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Par François Colmant
Depuis 1995, plus de 2000 exoplanètes ont été observées et répertoriées. À l’Université de Liège, des chercheurs se lancent dans deux nouvelles missions pour scruter plus en profondeur notre galaxie. Et découvrir, peut-être, des planètes capables d’abriter la vie.
Avant de chercher une aiguille dans une botte de foin, encore faut-il trouver la botte de foin. Si leur existence a longtemps été supposée, cela fait à peine une vingtaine d’années que la première exoplanète a pu être observée, tournant autour de son étoile dans la constellation de Pégase. Grâce au perfectionnement des télescopes et des outils de mesure, le recensement de ces autres mondes croît à une vitesse exponentielle. Et leur diversité est extraordinaire. Qu’il s’agisse de supergéantes, chaudes ou froides, de planètes très proches de leur étoile qui orbitent en quelques jours à peine, de mondes de glace ou de cendres ou encore, de « super-terres ».
Ces cousines de notre petite planète bleue font la une des médias à mesure qu’on les découvre. Si, statistiquement, on peut estimer leur nombre dans la Voie lactée à des centaines de millions, voire beaucoup plus, seules quelques-unes seulement ont été découvertes à l’heure actuelle. D’une taille intermédiaire entre la Terre et Neptune, ces objets célestes intéressent particulièrement les scientifiques, car si elles sont situées à bonne distance de leur étoile (ni trop loin, ni trop près), elles seraient dans des conditions optimales pour que l’on y découvre des bio-signatures indicatrices de vie. Mais le chemin à parcourir pour étayer ces hypothèses reste encore long !
Afin de mieux comprendre la formation et l’évolution des autres systèmes planétaires de notre galaxie, l’Agence spatiale européenne vient de sélectionner deux nouvelles missions, auxquelles l’Université de Liège sera étroitement liée. La première, baptisée CHEOPS, consiste à envoyer en 2017 un satellite conçu spécialement pour étudier en détail les planètes que l’on connait déjà, afin de mieux les caractériser et définir. PLATO, la seconde, partira à partir de 2024 en quête de sœurs jumelles de notre planète. En déployant pas moins de 34 télescopes, la mission permettra pour la première fois de découvrir des planètes de même taille que la Terre et, surtout, potentiellement à même d’héberger une forme de vie. Valérie Van Grootel, astrophysicienne à l’ULg, précise les objectifs de ces missions. « Le but premier est de caractériser au mieux les planètes. Mesurer leur masse, calculer leur rayon avant de les scruter plus en détail. » Pour y parvenir, les chercheurs ont recourt à la méthode des transits, qui mesure les faibles variations de la luminosité d’une étoile lorsqu’un objet stellaire passe entre elle et un point d’observation, en l’occurrence un télescope. Si l’opération se répète de manière régulière et que l’on a surtout la chance de pouvoir l’étudier, on peut compléter les analyses par d’autres mesures pour s’assurer que l’on vient bien de découvrir une planète. « CHEOPS pointera son regard sur les planètes déjà connues afin d’en calculer précisément le rayon. La probabilité qu’elle passe exactement entre son étoile et nous est assez faible, de l’ordre de 2 %, mais la mission répètera l’exercice sur des centaines ou milliers de planètes. C’est vraiment le premier satellite conçu pour étudier en détail les planètes que l’on connait déjà, même s’il devrait aussi en découvrir de nouvelles. » Les données recueillies permettront à l’équipe de Valérie Van Grootel et Michaël Gillon de qualifier ces planètes et d’indiquer si l’on est en présence de boules de gaz comme Saturne et Uranus ou face à des telluriques similaires à la Terre. La mission tentera également de déterminer la morphologie des mystérieuses « super-Terres », ces planètes de quelques masses terrestres qui, bien qu’absentes de notre système solaire, pullulent à l’échelle de la Galaxie.
La mission PLATO poussera l’observation encore plus loin, puisqu’elle permettra de révéler la structure interne des étoiles. Et ainsi de calculer l’âge de son système planétaire. On parle ici d’astérosismologie. « C’est une discipline encore jeune, mais qui évolue rapidement, souligne Marc-Antoine Dupret, Chargé de cours à l’Institut d’Astrophysique de l’ULg. Si l’on parvient à analyser avec précision le cœur d’une étoile, on peut en déduire son âge en fonction des réactions nucléaires qui s’y produisent. Et comme on pense qu’un astre et ses planètes, qui en sont le sous-produit, se forment en même temps, on peut corréler l’âge des uns et des autres grâce à ces données. Partant de là, on obtient de précieux renseignements qui nous indiquent comment un système planétaire se forme et peut évoluer dans le temps. » Pour ce faire, on mesure le spectre de fréquence des vibrations d’une étoile avec suffisamment de précision et de résolution, pour en appréhender sa structure interne et les processus physiques qui s’y déroulent. D’ici quelques années, une cartographie plus complète des systèmes planétaires voisins permettra aux chercheurs de cibler plus particulièrement les planètes orbitant dans la fameuse zone habitable, celle qui permettrait d’y trouver de l’eau à l’état liquide.
