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Par Florence Thibaut
À L’ASSAUT DU GLAUCOME
Installée sur le site du CHU de Liège, EyeD Pharma conçoit des implants intraoculaires pour traiter le glaucome, deuxième cause de cécité dans le monde. En cours d’étude préclinique, ils pourraient être mis sur les marchés européen et américain d’ici 2028.
Mélanie Mestdagt
Fondée en 2012 par Jean-Marie Rakic, à la tête du département d’ophtalmologie du CHU de Liège, et Jean-Michel Foidart, cofondateur de Mithra, EyeD Pharma a été créée pour répondre à un besoin de traitement continu pour les patients du glaucome, une maladie irréversible qui provoque une diminution du champ de vision pouvant mener à la cécité si elle n’est pas soignée à temps. « Le glaucome est généralement causé par l’élévation de la pression à l’intérieur de l’œil, introduit Mélanie Mestdagt, docteur en sciences biomédicales et CEO depuis octobre 2013. Aujourd’hui, il est souvent soigné par des gouttes oculaires à prendre à vie. L’implant que nous développons devrait permettre de libérer une quantité constante de médicaments dans l’œil, et ce tous les jours, pendant trois ans. Cela signifie que le patient gagnera en sérénité et qu’il sera moins confronté à sa maladie. L’administration de son traitement sera garantie et lui évitera les effets secondaires, dont l’irritation de l’œil et la dégradation de la vision. Quant à la pause de l’implant, elle sera non invasive et ne nécessitera qu’une incision de deux millimètres. L’intervention devrait durer environ quinze minutes et se faire en hôpital de jour. »
Depuis sa création, la PME pharmaceutique travaille étroitement avec le secteur médical pour ajuster en permanence le développement de ses prototypes. « Tous nos produits ont pour objectif d’améliorer le confort de vie des patients. Ils sont très longs à développer. Leur cycle de création s’étale sur 10 à 12 ans. Nous devons nous assurer qu’ils répondent toujours au mieux aux besoins des malades. Nous sommes en interaction permanente avec des ophtalmologues belges, mais aussi situés à l’étranger. »
« Nous nous adressons à de très petits endroits du corps humain. Notre technologie pourrait intéresser d’autres pathologies. »
Excellence scientifique
Grâce à plusieurs levées de fonds, l’équipe d’EyeD Pharma a pu se développer et s’adjoindre différentes compétences essentielles à la croissance de l’entreprise. « Nous étions quatre à mon arrivée. Le point d’inflexion a eu lieu en 2017. Nous formons aujourd’hui une équipe de soixante-cinq personnes et vingt collaborateurs sont en cours de recrutement. Toute l’expertise essentielle est là, poursuit la CEO. Dans nos métiers, certains profils sont rares et difficiles à trouver. C’est un secteur qui souffre d’une pénurie de talents, même si des choses se mettent en place pour y faire face, notamment au sein du Forem. »
Parmi les challenges managériaux, l’entretien d’un esprit d’équipe et d’une culture d’entreprise axée sur l’échange et le partage d’informations. « Pour répondre à nos objectifs ambitieux, nous devons former un groupe et être unis. Nous sommes dans le même bateau. On doit ne pas forcément être d’accord, mais tout doit se faire dans la bienveillance et le
respect de l’autre. Il faut faire vivre ces valeurs, ce sentiment d’appartenance et cette cohésion au quotidien. »
Depuis 2018, EyeD Pharma a mis au point une activité commerciale de distribution de matériel de chirurgie ophtalmologique afin de s’assurer d’autres rentrées financières. En 2019, une nouvelle augmentation de capital a permis à l’entreprise de récolter vingt-huit millions d’euros afin d’accélérer le développement technologique de son implant. Innovant de par la technique d’administration du traitement, celui-ci pourrait, plus tard, permettre des applications dans le cas d’autres maladies oculaires. « Nous devons d’abord nous assurer que nos produits peuvent être reproductibles. Le glaucome touche une trentaine de millions de personnes dans le monde chaque année. Le potentiel est très important. »
Une usine de 6.500m2
Autre tournant dans son histoire, la biotech liégeoise travaille depuis plusieurs mois sur la conception d’une usine flambant neuve de 6.500 mètres carrés qui sera bâtie dans la ruche technologique du Sart-Tilman. En cours de chantier jusqu’en novembre 2021, cette usine permettra une production à grande échelle. Elle sera partagée avec UniD manufacturing, société sœur dotée du même actionnariat et destinée à produire des micro-implants pour d’autres usages. « L’ensemble de nos services, de la production aux RH en passant par la R&D, sera rassemblé au même endroit. C’est un réel avantage pour l’esprit d’équipe, mais aussi pour doper l’innovation qui est au cœur de nos métiers, explique Mélanie Mestdagt. Dans le secteur pharmaceutique, bien souvent, les équipes de production ne croisent jamais les autres. Nous souhaitons renverser ce constat et casser les codes. »
Ainsi, la direction d’EyeD Pharma a souhaité l’usine à la pointe au niveau technologique et répondant au cahier de charge très strict du secteur pharmaceutique, mais aussi comme un lieu convivial propice aux interactions. « Le bâtiment est conçu de telle manière que les collaborateurs seront obligés d’interagir. Tout le monde, directeurs, ouvriers ou collaborateurs administratifs, devra se croiser dans le patio central. Devant une machine à café, on apprend beaucoup de choses. Ce temps de partage est aussi utile aux projets. Mieux on se connaît, mieux on travaille ensemble. Cette vision s’incarne jusque dans les briques. »
2021, une année décisive
Conçue avec l’aide du bureau d’ingénierie Coceptio basé à Mons, la nouvelle usine, dont le budget de construction s’élève à trente millions d’euros, sera aussi un centre de production pour d’autres acteurs biomédicaux. « L’idée sera à terme de rentabiliser le know-how acquis. Nous nous adressons à de très petits endroits du corps humain. Notre technologie pourrait intéresser d’autres applications et pathologies, notamment dans le domaine ORL, dans l’oncologie ou les maladies mentales. La prise de médicament totale convient notamment parfaitement à des personnes âgées ou des patients en souffrance mentale. »
En novembre prochain, une étape décisive sera effectuée avec l’introduction des premiers implants chez l’homme. La préparation réglementaire, documentaire et médicale sera intensive. Les prochains mois seront complexes pour toutes les équipes. « 2021 sera en effet une année décisive et charnière pour EyeD Pharma, conclut Mélanie Mestdagt. J’ai pour ma part hâte de retrouver davantage de contact humain post Covid-19. La crise sanitaire a compliqué notre activité de distribution de matériel. En revanche, l’implication des équipes et leur solidarité ont été formidables. Chacun a donné tout ce qu’il pouvait. A ce niveau là, le bilan de l’année est très positif. »
« L’ensemble de nos services, de la production aux RH en passant par la R&D, sera rassemblé au même endroit. C’est un réel avantage pour l’esprit d’équipe, mais aussi pour doper l’innovation qui est au cœur de nos métiers. »