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Par Carole Depasse
Un hôtel de police flambant neuf, un centre chorégraphique agrandi, un musée des Beaux-Arts sous des voussettes de briques et une brasserie : une collision d’architecture sous la férule de Jean Nouvel.
« Mon défi : faire danser la police de Charleroi ! » Une boutade de Vincent Thirion, directeur artistique de Charleroi Danses, visiblement de très bonne humeur face à l’extension des infrastructures de son institution jouxtant le nouvel hôtel de police. Un chantier rondement mené par les Ateliers Jean Nouvel et le bureau bruxellois MDW Architecture. Le résultat des travaux, livré en un temps record cet été 2014, soulève admiration et optimisme. Est-ce le rapprochement incongru des services de police et du monde de la danse ? Est-ce le bleu « ciel de Méditerranée » de la tour ? Est-ce la perspective, après un spectacle de danse, d’un plat régional goûteux dans la brasserie installée sur le site ? Est-ce l’ouverture visuelle apportée à cette portion du boulevard Mayence ? Quoi qu’il en soit, le sentiment d’une réussite architecturale dans une ville marquée par les stigmates de l’industrie lourde prévaut. Pourtant, ce ne fut pas toujours le cas quand, au départ du chantier, des mécontents s’opposèrent à la démolition du porche d’entrée de la caserne ou jugèrent le projet prétentieux.
Le secret
La police de Charleroi attendait avec impatience un nouveau logement. Mais jamais elle n’aurait imaginé emménager dans pareil bâtiment. Une tour dessinée par Jean Nouvel. Et ne pensez pas que le nom de la « starchitecte » ait influencé le choix du jury. Dans le cadre du concours pour la désignation d’un maître d’ouvrage, l’offre était anonyme et, jusqu’à la dernière minute, la participation des Ateliers Jean Nouvel a été tenue secrète par son partenaire bruxellois MDW Architecture. « La difficulté sur ce dossier était d’apporter le financement. Nous avons réussi à mobiliser un entrepreneur (le groupe CFE) qui, d’une part, a financé les travaux et, d’autre part, assurera la maintenance des bâtiments jusqu’à leur remboursement. Lors de la réception provisoire, le Fonds européen FEDER a versé 14 millions € et la Ville de Charleroi 1 million €. À présent, la Ville rembourse les sommes engagées durant 25 ans pour devenir propriétaire », précise Marie Moignot, architecte associée à MDW Architecture. Dès le concours gagné, Jean Nouvel fut nourri d’informations par son partenaire belge : le beffroi, Vauban, les mineurs, la sidérurgie, l’art nouveau, l’industrie verrière… une compression de l’histoire de Charleroi. Jean Nouvel a le coup de foudre pour une ville verte dont les terrils au loin l’impressionnent. D’où l’idée de construire une tour qui les embrasserait du regard ? Pas tout à fait. La forme ronde et élevée de la construction est plutôt due aux mètres carrés disponibles sur le site. Quant à la hauteur maximale, elle fut déterminée par la tour building Albert et le beffroi. « Nous ne voulions pas dépasser le beffroi qui a une hauteur de 75 mètres ». Le plus étrange est que, la construction terminée, il semble qu’un dialogue se soit spontanément instauré entre l’hôtel de police et le haut-fourneau 4 de Carsid, définitivement à l’arrêt. Un argument pour le sauvetage de ce vestige de la sidérurgie ?
« On a tout entendu quant à la forme de la tour, nous raconte Jean-Louis Delaet, directeur du Bois du Cazier. J'y vois, pour ma part, une forme symbolique : celle d'une lampe de mineur en réduction. »
La vie en bleu
Rien n’était simple dans ce projet. Il fallait respecter l’histoire du site, répondre au lourd programme de la police, intégrer l’extension de Charleroi Danses et rendre l’ensemble esthétique et convivial. L’histoire est celle d’une ancienne gendarmerie, construite à la fin du XIXe siècle, dans la tourmente des luttes sociales ouvrières. Des bâtiments imposants destinés à accueillir, notamment, un corps de cavalerie. Pour conserver les traces de cette histoire, on décida la démolition d’annexes secondaires (mess des officiers et stand de tir) pour récupérer des pierres bleues et de vieilles briques patinées nécessaires aux travaux de réfection des deux ailes longeant le boulevard Tirou et le ring. La disparition du porche d’entrée nécessaire pour ouvrir la place sur le patrimoine existant (et donner l’image d’une police accessible à tous) aura été la décision la plus contestée par les habitants attachés à un vestige typique de l’architecture militaire de l’époque. L’espace libéré entre les deux ailes sauvegardées et l’ancien manège occupé par Charleroi Danses restait cependant restreint. Le nouvel hôtel de police serait donc… une tour ! Une tour bleue comme la flamme de la police. Elliptique au sol, elle monte en cylindre. Habillée de briques émaillées, leur pose légèrement décalée (pas de verticalité) a fait appel à l’excellence d’ouvriers qualifiés. L’hôtel de police est la première tour de bureau passive en Belgique. Des baies vitrées, fabriquées sur mesure, découpent la tour. Leur nombre et leur taille varient en fonction de leur situation : peu nombreuses ou étroites au Sud, les fenêtres augmentent et s’élargissent vers le Nord. La nuit, le dernier étage s’éclaire dans une mise en scène discrète pour que Charleroi Danses prenne le dessus et brille de mille feux.
