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Par Aristide Padigreaux
"Je me suis créé mon univers, mes barricades afin de m'évadier dans mes créations. Ma maison, c'est mon laboratoire."
Un instinct découvert dès l’enfance. « J’aimais sentir et toucher les morceaux de satin que ma mère cousait sur mes oursons en peluche, confie-t-il. Vers l’âge de neuf ans, je me passionnais pour les châteaux, les femmes élégantes et je fouillais le grenier pour retrouver des vêtements et des photos de mon arrière grand-mère, Léonie, si distinguée. » Cette rêverie l’accompagne sur les bancs de l’école. « Bernard est dans la lune », lit-on régulièrement dans ses bulletins. Une formation de sept années en coupe-couture-habillement à l’Institut de la Providence, à Wavre, lui permettra heureusement de soigner le virus attrapé au seuil de l’adolescence et de concrétiser sa passion.
Sur ses carnets, il crée déjà alors des collections de haute couture. En dernière année, il organise un défi lé, se découvrant un style entre mysticisme et austérité, et une muse, l’Impératrice Élisabeth d’Autriche, « Sissi ». Ensuite ? Ne souhaitant pas se couler dans un moule d’académie, Bernard Depoorter s’embarque pour Paris, ses carnets de croquis sous le bras, bien décidé à aller frapper à toutes les portes. Et la chance lui sourit… à moins que ce soit le culot qui lui ouvre la voie. Après un séjour comme aide-assistant dans le studio de haute couture de Dominique Sirop, le voilà chez Stéphane Rolland, de la Maison Jean-Louis Scherrer. Puis, il suit des stages de broderie et de prêt-à-porter chez Stella Cadent.
Chemin faisant, le Wavrien croise la route de la Princesse Anne de Bourbon-Siciles,qui lui propose de parrainer son premier défi lé à Paris. Bernard Depoorter tisse un réseau important – et utile – de relations dans le monde des personnalités people et de l’aristocratie. Il engrange de l’expérience et un esprit critique. « Ce monde de la haute-couture a des côtés magiques avec ses énormes podiums, ses décors fabuleux… Pouvoi rentrer dans les ateliers Lesage, entendre les planchers qui craquent, voir les millions de stocks de perles et de paillettes qui dorment,
c’est très émouvant », confie-t-il. Mais c’est aussi un monde très fermé, d’individualisme, où les places au soleil coûtent cher. Une grande maison de couture reçoit entre trois cents et mille C.V. par jour !
Mes racines, c’est à Wavre
Riche de cette expérience-là, Bernard Depoorter rentre au bercail après avoir côtoyé durant quatre années le gratin de la mode parisienne. Ses racines, elles sont à Wavre, dans cette grande demeure habitée par sa famille depuis plusieurs générations. Elle fut successivement béguinage, ferme de ville appartenant aux religieuses du Couvent des Carmes, hôtel particulier avant d’abriter la société Charlier-Niset, sorte de caverne d’Ali Baba qui, à côté de cartes postales, proposaitbde la vaisselle, du linge de maison, des jouets en bois.
Les locaux désaffectés peuvent accueillir les lourds rouleaux de tissu, les machines à coudre traditionnelles d’une précision inégalable, les anciens moules à chapeaux que le jeune styliste déniche chez les antiquaires. Et toute la famille s’implique dans la petite société avec papa aux finances, maman aux relations publiques, la grande soeur à l’organisation des défilés, la plus jeune derrière l’objectif, et même de vieilles cousines qui viennent coudre les paillettes sur les robes… « J’aime Paris qui m’a donné le rêve, l’assurance,la volonté ; j’y ai découvert le monde très privé de la haute couture, l’univers extravagantdes clientes du luxe, résume Bernard Depoorter. À Wavre, je me suis créé mon univers, mes barricades, afin de m’évader dans mes créations. Ma maison de la rue du Béguinage, c’est mon laboratoire. »
Mélange de cultures,d’époques, de civilisations
