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Par Georges Vicq
L’hyperactivité peut-elle soigner une timidité viscérale ? Elle réussit en tout cas à ce saltimbanque qui ose enfin être artiste. À bientôt 70 ans, Jacques Mercier a du boulot et des projets pour plusieurs vies encore.
Combien d’émissions, de conférences, de spectacles et de livres de Jacques Mercier faudrait-il pour faire le tour de la vie et de la carrière (même s’il n’aime pas ce mot), de Jacques Mercier ? Beaucoup sans doute : à l’âge où d’autres s’occupent enfin de leur jardin, voyagent ou restent devant la télé, celui qui en a été un des visages incontournables semble avoir plus de projets sur une année qu’en 40 ans de médias de service public ! Des spectacles à assurer, des livres à terminer, des conférences à tenir… Celui qui se définit avant tout comme un raconteur a luimême des difficultés à suivre le fil de ses actualités et de sa propre histoire, tant elle est riche et variée.
Pourtant, dans les quelques heures de discussion à bâtons rompus, où la tête s’est parfois bien éloignée de la queue, un fil se tend. Un arc finalement très logique, qui se dessine à travers les multiples vies de notre hôte. « Cocteau a écrit qu’à la fin, lorsqu’on déplie la carte routière de sa vie, les petits chemins épars finissent par former une longue ligne droite : ce sera le cas sans doute. » Nous avons donc suivi, le temps d’une rencontre, les petits chemins de la vie de Jacques Mercier. Une ligne droite effectivement s’y dessine, faite d’enthousiasme, d’indignations, de curiosité, de belgitude, d’humilité et de gentillesse – la qualité des sages.
De l’importance de l’ombre et de la poésie
JM — Dès l’âge de 14 ans, quand j’ai commencé à travailler chez Nord-Eclair, à Mouscron, j’ai pu aller dans les coulisses, rencontrer des artistes. J’adorais ça. On m’a appris à ôter les étiquettes des genres, mon ambition a toujours été de rendre les arts populaires. On peut trouver partout des choses qui vous conviennent. Ce travail de coulisses, de journaliste a toujours convenu à ma timidité naturelle. J’ai aimé ce rôle de l’ombre même si j’avais parfois des envies de ténor. Avec l’écriture et les spectacles, j’ai peut-être appris à me laisser aller. J’essaie d’être sincère et transparent, mais je ne suis pas un acteur. Je peux raconter. C’est ce que j’aime faire. Mais être à la fois saltimbanque et écrivain est parfois une arme à double tranchant, ce n’est pas un avantage dans les chapelles littéraires. La reconnaissance ? Je suis assez fier du prix Jacques Mercier remis à l’école supérieure ICHEC ! Il est accordé aux mémoires qui usent particulièrement bien de la langue française. Mais sur le coup, j’ai cru à une blague des amis du Jeu des Dictionnaires, jusqu’à la première remise des prix. Je me suis dit « Comment est-ce possible ? », sans faire de la fausse humilité. J’ai aussi vu des professeurs, comme à Nivelles, qui travaillaient mes poésies en classe. Écouter un gamin de 14 ans qui récite une de vos poésies, c’est très émouvant.
Du bénéfice des mélanges dans une Belgitude très picarde
JM — Aujourd’hui, j’habite à Hal, dans la maison familiale de ma femme, f lamande. J’ai toujours tiré un grand enrichissement de cet échange propre à notre pays, ce mélange si étrange de mentalités. Et n’oubliez pas que je suis né à Mouscron à une époque où c’était encore la Flandre wallonne, avant la frontière linguistique. Mon école dépendait directement de Bruges, et je me souviens très bien, lors d’un cours de français, avoir entendu le prof parler de « le » lune et « la » soleil. Je me suis juré que ça ne m’arriverait jamais et je me suis alors plongé dans la langue française ! Il ne faut jamais nier son identité, c’est essentiel pour moi. Connaître et assumer le terreau d’où l’on vient. D’où mes difficultés parfois avec l’identité wallonne : j’étais Picard et en Flandre. Pour moi, la Wallonie, c’était Liège, Charleroi… Par contre, je me retrouve bien dans cette idée de « Wallonie picarde ». Je fais partie de cette communauté. Je n’ai pas de nostalgie, je ne vis pas là-bas, mais je sais d’où je viens. Je travaille d’ailleurs sur une demande, repoussée mille fois, d’un roman court qui se passera à Tournai.
