Waw magazine

Waw magazine

Menu

Girls in Hawaii, Boys in Aywaille

  • Portrait
  • / Culture
Brabant wallon  / Braine-l'Alleud

Par Aristide Padigreaux

Quatre ans après avoir conquis le public rock européen avec un sublime premier album "form here to there" assorti d'une interminable tournée triomphale, les Brainois de Girls in Hawaii étaient attendus au coin du bois.


De manière générale, après un gros succès, un deuxième album se doit d’être celui de la confirmation. Et c’est dans les grandes forêts d’Ardenne que les six garçons dans le vent ont déposé leurs sacs de couchage et leurs ukulélés, pour composer dans une maison délabrée de Pussemange, le magnifique « Plan your Escape ». Et d’évasion, ce disque en est plein, plus abouti, plus personnel, plus sombre… c’est le feuillage ardennais qui veut ça. Souvent comparés aux Américains de Grandaddy, de précieux barbus à chemise de bûcheron, les Girls ont répondu à l’appel de la forêt pour révéler leur vraie nature : délicate. Rencontre avec deux figures centrales du sextette : Lionel Van Cauwenberghe et Antoine Wilemans, chanteurs et guitaristes du meilleur groupe wallon actuel. Des frères de chant en quelque sorte…  

Il y a des groupes qui commencent dans leur garage. Pour votre part, vous avez débuté dans un grenier… 

 

Lionel Van Cauwenberghe : En fait, nous avons tout de même commencé dans un garage, mais c’est vrai nous avons surtout répété dans des greniers. Pourquoi ? Parce que c’étaient les seuls endroits disponibles que nous parvenions à trouver. Antoine Wilemans : On a répété dans des garages, mais par définition ce sont des endroits qui ne sonnent jamais bien, le son de batterie y était abominable. Cela représente ce que l’on fait entre douze et seize ans dans le garage de ses parents où le son se révèle toujours horrible… Nous avons choisi les greniers pour enregistrer, car c’est souvent le seul endroit dans une habitation à disposer d’une sonorité convenable. #

Dans votre cas, l’expression garage rock est tout à fait fausse ?

Lionel : Disons que nous faisons plutôt du grenier pop. (rires) #

Votre passage chez les scouts a-t-il été important pour votre carrière ?

Antoine : Je ne peux pas vraiment juger puisque je n’en faisais partie, mais Lionel, toi qui voyais cela de l’extérieur, tu as sans doute un meilleur avis sur la question. (rires) Lionel : On leur a inculqué des principes très judéo-chrétiens… Ils sont trop polis ! Antoine : On veut toujours tout partager… Lionel : Ils sont tout le temps en train de fabriquer des cabanes ou des objets en breulages… (rires) #

Est-il aussi facile de faire de la musique à Braine-l’Alleud qu’à Manchester ou Liverpool ?

Antoine : Ben disons qu’on en a surtout fait à Braine-l’Alleud et à Bruxelles. Dès lors, nous ne nous sommes pas très bien placés pour en parler. Il est en tout cas relativement facile de faire de la musique à Braine-l’Alleud. Lionel : Y a pas moins de garages ? (rires) Antoine : En fait, tu veux savoir s’il est plus facile d’être un groupe quand tu viens de Liverpool ou Manchester, des villes qui servent de carte de visite ? #

Non, plutôt savoir s’il faut vivre dans une ville où on s’emmerde pour percer dans la musique…

Antoine : Alors c’est vrai (rires) qu’à ce niveau, à Braine-l’Alleud, on s’en tirait bien… Liverpool-Braine-l’Alleud, même combat ! #

Le concert à Dour, l’année passée, ne s’était pas très bien passé. Avez-vous depuis une appréhension quand vous abordez les festivals, ou vous sentez-vous plus à l’aise aujourd’hui ?

Antoine : Ce concert était un peu une mise en danger de notre part et ce fut une bonne expérience, paradoxalement, pour le développement du groupe et de l’album. Cela nous a poussés à nous lancer dans un mois de répétitions intensives qui ont porté leurs fruits dès la deuxième ou troisième rencontre. Il s’agissait d’une première performance dans des conditions très stressantes. Nous n’avions plus joué depuis trois ans et, soudain, nous nous sommes retrouvés devant dix mille personnes. Nous avions perdu nos automatismes. Nous étions prêts, car nous avions beaucoup répété, mais nous étions paralysés par l’enjeu, l’événement, les conditions… Bref, nous ne nous sommes pas amusés et, forcément, les spectateurs non plus. #

Cette expérience négative a-t-elle servi l’album ?

