- Patrimoine
Par Didier Albin
En Wallonie, elle compte des dizaines de milliers de « patients », dont les plus vieux affichent une bonne centaine d’années. Bioingénieure et docteure en sciences agronomiques de l’ULB, Murielle Eyletters dispense sa médecine aux arbres, le plus souvent en milieu urbain.
Elle ausculte les arbres comme un médecin de famille, palpe précautionneusement leur écorce, examine leurs blessures ou leurs cicatrices, diagnostique leurs maladies… Murielle Eyletters est l’une des rares, sinon la seule experte du genre, à les aimer et à les connaître aussi bien. Elle leur a consacré neuf ans d’études avant de leur vouer tout son temps de travail, au travers de sa spin-off Aliwen, créée à Charleroi. C’est là qu’elle effectue sa première mission en 2003, sur le boulevard Audent, où des marronniers dépérissent. Très vite, elle identifie la présence d’un champignon fatal. Il faudra les abattre afin d’en replanter d’autres de la même espèce. A l’époque, on ne connaît pas encore l’existence du « pseudomonas syringae », un pathogène apparu peu avant 2010 et qui décime les marronniers.
« L’arbre est l’un des meilleurs amis de l’homme, mais il est souvent maltraité dans les villes, la Wallonie ne fait pas exception », observe-t-elle. En première ligne dans la lutte contre le réchauffement climatique, il agrémente les paysages. Parcs, jardins, squares, boulevards arborés offrent des lieux de promenades et de détente aux familles, tout en servant de terrains d’entrainement aux sportifs ou de jeux aux enfants. « L’arbre possède un mystère qui fait de lui un être vivant opaque, à la fois familier et inconnu, quotidien et éloigné », poursuit la scientifique. Depuis son plus jeune âge, elle s’en est éprise. « Dans les villes où on les considère souvent comme de vulgaires éléments de mobilier urbain, ils ont une action positive sur le psychisme, la relaxation et la santé sans parler de leur rôle essentiel sur le microclimat, et l’amélioration de la qualité de l’air que nous respirons. » Ces réservoirs naturels de CO2 sont aussi des écrans efficaces contre le bruit.
Des arbres transformés en porte-manteaux
Murielle Eyletters le souligne : c’est en période de canicules que l’on mesure le mieux leurs bienfaits, car ils procurent de l’ombre, rafraichissent les températures tout en favorisant la biodiversité. Mais c’est aussi en ces périodes qu’ils souffrent le plus. Chaque canicule les expose à trois stress qui se renforcent mutuellement : le manque d’eau qui pénalise certaines espèces comme l’épicéa et le thuya, la chaleur qui peut littéralement « brûler » des troncs et, enfin, l’excès de lumière qui perturbe leur photosynthèse.
« Il est important d’accorder la plus grande attention au choix de leur environnement et à leur entretien, car c’est ce qui augmente leur résistance aux poussées de chaleur. J’insiste là-dessus car je constate de nombreuses aberrations lors de mes expertises en milieu urbain : des architectes qui prévoient des fosses à plantation insuffisantes, des espèces hypersensibles à la sécheresse que l’on installe dans des milieux inadaptés (ndlr : comme un parking ou au milieu d’une place publique), des arbres plantés trop près les uns des autres et qui ne pourront pas s’épanouir… En villes, les arbres subissent aussi de véritables mutilations : on cisaille leurs racines pour creuser une tranchée, on les étouffe sous la couche de bitume d’une piste cyclable, quand on ne les réduit pas au statut de porte-manteaux pour ne plus avoir à ramasser leurs feuilles. Planter des arbres, cela se fait pour un siècle, je ne suis pas favorable au concept de l’arbre décoratif jetable ! »
Elle ausculte les arbres comme un médecin de famille, palpe précautionneusement leur écorce, examine leurs blessures ou leurs cicatrices, diagnostique leurs maladies...
Planter le bon arbre au bon endroit
Assurer leur longévité réclame des soins. Il faut, par exemple, leur épargner la taille radicale, c’est-à-dire l’étêtage ou la coupe des grosses branches. L’imperméabilisation des sols les vulnérabilise ; l’usage de couches de matériaux laissant filtrer l’eau est à recommander, comme le BRF, le Bois Raméal Fragmenté, un mélange non composté de résidus de broyage de petites branches. Mais, avant tout, il faut bien connaître les espèces, leurs besoins. « Planter le bon arbre au bon endroit est la recommandation de base pour les garder longtemps ! »
Souvent, le coup d’œil de l’experte lui suffit à estimer leur état de santé, à détecter la présence de maladies. A l’aide d’instruments comme le fluorimètre – le stéthoscope de l’agronome – ou du tomographe, qui scanne l’intérieur du bois comme une radiographie, elle approfondit son diagnostic. En cas de doute, le « médecin » peut procéder à des prélèvements envoyés en laboratoire. On distingue des centaines de pathogènes, comme le cameraria – minuscule papillon – qui s’attaque aux feuilles et le scolyte qui a ravagé les épicéas wallons l’été dernier. Parfois, ce sont des champignons comme l’armillaire, qui peut anéantir le système racinaire.
Quelques interventions en Wallonie
A Couillet (Charleroi), dans le parc Solvay, les traces noires présentes sur les troncs d’un massif d’érables indiquaient l’existence d’une épidémie de suie, dont les microparticules extrêmement volatiles peuvent contribuer à aggraver des troubles respiratoires. Le diagnostic a amené la fermeture des accès au parc, le temps d’abattre les centaines d’arbres condamnés.
A Namur, la disparition des huit marronniers du quai du site du Grognon était inéluctable. « Les habitants du quartier y étaient très attachés, se souvient-elle. Arguments scientifiques à l’appui, je leur ai expliqué que les arbres ne survivraient pas, qu’il leur restait au maximum trois ans avant de tomber. Et, en accord avec le bourgmestre Maxime Prévot que j’avais dû convaincre, je leur ai proposé de planter des chênes afin de les remplacer. »
A Nivelles et Chaudfontaine, Murielle a procédé à des inventaires complets du patrimoine arboré. Etat phytosanitaire, population, densité et âge. « Ces cadastres permettent d’établir l’espérance de maintien et la dangerosité de la canopée, mais aussi de mieux planifier les entretiens. »
« L’origine des premiers arbres remonte à 350 millions d’années. Ils nous survivront sans doute, mais ce qui est certain c’est que nous ne survivrons pas sans eux. Alors, mobilisons-nous pour les protéger des agressions et de la maltraitance ! »
Des aberrations dans la gestion
Il y a des aberrations dans les modes de gestion, une cohérence s’impose entre les opérateurs. A quoi cela sert-il, en effet, de s’engager à planter mille arbres par an à Charleroi si c’est pour en abattre mille autres au bord des autoroutes qui traversent la métropole ? Pour Murielle Eyletters, garantir la compensation du bilan carbone n’est pas le seul objectif à viser. La plantation d’un arbre est un geste réfléchi, il ne s’improvise pas. « Nous, citoyens, avons toutes les cartes en main grâce à notre savoir, à notre volonté et à notre vision pour les générations futures. L’origine des premiers arbres remonte à 350 millions d’années. Ils nous survivront sans doute, mais ce qui est certain c’est que nous ne survivrons pas sans eux. Alors, mobilisons-nous pour les protéger des agressions et de la maltraitance ! »