De l’optimisme dans les réseaux sociaux
JM — Tous les matins sur mon compte Twitter, j’essaie de poster une phrase optimiste. Je suis heureux de la vie que j’ai et que j’ai eue. Ce n’est pas toujours bien compris, on m’a déjà écrit « C’est indécent d’étaler votre bonheur ! » Mais qui est le plus indécent ? Je suis plutôt volontaire et optimiste de nature. Ma bible, c’est l’évolution des choses. Je ne crois pas comme beaucoup que « c’était mieux avant ». Ce n’était pas mieux « avant ». Je crois beaucoup dans la jeunesse, qui a aujourd’hui la chance inouïe de pouvoir faire entendre sa voix. Et puis la gentillesse, ça ne se commande pas. J’y suis enclin, j’ai toujours réglé les choses par la diplomatie plutôt que par le droit.
De l’intérêt des cours de piano et de Gilbert Bécaud
JM — Au moment où l’on se parle, je me prépare pour la Nuit Musicale au parc de Seneffe. J’y lis, en musique, la correspondance entre Chopin et Georges Sand. C’est magnifique, un artiste écorché qui s’accroche à cet amour… J’aime beaucoup Chopin. Il y a des années, en 1967, j’ai eu l’occasion pendant une croisière pour la radio, de jouer sur son véritable piano, à la Chartreuse de Majorque. Je continue à en jouer, d’oreille, et c’est une habitude dans les soirées avec des amis, de me demander un morceau. J’ai eu des cours par t icul iers, durant mon enfance à Mouscron, avec un organiste de la paroisse, très sérieux. J’adorais ça. Mais un jour, j’ai acheté une partition de Bécaud. C’était les années 50, les 78 tours. Je lui ai demandé si l’on pouvait la jouer. Il m’a regardé froidement dans les yeux et l’a déchirée devant moi en disant : « Il est exclu de jouer un musicien de rue ». J’ai attendu la fin de l’année, mais je n’ai plus joué de piano. J’étais timide, hypersensible, mais il m’avait révolté. J’en ai gardé une indignation contre l’intolérance et les catégories. Ce piano, c’est un grand regret. Mon oncle jouait dans une boîte de nuit à Blankenberge, ma mère jouait fort bien du piano, un de mes fils est jazzman. J’aurais eu une autre vie si j’avais continué, mais j’ai sans doute mieux vécu dans celle-ci ! Le piano, la musique, m’accompagne presque toujours sur scène, de même que le jazz dans la vie. J’ai commencé comme assistant pour une émission de jazz. J’ai été initié. Le spectacle que l’on prépare avec Stéphane (son fils) sera dans cet esprit : revisiter, dans des ambiances de boîtes de jazz, l’histoire et les standards de cet univers merveilleux. J’ai toujours été comme ça : je suis multimédia.
De l’aventure du chocolat belge
JM — La culture du chocolat, je l’ai acquise après un déjeuner avec mon éditeur et une extraordinaire mousse au chocolat. Que la Belgique ait été le pays du chocolat, sans cacaoyers, ça me fascine encore ! Je suis devenu un amateur éclairé. Et si l’on ne peut plus dire que le chocolat belge règne sur le monde, on peut par contre encore prétendre posséder les meilleurs artisans du monde. Des gens comme Benoît Nihant, Pierre Marcolini, font tout de A à Z, du choix de la plantation au magasin. Ce sont de vrais aventuriers modernes, une toute nouvelle approche, parfois sophistiquée, mais c’est une culture qui s’acquière. Marcolini, c’est le Sollers du chocolat. Mais j’ai lu tout Sollers, et j’ai beaucoup aimé !
Jacques Mercier…
Homme de lettres
L’air de rien, c’est une reconnaissance qui le fera rougir sans doute : c’est en tant qu’écrivain que Wikipedia a recensé Jacques Mercier. Près de 60 livres à son actif – beaucoup de livres de journaliste, son premier métier, quelques beaux livres aussi, sans oublier de la poésie, des essais et des oeuvres de fiction, toujours chez des éditeurs belges, remarqués et salués depuis son Maître Gustave. Son oeuvre presque complète est éditée de nouveau aujourd’hui en édition numérique. Et plusieurs livres sont en cours.
