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© Marc Verpoorten - Ville de Liège

La Boverie - Rudy Ricciotti

  • Dossier
Liège  / Liège

Par Joéllie Sprumont

La bienveillance comme posture de combat

 L’architecte provençal de la contemporanéité signe de sa plume, en collaboration avec le bureau d’architecture liégeois p.HD, la nouvelle extension de La Boverie. Un artiste engagé, ambassadeur du béton, dont le franc-parler n’est plus à démontrer.

 

La plupart de vos projets architecturaux concernent la France. Qu’est-ce qui vous a plu dans ce projet belge ?

Rudy Ricciotti  J’adore Liège, camp retranché contre la barbarie pornographique de la globalisation. Une vraie cité avec de vraies gens, dans de vraies situations. J’aime le Belge, combattant contre la vermine de ce monde, globalement plus résistant à l’alcool que le Français. Sa sexualité religieuse est forte et son humour en fait un peuple de pataphysiciens.

 

Vous qualifiez un projet comme un « processus d’enquête ». Investiguer ce qui ne tourne pas rond, trouver le danger. Qu’est-ce qui clochait dans le projet architectural de La Boverie ?

R.R.  Rien en fait, mais le fantasme sur la nécessaire contemporanéité attendue, telle une contrainte mystique, méritait d’être mis sous contrôle. Éviter la démolition du patrimoine, par exemple, était la mise sous contrôle de la paranoïa du programme.

 

Avez-vous rencontré des difficultés particulières et des contraintes dans les processus de création et de rénovation du bâtiment ?

R.R. — La difficulté existentielle de l’architecture : les interfaces entre les ouvrages neufs et anciens. Mais la confiance exceptionnelle entre Paul Hautecler du cabinet liégeois p.HD, ce généreux et brillant confrère du patrimoine, et moi-même a fonctionné utilement. Nous avons évité la schizophrénie : conservation contre création. Les racines du palais existant sont plongées dans la modernité. En effet, sous terre se trouvent les premiers pieux béton battus. Les fondations devraient être classées « monument historique », car il s’agissait d’une première mondiale. Classer l’invisible sous protection, voilà une anxiété nouvelle !

 

Où avez-vous puisé votre inspiration pour la création de l’extension de verre et de béton ? Du lieu en lui-même et de son contexte ou de votre vécu ?

R.R. — Le contexte parle, la mémoire parle, les métiers parlent. L’inspiration est secondaire. Paul Hautecler incarnant a priori le mode conservatoire et moi le mode créatif, nous n’avons eu de cesse de vouloir faciliter le travail de l’autre. Le contexte cognitif est aussi important que le contexte architectural. L’inspiration ? C’était la bienveillance comme posture de combat.

 

Quelle est la ligne conductrice dans les projets que vous menez ?

R.R. — Faire juste, exact, contextuel. Refuser l’exil de la beauté et le cynisme. Donner une réalité populaire à l’exigence esthétique. Considérer le réel, véritable matière artistique, plus dense que la prétention d’art elle-même. De ne pas confondre le minimal obséquieux et le minimum radical !

 

Quelle est la réalisation dont vous êtes le plus fier ? Une œuvre architecturale réalisée, l’écriture d’un livre en particulier ?

R.R. — Avoir éduqué mes trois enfants. Défendre une trentaine d’emplois dans mon cabinet. Je citerai aussi mes combats de doctrine contre la colonisation par les mythologies impérialistes du consumérisme. Lisez mes pamphlets, vous rirez beaucoup.

 

Quelle œuvre vous fait « vibrer » dans l’architecture actuelle ?

R.R.  Gaudi et tout le XIXe siècle. Mais surtout l’architecture développant beaucoup d’heures de travail manuel. Un travail fait main m’émeut beaucoup, car il résiste à la délocalisation des emplois. Là est la finalité politique de notre métier… Défendre les métiers et participer à la reconstruction de ses mémoires. Le travail peut redevenir une clé de redistribution des richesses et un facteur de cohésion sociale. Faut-il encore savoir le valoriser…

 

Des projets à nous faire partager ?

R.R.  Bien sûr, mais je ne les montre pas tant qu’ils ne sont pas finis. Dernier chantier livré, le Mémorial du Camp de Rivesaltes situé dans le sud de la France mérite que l’on s’y intéresse. Citons également le MuCEM à Marseille, le Stade Jean-Bouin à Paris, l’Aile muséale du département des Artsde l’Islam au Musée du Louvre ou encore le Siège d’ITER à Cadarache.

 


BIO EXPRESS

1952 — Naissance le 22 août 1952 à Alger (Algérie)

1974 — École d’ingénieurs de Genève (Suisse)

1980 — École d’architecture de Marseille (France) / Création de l’Agence Rudy Ricciotti à Bandol(France)

 

Projets notables

2000 — Passerelle de la Paix sur le fleuve Han à Séoul (Corée) / Salle de concert philharmoniqueNikolaisaal à Postdam (Allemagne)

2007 — Siège d’ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) à Cadarache (France)

2012 — Département des Arts de l’Islam au Musée du Louvre à Paris (France)

2013 — Stade Jean-Bouin à Paris (France) / Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée(MuCEM) à Marseille (France)

 

Récompenses

— Grand Prix national d’Architecture

— Médaille d’Or de la Fondation de l’Académie d’Architecture

— Chevalier de la Légion d’Honneur

— Commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres

— Officier de l’ordre national du Mérite

— Membre de l’Académie des technologies

 

Publications

Le béton en garde à vue, Lemieux Éditeur, 2015.

— Ricciotti, architecte, Le Gac Press, 2013.

L’architecture est un sport de combat, Textuel, 2013.

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