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Par Carole Depasse
Nouveau Berlin ou ville la plus moche du monde, Charleroi stupéfait au point qu’un safari urbain décalé y est organisé à la découverte de lieux aussi insolites ou provocateurs qu’une usine désaffectée, le sommet d’un terril, un métro fantôme ou le pont du haut duquel la mère de Magritte s’est jetée à l’eau. Des clichés qui se vendent bien et qui font parler d’une ville postindustrielle aux contrastes hallucinants. Des clichés qui font surtout bien rire les Carolos, les authentiques, ceux qui aiment leur ville pour ce qu’elle est et surtout pour ce qu’elle pourrait devenir. Rencontre avec quatre WonderCarolos, remèdes contre la dépression, même économique.
Nicolas
La communication au second degré, il en a fait un business. Et c’est sur un support textile qu’il y va à fond dans les clichés. Responsable de la boutique online Tshirt Mania, Nicolas n’a pas son pareil pour imprimer des slogans décalés et accrocheurs sur la ville et ses habitants. Le top des ventes, le tee-shirt « Sons of Barakis », détournement du titre de la série télévisée « Sons of Anarchy ». « C’est parti d’un délire : modifier l’intitulé et le logo de la série culte. La kalachnikoff et la faucille sont devenues une bouteille de bière et la main qui soutient une mappemonde, un cornet de frites. Personne n’aurait parié sur le succès d’un tee-shirt qui t’épingle "baraki", une insulte ! C’est juste que l’association du visuel et du jeu de mots le rende portable », s’amuse et s’étonne encore Nicolas. Même succès pour le tee-shirt « Back to Charlouze », inspiré de « Back to the future », ou « Carolo et bien élevé ». Car, dès qu’un nouveau slogan agitateur paraît, les médias en parlent et les réseaux sociaux s’enflamment, démultipliant les ventes. La dernière collection ne devrait pas faire exception : axée sur Charleroi et la Wallonie, elle met aussi en vedette les barbus (Nicolas en porte une bien belle) et les princesses Disney à la sauce Tshirt Mania. Carolo et malin, Nicolas a même créé des séries limitées aux thématiques plus générales ou simplement graphiques pour susciter l’envie des collectionneurs.
Isabelle et Caroline
Nicolas n’a pas encore pignon sur rue. Ses tee-shirts ont donc trouvé refuge, hormis son site Web, dans deux concept stores urbains, dont la boutique Wonderfriends tenue par Isabelle et Caroline. Deux pures souches Carolos qui tirent des plans sur la comète depuis la maternelle. Jusqu’un jour de 2011 où, passant rue de Montigny devant le rez-de-chaussée commercial à louer d’une élégante maison de maître, les deux fidèles amies décident de passer à l’acte. C’était plié. « Nous allions faire quelque chose ensemble, à Charleroi, dans le domaine de la décoration d’intérieur et du design », se rappelle Isabelle. Elles avaient sillonné suffisamment de salons et de foires de créateurs et de designers belges et internationaux pour acquérir une connaissance certaine du sujet. Ouvrir une boutique, c’était clair. À Charleroi ? « Nos proches flippaient », ajoute Caroline. C’est vrai que cela pouvait faire peur. Charleroi semblait plomber un projet déjà périlleux dans un climat économique morose. « Ce n’était pas le côté noir des usines qui nous effrayait. Nous sommes habituées. Nous sommes fières d’être Carolos et, aujourd’hui, nous le revendiquons même », précise Isabelle.
Le souci était plutôt sur le fond, le renouveau à Charleroi, réalité ou utopie ? « Une partie de la ville a été effectivement abattue et sa reconstruction est en cours. Un énorme centre commercial est programmé. Mais cela suffira-t-il à faire renaître Charleroi ? », s’interroge Isabelle. « Nous, on fait juste une partie du taf, mais il faudrait qu’il en soit ainsi pour tout le monde », glissent Nicolas de Tshirt Mania et Jérôme de Pays Noir dans la conversation. Les filles acquiescent d’un hochement de tête. Carolos et philosophes !
Nous sommes samedi et Wonderfriends ne désemplit pas. Le pari est gagné, la boutique attire. On vient y chercher le cadeau qui fera plaisir parmi de nombreuses marques tendances. Et pourquoi pas le body pour bébé, imprimé « Made in Charleroi with love » par Tshirt Mania et étiqueté Wonderfriends ? Trop tard ! L’article a cartonné et il est épuisé (jusqu’à sa réédition). Une collaboration fructueuse.
B-6000 Charleroi
+32 (0)491 07 62 16
©Carole Depasse
Jérôme
Tout le monde se connaît et s’embrasse chaleureusement à Charleroi. Le « Bisou M’chou » appliqué, les collaborations sont spontanées, en particulier parmi une génération de trentenaires entreprenants. Jérôme alias Pays Noir en fait partie. Pays Noir, c’est un label créatif sous lequel se regroupent des clips vidéo, des événements culturels, des concerts, des photos, des textes sensibles et même un tee-shirt produit par Tshirt Mania (encore lui) dans le cadre d’un partenariat entre Pays Noir et Kid Noize. « Pays Noir, c’est un branding qui peut englober plein de choses. Jusqu’à la réalisation de la pochette du vinyle d’un artiste (NDLR. Vladimir Platine). Au début, Pays Noir, c’était pour rigoler. C’est parti d’une simple envie de vouloir porter la couleur de Charleroi. C’est tout bête », commente Jérôme. Pourquoi encore du noir ? « Pays Noir, c’est une expression qui existe. Nous ne l’avons pas inventée, elle fait partie de notre vocabulaire. Le charbon, les terrils (pourtant plutôt verts aujourd’hui), c’est l’identité de Charleroi. La couleur noire n’a pas de connotation péjorative. Nous avons tous quelqu’un dans nos familles qui est descendu dans la mine ou a travaillé dans les industries. Mon grand-père était ouvrier dans les câbleries », explique Jérôme.
©Pays Noir
Jérôme, Nicolas, Isabelle et Caroline forment un noyau représentatif d’une nouvelle jeunesse. Ils se sont connus au travers leurs activités professionnelles, tissent des liens de plus en plus serrés en se croisant régulièrement dans les fêtes nombreuses à Charleroi, élargissent leur relation aux membres actifs de leurs réseaux sociaux, collaborent efficacement et font que, chaque jour qui passe, le renouveau s’installe à Charleroi. Carolos et pas branleurs !
Baraqui et taudis
« Baraqui » ou « baraki » est une expression wallonne péjorative qui désigne aujourd’hui une personne sans culture, plutôt vulgaire, issue d’un milieu social défavorisé. Ce triste mot recouvre une histoire difficile, puisqu’il servait à désigner les travailleurs immigrés italiens, recrutés à partir de 1946 par le gouvernement belge pour descendre dans les mines. Confrontée dans l’après-guerre à une crise du logement, la Belgique loge les premiers milliers de mineurs italiens arrivés sur son sol dans des baraquements (d’où l’appellation « baraqui ») insalubres, anciens camps construits par les Allemands pour les prisonniers russes travaillant dans les mines.