Homme de scène
Pendant 40 ans de carrière, il a usé tous les backstages et il est enfin monté sur scène à l’âge de 63 ans ! Il compte bien ne plus en redescendre. Un premier spectacle avec Nara Noïan, une succession de (presque) seul en scène où il se racontait tour à tour avec humour, poésie, amis ou musique, et entre de multiples événements, Jacques Mercier prépare un spectacle sur le jazz avec son fils Stéphane, lui-même musicien de jazz. Une première vingtaine de dates sont déjà programmées en 2013. D’autres suivront.
Homme de radio
Plus qu’un homme de radio, Jacques Mercier a été l’homme, la voix puis le visage de la RTBF. En touchant à chaque fois le jackpot du succès et de la popularité. Dès 1963, il fait fureur avec Stéphane Steeman dans Dimanche musique, après être entré comme assistant pour une émission de jazz. Et l’on ne présente plus Le Jeu des Dictionnaires, entré au panthéon de l’audiovisuel belge. Plus de 20 ans d’antenne, de rire et de complicité, où il ne s’est jamais départi de ses rôles de clown blanc et de passeur. Sa voix si familière revient, depuis, fréquemment sur antenne.
Homme de télé
Le jeu des dictionnaires, mais aussi L’Empire des médias, Forts en Tête, La Télé infernale, Bonny & Clyde… Jacques Mercier a fait les belles soirées et les belles audiences télévisées de la RTBF pendant des décennies. Encore plus qu’en radio, c’est ici sa casquette d’érudit et de messie de la vulgarisation qui en a fait l’incarnation du divertissement de service public. Notre homme hyperactif a officiellement tiré sa révérence, mais on ne se refait pas : de nouvelles capsules de Monsieur Dictionnaire avec son complice de toujours, Philippe Geluck, sont elles aussi à son vaste programme.
Homme de chocolat
Le chocolat ! Le péché mignon, la passion et le sujet principal des nombreuses conférences de Jacques Mercier, avec la langue française. Son premier livre sur le sujet date de 1989. Une dizaine ont suivi depuis. Le prochain, programmé à la rentrée, rendra hommage aux pionniers et aux derniers véritables artisans du chocolat. On en recense seulement douze dans le monde, mais deux rien que pour la Belgique. Une statistique qui l’émerveille et un sujet sur lequel l’homme de lettres, de scène, de radio et de télé, n’a, là non plus, pas fini de se pencher !
Carrément bon !
Namur, terre de chocolat ! La Wallonie et le chocolat, c’est une longue histoire d’amour. Jacques Mercier, notre Star Waw de ce numéro, en est la preuve vivante. La place qui lui est faite dans le cadre de l’Année des Saveurs également. Toutefois, ce mets d’une grande complexité implique un artisanat respectueux, délicat et difficile. C’est pourquoi Waw et Carrément bon, sous la direction de son maître chocolatier, Raphaël Giot, organisent une série de cours dédiés à la pâtisserie et au chocolat spécialement réservés aux lecteurs de Waw. Pour rappel, Raphaël Giot a remporté la médaille de Bronze aux derniers Mondiaux (2009) de la pâtisserie avec son exceptionnel Cristal de neige ! Votre humble serviteur peut vous affirmer, pour l’avoir goûté aussi souvent que possible, que c’est un véritable délice. Avec ses sept couches, le Cristal de neige reste une des valeurs sûres de cet artisan. Et l’on vient de très loin pour déguster ce bonheur. Et comme disent certains clients, c’est vraiment « het neus van de zalm » (le nez du saumon). Le fin du fin !
Carrément bon
Chaussée de Louvain 382, B-5004 Bouge
Salon de dégustation Sucré-Salé, Galerie Molina, Rue Saint-Jacques, 11, B-5000 Namur
Chaussée de Louvain, 97, B-5310 Éghezée
www.carrementbon.be
À lire
Pralines et Chocolat. Aventures, recettes et bonnes adresses.
Jacques Mercier.
160 pages, 24 €
Éditions Luc Pire.
Sortie octobre 2012.