« Il existe deux possibilités. Soit nous sommes seuls dans l’univers, soit nous ne le sommes pas. Les deux sont aussi terrifiantes l’une que l’autre. » Arthur C. Clarke
Et la vie dans tout ça ?
« On ne sait pas si la vie existe ailleurs tant qu’on ne l’a pas découverte ! » Malgré les centaines de millions d’étoiles présentes dans notre galaxie et donc la probabilité que des traces de vie puissent s’y trouver, les scientifiques ne se basent que sur des faits. « Si la vie était si banale que cela, on peut tout à fait postuler qu’on en aurait déjà eu des preuves. Or ce n’est pas le cas », objecte Valérie Van Grootel. C’est le fameux paradoxe de Fermi, théorisé dans les années 1950 (voir encadré). « Notre système solaire est assez unique. Les premiers résultats statistiques montrent que la plupart des étoiles ont des super-Terres. Or, nous n’en avons pas. De plus, des planètes de la taille de Jupiter aussi loin de leur étoile, c’est assez rare. Sa taille et sa position par rapport à notre planète ont très probablement eu un rôle dans l’émergence de la vie. » De par sa masse, la géante gazeuse dévie depuis toujours un nombre important d’astéroïdes et de météorites qui auraient pu réduire la Terre à néant.
Avant de répondre à cette question cruciale de la vie ailleurs, il convient donc d’étudier ce que l’on peut observer. « Dans un premier temps, on doit caractériser les planètes découvertes avant de déduire si les conditions sont présentes pour y trouver des traces d’éventuelles signatures biologiques, poursuit Marc-Antoine Dupret. On commence à développer les techniques qui nous permettent d’aborder cette question, mais l’étape préliminaire c’est de détecter un grand nombre de planètes, sélectionner les meilleures cibles pour tester différents protocoles, différentes mesures pour qualifier leur atmosphère par exemple. Mais avant d’étudier ces planètes habitables, il faut les trouver ! » Ce qui est précisément le but de ces deux missions d’envergure.
Vaste programme cependant, puisque les scientifiques projettent dans le ciel les caractéristiques de la seule planète habitée du système solaire, la nôtre, avec les seuls éléments connus permettant l’émergence de la vie. « On recherche d’abord ce que l’on connaît, La Terre, avec son satellite géant, sa position dans un système planétaire atypique, est peut-être un objet céleste rarissime, nous n’en savons rien aujourd’hui », conclut Valérie Van Grootel. De plus, analyser des planètes terrestres à dix, cent ou mille années-lumière d’ici exigera des moyens techniques plus puissants qu’actuellement. Le futur télescope spatial James Webb, successeur du célèbre Hubble, ne sera pas mis en service avant une dizaine d’années. Il permettra, peut-être, de trouver des indices forts de l’existence de la vie ailleurs, comme la présence à la fois de vapeur d’eau, d’oxygène moléculaire et de gaz carbonique. Qui sait ?
LE PARADOXE DE FERMI
Ce postulat, qui continue de faire débat au sein de la communauté scientifique, part d’un principe simple. Étant donné l’âge avancé de l’univers comparé à celui beaucoup plus jeune de notre système solaire, si des civilisations technologiques extraterrestres existent ou ont existé dans la Galaxie, on peut imaginer qu’au moins une a développé et entrepris le voyage interstellaire. Selon Fermi, des civilisations plus avancées auraient dû apparaître parmi ces systèmes planétaires plus âgés et laisser des traces visibles depuis la Terre, telles des ondes radio par exemple. Or, nous n’avons pour le moment aucune preuve tangible de cette existence supposée ! On sait en effet que notre Soleil est âgé de 4,5 milliards d’années alors que notre propre Galaxie (n’allons pas trop loin), est largement plus âgée ! La vie aurait donc eu pleinement le temps de se développer sur d’autres planètes et atteindre un degré de développement technologique élevé. Pourquoi ne pas imaginer qu’une civilisation particulièrement curieuse ne soit parvenue à s’étendre loin dans la Galaxie, au point de visiter notre système solaire avant même l’apparition de l’Homme, il y a de cela « seulement » deux millions d’années ? Quand bien même aurait-il fallu quelques dizaines ou centaines de millions d’années à cette société pour se répandre dans la Voie lactée, cette durée de colonisation est très courte par rapport à l’âge estimé de la Galaxie (12 milliards d’années environ). Dès lors, si les extra-terrestres existent, où sont-ils ? Si elle peut compter sur de nombreux partisans, cette théorie est combattue par des arguments tout aussi plausibles. On peut en effet supposer que nous n’avons aucun intérêt pour ces voyageurs de l’espace, ou qu’il n’existe aucune civilisation suffisamment évoluée pour mettre en place une telle conquête. Suppositions et imaginations fertiles ne font cependant pas avancer le débat, car sans éléments solides, pas de conclusion possible. Jusqu’à preuve du contraire donc, nous sommes seuls.