Il fallait respecter l’histoire du site, répondre au lourd programme de la police, intégrer l’extension de Charleroi Danses et rendre l’ensemble esthétique et convivial.
Le village nomade
Bénéficiant du chantier de l’hôtel de police, Charleroi Danses a pu enfin se doter d’infrastructures dignes d’une institution de référence internationale pour pallier le manque de place et le problème d’accessibilité. « L’ancien manège fait office de salle de spectacle et les danseurs n’ont pas de lieu pour répéter. Ils sont obligés de s’échauffer derrière la scène ». Trois studios de danse, un atrium pour l’accueil du public, un nouveau foyer ainsi que six logements pour des artistes en résidence ont été aménagés. L’entrée majestueuse des frères architectes Lhoas&Lhoas est conservée, mais désormais accessible aux personnes handicapées grâce à une mise à niveau avec la rue fortement en pente. «Charleroi Danses nous avait demandé de conserver l’esprit village qui était le leur. Toutes les étapes des travaux d’extension en ont tenu compte. Par exemple, les deux studios de danse, aménagés à l’arrière, sont de petites maisons indépendantes autour desquelles le passage et l’animation sont toujours possibles. Quant au foyer central, il est posé sur la dalle haute de l’extension comme une tente nomade évoquant la vie des artistes et la légèreté des danseurs».
CHARLEROI BOUGE, CHARLEROI SE REFAIT UNE BEAUTÉ.
Les projets urbanistiques sont ambitieux. Pour les coordonner, Charleroi s’est dotée d’un outil : Charleroi Bouwmeester (CB).
Interview avec Georgios Maillis, Bouwmeester de Charleroi.
Pourquoi avoir créé le bureau de Charleroi Bouwmeester ?
Le Bouwmeester et son équipe sont entrés en fonction en décembre 2013 pour canaliser l’énergie de cette ville en ébullition créative et pour assurer la cohérence du développement urbain de la ville.
Qui l’a souhaitée ?
Le collège communal, sur proposition du Bourgmestre Paul Magnette.
Est-elle supplémentaire ou complémentaire au service urbanistique de la ville ?
Complémentaire. Le bureau du Bouwmeester est indépendant et collabore avec le service de l’urbanisme et tous les autres départements de l’administration concernés par l’aménagement du territoire et l’espace public. Nous travaillons de la même façon avec les échevins concernés ou avec le bureau d’étude de la Ville.
Quelles sont ses missions prioritaires ?
Les missions gérées par l’équipe du CB sont variées, et ceci pour aborder les diff érentes facettes du développement urbain de la ville :
1. la coordination et l’articulation des grands projets pour structurer la ville de demain et off rir des espaces publics de qualité aux habitants et aux visiteurs ;
2. l’accompagnement des opérateurs publics et privés qui désirent investir et leur permettre d’articuler correctement leurs projets avec le projet de ville de Charleroi ;
3. la création des chartes du mobilier urbain, des façades et des enseignes pour mettre en valeur l’espace public, le patrimoine et les façades de la ville ;
4. la mise en valeur des paysages uniques et forts de Charleroi à travers une vision paysagère cohérente ;
5. la création d’événements culturels en lien avec la ville et l’architecture.
Ses avis sont-ils contraignants ?
Ses avis sont juridiquement non contraignants. Le Bouwmeester travaille dans un esprit de collaboration. Son principal instrument est la force de persuasion grâce à des arguments solides en lien avec le projet de ville.
Sa vision patrimoniale : conserver ou raser ?
Il y a eu dans un passé récent beaucoup de démolitions à Charleroi, certaines malheureuses. Il faut donc être plus prudent à l’avenir, mais cependant sans tabou. Chaque cas appelle une réponse individuelle. Raser le patrimoine sans état d’âme n’a pas de sens, mais tout conserver n’en a pas plus; une ville est un organisme vivant qui doit bouger, évoluer de façon à la fois dynamique et sensible par rapport à son temps.
Comment gérer le patrimoine industriel inséré dans la ville ?
La création de connexions entre les parcs, les boulevards arborés du centre-ville et de la périphérie, les friches industrielles, les terrains vagues, les terrils et le Ravel s’impose pour permettre une libre promenade dans ce paysage à l’identité forte. L’objectif sera donc de concevoir une couche continue déployée sur l’entièreté du territoire qui intègre et lie chaque nouveau projet à ce creuset de diversité architecturale et environnementale à fort potentiel spatial.
Informations :
Hôtel de Ville — Place Charles IIB-6000 Charleroi
Tel. : +32 (0)71/ 86 13 00
gm@charleroi-bouwmeester.be www.charleroi-bouwmeester.be