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Par Mélanie Noiret
Bruxellois d’origine mais Carolo d’adoption, le DJ au masque de singe s’est expatrié dans cette ville en plein renouveau. À la fois surréaliste, énigmatique et dynamique, elle lui correspond. Mêlant son et image, Kid Noize travaille avec des artistes et créateurs locaux par le biais de son label Black Gizah Records. Son premier album, Dream Culture, sort fin septembre.
Pouvez-vous présenter votre parcours en quelques mots ?
Kid Noize – En fait, j’ai une formation de graphiste. En secondaire, j’ai fait quatre ans en arts graphiques à Saint-Luc, à Bruxelles, suivis par quatre autres années dans la même matière à l’ERG (École de Recherche Graphique) où j’ai obtenu une licence. Ensuite, j’ai travaillé quelques années dans diverses boîtes de graphisme. En parallèle, évidemment, je faisais de la musique. J’ai débuté à 13 ans, avec du hardcore. Mon groupe de l’époque, Megate, a d’ailleurs sorti son premier CD en 1996. J’avais 16 ans. Ensuite, il y a eu, comme vous le savez, mon implication dans le groupe Joshua, plus connu. On a sorti trois albums au total. Aujourd’hui, j’ai cessé mes activités professionnelles de graphiste que j’avais toujours menées en parallèle de la musique pour des raisons notamment alimentaires. Je me suis lancé corps et âme dans le projet Kid Noize, un grand saut, une fameuse prise de risque… Mais la musique, c’est ma passion. Cependant, l’aspect visuel et la vision artistique restent très importants. D’ailleurs, si je devais un jour choisir entre être sourd ou aveugle, je préférerais être sourd !
Qu’est-ce que vous inspire aujourd’hui la période Joshua ?
Kdnz – J’y ai fait mes armes ! Mais je n’ai jamais su… Comment dire ? C’était un groupe, et nous devions nous mettre d’accord sur tout. Nous devions nous mettre personnellement en avant, mettre en valeur notre image personnelle. C’était comme ça, c’était le jeu, je l’acceptais, mais ce n’est pas vraiment ma façon de faire, cela ne me paraissait pas naturel.
D’où aujourd’hui cet « avatar » de Kid Noize…
Kdnz – Oui. C’est mon alter ego ! Grâce à ce stratagème, je n’ai pas l’impression d’être hyper narcissique. Ce n’est pas moi qu’on voit, c’est lui ! Il apparaît dans chaque clip, il constitue à la fois un projet son et image. Il est autant l’un que l’autre. Kid Noize, c’est un vecteur multiple de contenu.
Mais d’où vous est venue cette idée de tête de singe ?
Kdnz – C’est mon rêve d’enfant, c’est comme cela que je me voyais enfant. C’est un mélange de « Planète des Singes », de Michael Jackson, « Star Wars »… En résumé, de nombreux éléments emblématiques de la culture des années 1980 et 1990. Pareillement pour la voiture de Kid Noize, une Ford Mustang de l’époque. Je suis très attaché à cette période de l’enfance et de l’adolescence, j’y trouve mon inspiration. Par exemple, enfant, j’étais complètement obsédé par les pochettes d’album d’Iron Maiden. Pas par la musique, juste par les pochettes. D’ailleurs, encore aujourd’hui, j’achète leurs albums quand j’en trouve dans les brocantes, juste pour l’esthétique. J’avoue que j’ai toujours acheté la musique par rapport à la pochette, c’est ce qui m’attire en premier lieu. Sinon, en général, j’ai aussi trouvé mes références chez Gorillaz, Daft Punk, Die Antwoord… Au niveau cinéma, je vais vers David Lynch, Jim Jarmusch, Wim Wenders, mais aussi Steven Spielberg, surtout sa période « E.T. ». « Dream Culture » est justement le titre de mon premier album qui sort bientôt. J’ai mis six ans à rendre le projet Kid Noize cohérent. C’est tout un concept.