Antoine : Oui, car nous avons accepté en tant que groupe l’idée que nous nous étions plantés… Pour le premier album, nous avons souvent couru après les dates, tout en n’étant pas toujours super-prêts, en les sauvant un peu de justesse et sans jamais connaître un échec un peu cuisant qui remet les choses en question. L’an passé, Dour fut vraiment la date ratée, qui plus est dans le cadre d’un gros événement au cours duquel nous sommes passés complètement à côté. Quelque part, cela a décomplexé le groupe pour les dates suivantes. On a retenu l’idée que nous n’avions plus envie de nous mettre dans des conditions d’angoisse, de stress, de pression, de trouver les moyens pour mieux vivre les choses importantes Lionel : C’était aussi encore un moment de doute par rapport au nouvel album. Avec une tournée de quarante concerts dans les jambes, ce genre de prestation se serait déroulée sans encombre… #

Le fait que ce concert se passait à Dour, lieu de l’un de vos premiers concerts, ne vous a pas rassurés ?

Antoine : Avant d’y aller, certainement. Nous étions d’ailleurs un peu trop convaincus que cela allait bien se passer. C’est en sortant que nous n’étions pas contents. En fait, le troisième Dour que nous avons fait, qui était le dernier avant celui de l’année passée, fut magnifique : à 11 heures du soir, dans le noir - la même heure que l’an dernier -, après avoir fait quasi cent cinquante dates, en plein élan, et en ayant joué trente fois durant les deux mois précédents. Cette fois-là, nous sommes arrivés relax et très sûrs de nous… Un très beau moment. Nous rêvions l’an passé de recommencer par ce qui avait été l’un des moments les plus forts de la première tournée. Même heure, même endroit… mais pas la même manière ! #

Parlant de l’épreuve du second album, on évoque souvent la pression extérieure, l’attente du public ou des médias… Pendant que vous enregistriez au fin fond des Ardennes, avez-vous aussi ressenti cette pression, cette attente de manière interne ? Vouliez-vous aboutir à quelque chose de mieux ou de différent ?

Antoine : De toute façon, l’exigence chez nous est toujours avant tout personnelle plutôt que tournée vers les médias ou le public, même si nous mettons un certain temps à faire abstraction d’un public et du fait que des gens vont écouter le disque. C’est justement lorsque l’on parvient à s’extraire de cette idée – qu’on va peut-être en vendre 30 000 ou 50 000 – que l’on arrive à composer de bons morceaux. Tant que nous sommes restés dans l’optique de vouloir répondre aux attentes du monde extérieur, nous n’avons rien fait de bon. Durant cette période, plus rien ne marchait… Nous sommes même passés par une phase où nous pensions qu’il n’y aurait plus de deuxième album ni de groupe ! Les choses étaient tellement en péril que soudain la pression est retombée et, petit à petit, tout s’est remis en place. #

Comment disait un vieux rockeur, « les albums, il faut d’abord les faire pour soi »

Antoine : Exact ! C’est la bonne optique mais il est difficile d’y parvenir. #

Surtout pour un jeune groupe attendu au tournant lors de la sortie de son deuxième album ?

Lionel : Effectivement, c’est la seule façon de faire des disques honnêtes. Pour être tout à fait sincères, nous avons écouté notre premier album comme si les chansons émanaient d’un autre groupe. C’est en général bon signe. Cela signifie que ce que nous avions fait sortait de nous, et que nous arrivions à le juger avec un peu de distance. Dans le cas du deuxième album, ce fut plus compliqué : nous prenions au départ beaucoup trop de choses en compte, d’avis extérieurs, ce qui rend les choses impossibles. On a eu tendance à faire des disques pour boucher les trous dans notre cédéthèque. #

Et aujourd’hui, vous réécoutez ce deuxième album ?

Lionel : Non, car aujourd’hui notre activité musicale n’est plus un hobby, donc plus difficile à gérer. C’est moins « bac à sable » qu’auparavant. Antoine : Nous l’écoutons énormément bien sûr en cours de réalisation, autant pour travailler sur les morceaux qu’en séance de mixage. On entend donc mille fois la chanson avant qu’elle ne soit sur le CD. Dès que nous parvenons à une étape dans l’enregistrement dont nous sommes satisfaits, nous devenons souvent les premiers auditeurs de la musique qui en sort. Donc, très vite, nous perdons la fraîcheur d’écoute, ce qui signifie qu’en général à nos yeux, les morceaux sont grillés un an avant que l’album ne sorte. Au moment de la sortie, nous l’écoutons quelquefois parce que le projet prend de l’ampleur par sa pochette, sa cohérence finale. Ce qui n’empêche qu’à nos yeux et nos oreilles, les morceaux qui constituent l’album sont déjà à ce moment bien usés. Nous ne voulons pas les banaliser encore plus dans l’optique des concerts. Lionel : Par contre, retomber sur l’album un an après sa sortie est un beau moment. Il évoque alors des souvenirs liés à l’enregistrement, à une époque. #

Peut-on dire que sur la pochette de « Plan Your Escape », règne une ambiance David Lynch, un côté Ardenne vénéneux, voire Twin Peaks ?

