- Patrimoine
Par Alain Voisot
Si l’on veut vraiment trouver une légitimité historique en faveur de l’art brassicole en Wallonie, il suffit d’aller fouiller dans les papiers de famille pour dénicher des traces et des preuves écrites permettant de revendiquer la continuité pluriséculaire de cet art devenu aujourd’hui un enjeu de plusieurs milliards d'euros.
L’ art de la production de la bière dans le monde trouve ses racines au MoyenOrient, mais sa continuité historique se trouve sur trois régions représentées par trois abbayes prémédiévales. À l’époque de l’empire carolingien, la chronique mentionne la production de bière en 822 à l’abbaye de Corbie en Picardie, à l’est d’Amiens, en 850 à Freising en Bavière, au nord de Munich et en 868 à Lobbes sur les rives de la Sambre en Wallonie… Depuis lors, ces régions ont gardé et développé l’art brassicole.
Durant presque mille ans, Lobbes affirme et propage ainsi la foi chrétienne. Au regard des gravures d’époque illustrant l’immense puissance cumulée au cours des siècles, Lobbes était l’une des plus illustres abbayes d’Occident, et subira le même sort que Jumièges, Cîteaux, Cluny, Molesme... C’est précisément cette puissance économique et politique qui fit leurs malheurs. Il ne reste pas grand-chose de ses stances de pierres, de ses jardins et potagers fleuris. La capitation et le commerce des indulgences, la féodalité financière… Autant de ferments révolutionnaires qui dévastèrent les institutions les plus ostentatoires de l’ancien régime. Lobbes était une cible. Seule la ferme est restée en l’état et donne, par ses dimensions, le niveau de puissance de cette abbaye totalement anéantie.
Le domaine de l’abbaye est dominé par l’ex-collégiale Saint Ursmer qui fait office d’église paroissiale. Ses fondations sont de l’époque carolorégienne. Le bâtiment de style roman est parfaitement restauré. Depuis le parvis de la collégiale, on aperçoit quelques futaies indiquant le site exact de l’abbaye qui servit de carrière de pierres durant tout le XIXe siècle.
Un projet
La commune de Lobbes a acquis une petite partie du site d’une superficie de 2,2 ha comportant les bâtiments de l’ancienne lingerie abbatiale désaffectés depuis les années ’60. Ses bâtiments contigus à la ferme couvrent 800 m² auxquels s’ajoute un vaste hangar de 700 m². La brasserie était, selon les plans historiques, installée dans un bâtiment séparé plus au sud. Un investisseur privé souhaiterait y réinstaller une microbrasserie. Peut-on imaginer que cette renaissance puisse se faire en ignorant les recettes des bières monastiques ? Pour l’instant, les historiens locaux n’ont pas fait d’investigation pour retrouver les traces de ce trésor historique.
Le seul trésor historique de l’abbaye qui soit arrivé jusqu’à nous se trouve être la bible de Lobbes conservée au musée du Séminaire de Tournai. Ce document est classé au patrimoine de Wallonie. La production du scriptorium de Lobbes fut intense durant la période médiévale. Les catalogues des manuscrits produits par l’abbaye et conservés dans sa bibliothèque en sont la preuve et confirme bien que Lobbes était au XIe siècle un centre culturel majeur. Cette Biblia Sacra, comprenant 276 folios, serait en fait l’un des deux volumes mis en chantier et terminé par le scribe Goderan en 1084 mais ne comprenant qu’une partie de l’Ancien Testament. Il manque un second volume reprenant la suite des textes de l’Ancien Testament manquant dans le premier volume ainsi que les textes du Nouveau Testament. Les enluminures sont d’authentiques chefs-d’œuvre accessibles sur Internet sur le site du Séminaire de Tournai.