Outre Kid Noize, vous avez aussi créé un label il y a trois ans…
Kdnz – Oui, « Black Gizah Records ». Ce label se veut à la fois une rampe de lancement pour Kid Noize et pour les autres artistes wallons. Je ne fais pas cela pour gagner de l’argent – je sais que je n’en gagnerai pas –, mais pour avoir la possibilité d’être libre des plannings, de la vision artistique, de la communication… en fonction de mon point de vue et de celui des autres artistes. On fait du développement d’artistes, ce que les majors ne font pas. J’ai développé « Black Gizah Records » par nécessité, je reste le chef, je suis propriétaire et directeur artistique et, autour de moi, une vingtaine de personnes travaillent sur le label.
Pour le moment, les « labellisés » ont-il du succès ? Qui sont-ils ?
Kdnz – On peut se vanter d’avoir actuellement quatre singles qui tournent sur les radios en Wallonie, dont trois en haute rotation : Mustii, Goldaze, Evernest et Kid Noize. C’est beaucoup pour un petit label. Et aujourd’hui, on commence à se faire approcher par les majors ! Je suis sans cesse à l’affût, nous recevons un grand nombre de démos. Au début du label, c’était dix par an. Maintenant, c’est plus de dix par mois. Malheureusement, on ne peut pas tout sortir, il faut faire des choix. Le label s’oriente vers un mix de commercial et d’Indé. C’est cette combinaison qui fait que cela fonctionne.
Le label investit donc essentiellement dans les artistes wallons…
Kdnz – Oui, je préfère m’investir en Wallonie à 100 %. Je me concentre là-dessus, car ce qui m’importe, c’est de me développer d’abord chez moi. Il y a une place à prendre ici. J’ai quelque chose à défendre. Ce qui ne signifie pas qu’on refuse l’exportation, mais ce n’est pas l’objectif primordial. Kid Noize s’est retrouvé en concert à Paris, au Japon, à faire les premières parties de Stromae, de Prodigy, de Die Antwoord… Mais il s’agit plus d’expériences internationales que d’un véritable développement à l’étranger. Disons que l’exportation, oui, mais pas à n’importe quel prix. Le jeu doit en valoir la chandelle, car cela signifie aussi beaucoup de temps loin de chez soi et de ses proches. C’est un métier fatigant et difficile, la vie toujours entre deux avions. Je connais des DJ’s belges qui sont super connus à l’étranger et pas du tout chez eux. Figurez-vous qu’ils en souffrent beaucoup. Moi, j’attends d’avoir une équipe bien rodée et que tous les projets soient bien lancés. Ensuite, on verra pour l’international qui sera géré en fonction de chaque artiste.
Vous êtes bruxellois d’origine, mais vous vivez et travaillez maintenant à proximité de Charleroi… Pourquoi avoir déménagé ? On pourrait penser que Bruxelles est plus propice au développement artistique, non ?
Kdnz – C’est vrai, je suis né et j’ai vécu 30 ans à Bruxelles. Mais depuis cinq ans, je vis près de Charleroi. J’avais besoin d’espace, de verdure, et il y avait aussi des raisons familiales à ce déménagement. Au niveau culturel, il y a ici une place à prendre que je ne trouvais pas ou plus à Bruxelles. Il y avait beaucoup de gens, beaucoup de voisins, mais pas beaucoup d’espace. Musicalement, il faut savoir aussi que j’ai mes racines à Charleroi. Ado, je m’y rendais chaque week-end pour répéter avec mon groupe. Et, au début… je n’aimais pas aller à Charleroi, j’admets. Puis j’ai rencontré les gens, appris à les connaître. Maintenant, j’ai choisi de vivre là-bas. C’est significatif !
Qu’y avez-vous trouvé artistiquement, culturellement ?
Kdnz – Depuis une dizaine d’années se développent une série d’institutions culturelles intéressantes. Je songe au Théâtre de l’Ancre, à L’Eden, au BPS22, au Rockerill, à Charleroi-Danses… Il y a aujourd’hui une nouvelle génération, toute une jeunesse qui en a marre d’entendre dire que « Charleroi, ça craint ! » et qui œuvre à prouver le contraire. Charleroi connaît un renouveau certain, très décalé, tourné vers la culture Indé et atypique.