travail du bois.
•• 1997-2000 → Il se forme auprès du luthier bruxellois Michel Droeshaut et obtient le diplôme de facteur d’instruments de musique.
•• 2001 → Il installe son premier atelier de luthier indépendant en construction et restauration de guitares.
•• 2003 → Au bout de sept ans d’études et de perfectionnement, il obtient son diplôme de Tokkelinstrumentenbouw, akoestische steelstring gitaarbouw (fabrication de steel string guitars) au CMB (Centrum voor Muziekinstrumentenbouw), à Puurs (province d’Anvers).
Informations :
Rue de l’eau, 23B-5030 Grand-Manil
Tel. : +32 (0)81 60 07 09
info@lutherie-guitare.com http://lutherie-guitare.com