Dans ce « laboratoire », jamais à court d’idées, le jeune couturier crée un style classique aux coupes sobrement chic avec un zeste de sophistication, remettant mille fois l’ouvrage sur l’établi. Ses modèles ? Des femmes au port royal, fragiles, austères, un peu mystiques, à la taille étranglée, avec des jambes interminables. Il choisit soigneusement sa palette de couleurs, anciennes, brumeuses, subtiles et riches : prune, vert-de-gris, vert olive, argent oxydé, miel, bronze, cognac, marron glacé… Et le noir, sa couleur favorite. Les tissus naturels – satin, velours de soie, mousseline, brocart, laine, dentelle de Bruges… – se parent de cristal, de galuchat, de cuir de Cordoue, de perles, de passementerie. Le jeune créateur mélange les cultures, les religions, les époques et les civilisations. Les uniformes l’inspirent – ceux des militaires, ceux des petites soubrettes – mais aussi les civilisations antiques, les robes charleston, l’Art nouveau, l’Art déco, le glamour des stars hollywoodiennes des années trente, les coupes sobres des actrices hitchcockiennes des années cinquante… Il cultive le mystère, parsemant ses créations de symboles : croix, roses, tulipes, amulettes… « Mon inspiration, elle est partout, confie-t-il. Elle vient à toute heure, le jour comme la nuit, suscitée par le passage d’une femme dans la rue, la ferronnerie d’un balcon, un carrelage, une moulure, la sensualité d’un tissu, le reflet dans un verre d’eau, un film (La Leçon de piano, La Banquière), la musique, les voyages, les papillons, les photos anciennes… Je compose mon cabinet de curiosités, je collectionne les livres d’art, je vois la beauté dans la laideur comme les couleurs subtiles d’une pomme pourrie. Tout cela peut faire démarrer une collection. » Mariage de haute couture, patrimoine et artisanat Ses collections, il les décline dans des défi lés organisés souvent dans des lieux prestigieux : au château de Chimay, avec le soutien de la Princesse Élisabeth de Riquet, sa « marraine belge », au château de La Hulpe… histoire de marier haute couture et patrimoine. Et, régulièrement, avec le souci de se faire accompagner d’artistes ou d’artisans. « La haute couture, c’est aussi du mécénat. Il faut revaloriser les métiers d’art et les artisans qui sont en train de disparaître. Impossible de trouver encore en Belgique des plumassiers et des artisans du cuir, par exemple. ». À l’étranger, Londres, Deauville, Monaco, Genève, Rome… sont des escales où Bernard Depoorter a posé ses valises pour présenter ses collections. À l’horizon, d’autres projets se pointent, un défi lé sous la coupole du domaine d’Hélécine dans le cadre du deuxième salon « Créations en Brabant wallon », le 25 octobre, où le jeune couturier wavrien présentera en avant-première huit robes de sa nouvelle collection haute couture. Puis, en 2009, un défilé haute couture et prêt-à-porter à Bruxelles – avec le soutien d’un membre de la famille royale –, un autre à Paris, avec celui de la Princesse Anne de Bourbon-Siciles, puis à Milan. Et des défilés privés dans le cadre de grands événements. « Je pars en tournée, un peu comme les chanteurs », résume-t-il.
Carte de visite
Parallèlement, le jeune créateur a lancé une collection de semi-couture « De Bruxelles à Paris » et une collection de prêt-à-porter fabriquée en Europe « Depoorter Prestige », qui sera distribuée à Paris, à Milan, à Wavre avant, peut-être, Anvers, Luxembourg, Monaco et Genève. « La haute couture sert de carte de visite, permet au créateur et à d’autres artisans (un antiquaire prêtant un élément du décor, par exemple) de se faire un nom, mais elle ne rapporte pas. Il faut dix ans avant d’arriver à couvrir les frais et à se faire une clientèle. Haute couture et prêt-à-porter sont donc complémentaires. Dans cette dernière collection, on retrouvera tous mes codes, mais à des prix accessibles et dans des variantes plus classiques. Mon objectif est de permettre à toute femme disposant de moyens fi nanciers limités de s’habiller élégamment. Je suis un marchand de rêve », explique-t-il. À 27 ans, Bernard Depoorter caresse un autre rêve. Rendre son lustre d’autrefois à l’ancienne demeure familiale où il a installé son atelier, son habitation et ses salons. Sous les dalles de béton de la cour sommeillent des pavés du XVIIIe siècle et la maison abrite la dernière cuisine carrelée de Wavre, datant de la fin du XIXe siècle. Le couturier aimerait y installer un « petit centre du luxe » avec un showroom de prêt-à-porter, une ligne de décoration et un atelier de haute couture. « Je rêve d’y faire venir des artisans qui recréeront les anciens plafonds en stuc. J’y organiserais régulièrement des portes ouvertes, des circuits associant des commerçants et d’autres artistes et artisans. Comme une sculptrice et la maison Cremers, la plus ancienne manufacture de cierges et de bougies en Belgique. L’occasion de réunir quelques talents pour organiser des événements visant à les faire connaître et leur permettre de se rencontrer. ».