Antoine : Ce qui nous plaît, c’est que cet album soit moins lisse et consensuel que le premier. L’accouchement s’étant révélé difficile et douloureux, nous avions envie de refléter cette période plus sombre. Les morceaux le sont également. Nous voulions une pochette qui fasse réagir les gens, qu’ils adorent ou qu’ils détestent. On cherchait un peu le côté corrosif, en provoquant l’approbation ou le dégoût. Cela nous amusait d’avoir des avis vraiment différents et partagés. Pour nous, il s’agit d’une photo très esthétique dont nous sommes tous au sein du groupe tombés amoureux et, en même temps, elle parle de choses tristes et froides, et de façon très crue. Mais tout cela correspond bien à notre état d’esprit durant les deux à trois ans qu’a duré l’écriture du disque. C’est un résumé parfait. #

Mais c’est aussi la première fois qu’un groupe wallon ou belge met en avant ainsi sa région, l’Ardenne en l’occurrence…

Antoine : Pour nous, la pochette représente plutôt des forêts. Les Ardennes symbolisent plutôt un territoire abstrait dans lequel nous nous rendons de temps en temps et qui n’a pas à nos yeux une géographie précise. Un paysage un peu étrange avec, c’est vrai, un côté David Lynch qui rappelle Twin Peaks et ses grandes forêts de sapins. Lionel : Ce sont aussi des endroits où nous avons beaucoup enregistré et maquetté, des lieux qui font à présent partie de l’histoire du groupe. Il n’y pas de volonté de faire de la promo pour la Wallonie. Mais bon, on préfère partir en Ardenne plutôt qu’à New York. (rires) #

Vous êtes originaires soit de Braine-l’Alleud, d’Eupen, voire de Bruxelles. Quelque part, ce sont des villes frontières. Ce côté limitrophe a-t-il son importance et cela vous rend-il plus réceptifs à d’autres infl uences ?

Lionel : Où que l’on soit en Belgique, on est forcément infl uencés par beaucoup de choses. Ce qui vient de Flandre notamment et qui est fort « couillu » comme Zita Zwoon ou Deus… Tout Belge habite à un carrefour. Nous ne possédons pas cette culture, telle qu’elle existe en France, de la variété et du rock en français. En Belgique, tout cela reste fort bâtard. Antoine : C’est par défi nition frontalier, puisqu’on n’habite jamais à plus de cent km d’une frontière. Au niveau culturel, et musical, il y a peu de choses belges, ou si elles le sont, c’est sous forme d’un amalgame d’infl uences. Ce côté bâtardise décomplexe et permet de trouver naturel de chanter en anglais alors que ce n’est pas une langue offi cielle ici. Car la musique que l’on écoute en Belgique est très souvent anglo-saxonne. #

À votre avis, connaît-on aujourd’hui une vague de rock wallon comme il y a eu une vague de rock flamand ?

Antoine : Il y a juste plus de gens motivés à l’idée de monter un groupe, parce qu’il existe un public plus présent, des organisateurs de festivals qui sont prêts à les programmer et des médias qui en parlent… Cette synergie d’éléments implique qu’il est motivant de créer un groupe en Brabant wallon ou en Wallonie aujourd’hui alors qu’il y a dix ou quinze ans, cela paraissait inutile et sans espoir, sauf à le faire dans son coin, rien que pour soi. #

Vous auriez pu vous appeler Girls in Aywaille ?

Lionel : On s’est appelé Boys in Aywaille le temps d’un concert. Se déroulait au Botanique le festival de l’IHECS auquel nous avions envie de prendre part. Mais, le même soir, nous avions un autre concert à Bruxelles qui supposait une exclusivité pour cette date. Nous ne pouvions donc pas nous rendre au Bota sous le nom de Girls in Hawaii. Nous avons changé de nom à cette occasion et nous nous sommes produits sous l’appellation Boys in Aywaille. Un très mauvais concert d’ailleurs… Ce qui est logique, nous ne pouvions pas jouer aussi bien que notre modèle, les Girls… (rires) #

Vous prenez souvent des groupes belges en première partie. C’est un choix ?

Antoine : Belges ou pas belges. Nous voulons nous impliquer dans le choix des premières parties et des groupes que nous rencontrons. Donner une visibilité à des projets qu’on adore. Cette formule nous a servi de tremplin à une époque. Ce n’est donc qu’un prêté pour un rendu… #

À choisir, vous aimeriez faire la première partie de quel groupe ?

Lionel et Antoine : Noir Désir. #

Et côté anglo-saxon ?

Lionel et Antoine : Nwoir Desiw. (rires) #

À lire aussi

La Newsletter

Your opinion counts