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Par Christian Sonon
Les forts de Liège et de Namur furent les premiers témoins de la force de frappe allemande en août 1914. La bravoure de leurs défenseurs fut saluée de toutes parts et valut à notre pays la reconnaissance des nations alliées. Certains de ces forts se visitent aujourd’hui.
Si la guerre de 1870-71 entre la France de Napoléon III et la Prusse de Bismarck n’affecta pas la Belgique, elle mit cependant en évidence la faiblesse de notre armée à défendre le pays en cas d’agression. L’antagonisme franco-allemand laissait présager que, tôt ou tard, un nouveau conflit éclaterait entre les deux grandes puissances. Afin de protéger sa neutralité et d’échapper à une invasion dont les conséquences risquaient d’être d’autant plus meurtrières que l’armement était en train de connaître un « progrès » foudroyant, la Belgique devait absolument se protéger. Il fut décidé de cadenasser la Meuse en construisant une barrière de forts autour de Liège et de Namur. Des forts qui ont certes fini par capituler l’un après l’autre lors de l’agression d’août 1914, mais qui ont néanmoins rempli leur mission, à savoir ralentir un tant soit peu la progression de l’armée allemande.
« Le gouvernement belge décida de renforcer trois villes, explique Pascal Kuta, licencié et agrégé en histoire de l’Université de Liège et coauteur de l’ouvrage Grande Guerre (voir page 98). Les forts d’Anvers devaient protéger le pays de l’Angleterre, ceux de Liège devaient faire obstacle à une invasion allemande et ceux de Namur empêcher une attaque française. Si la construction des premiers a débuté à la fin des années 1850 et s’est terminée à la veille de la Grande Guerre, les forts de Liège et de Namur ont été édifiés entre 1888 et 1892. Ils sont l’oeuvre du même architecte, le général de génie Henri-Alexis Brialmont, ce qui explique qu’ils sont quasi identiques. Les fortifications sont relativement petites et les galeries peu profondes, 8 mètres maximum. En fonction du terrain, ils avaient la forme d’un trapèze ou d’un triangle. Et leur construction était le résultat d’une révolution technologique et stratégique. »
L’importance des travaux fut considérable. En quatre ans, la Belgique édifia 21 forts enterrés*, ce qui nécessita la construction de 100 km de chemin de fer et la fabrication et le coulage d’environ 1,2 million m³ de béton. Malgré tous ces efforts, ces ouvrages ne firent pas le poids face à l’artillerie allemande. En effet, s’ils étaient équipés d’obusiers et de canons, le béton, lui, n’était pas armé. « Ces forts étaient conçus pour résister à des impacts de projectiles de 210 mm, explique Pascal Kuta. Quand les Allemands commencèrent à subir de lourdes pertes en raison de la farouche résistance des forts de Liège, ils appelèrent en renfort la Grosse Bertha, dont les obus de 420 mm pesaient près de dix fois le poids de ceux de 210 mm. » Le 11 août, après cinq jours de combats, seules les garnisons des forts de Barchon et d’Evegnée, à l’est de Liège, s’étaient rendues. Mais suite au pilonnage systématique au gros calibre par les assiégeants, les autres forts finirent par capituler également. Le 15 août, ce fut ainsi au tour du fort de Loncin qui abritait le général Leman, le commandant de la position fortifiée de Liège. Le 16, la bataille prit fin avec la reddition du fort d’Hollogne.
Des forts mal ventilés
Une analyse plus fine des événements montre toutefois que, dans 8 cas sur 12 (c’est-à-dire hormis Barchon, Loncin, Chaudfontaine et Hollogne), c’est la menace d’asphyxie qui contraignit les garnisons à se rendre et non la violence des attaques. « Ces forts étaient très mal ventilés, explique l’historien. Les soldats étouffaient sous les effets conjugués du monoxyde et du dioxyde de carbone, des fumées et des poussières présentes dans l’air. C’est le même fléau qui causa la mort de toute la garnison du fort de la Ferté, sur la ligne Maginot, en 1940 ! »
Après Liège, Namur. Nourris de leur expérience aux portes de la Cité ardente, les assaillants engagèrent 135 000 soldats et 590 pièces d’artillerie, dont les canons de 305 et 420 mm, afin de prendre les neuf forts dissimulés dans les massifs boisés entourant Namur. Entre le 21 et le 25 août, la violence du bombardement et la fumée asphyxiante des grenades forcèrent ceux-ci à se rendre à leur tour.
Après l’Armistice, l’utilité de ces places fortes allait être au coeur des réflexions. En 1925, le capitaine de Gaulle, pourtant partisan d’une guerre de mouvement, fit l’apologie de ce système de défense qui avait permis, avec peu d’hommes, d’infliger à l’ennemi des pertes et des retards considérables. Tandis qu’en France, le ministre de la guerre Maginot entreprenait la construction de la ligne de forts qui porte son nom, les Belges, en 1930, décidèrent de réarmer plusieurs forts, comme ceux de Barchon et de Malonne, en s’inspirant du modèle allemand. On utilisa du béton armé, on creusa des galeries plus profondes et on renforça l’aération, notamment en érigeant des cheminées en forme de tours. Plus tard encore, quatre nouveaux forts, plus modernes, furent construits pour renforcer la ceinture de défense à l’est de Liège : Eben-Emael (Bassenge), Aubin-Neufchâteau (Dalhem), Battice (Herve) et Tancrémont (Pepinster).
LA NÉCROPOLE DU FORT DE LONCIN, À ANS
Site majeur de la Première Guerre mondiale en Wallonie, le fort de Loncin fut la principale victime des énormes obusiers « Grosse Bertha ». L’une de ses deux poudrières explosa le 15 août 1914 faisant 350 victimes, dont les deux tiers sont toujours ensevelis aujourd’hui. Les visiteurs peuvent y découvrir le cratère de l’explosion, la crypte mortuaire, le musée du fort ainsi que des pièces d’armement. Il est le seul fort à avoir conservé son armement de 1914. Combinant maquettes et pièces de collection, le parcours muséographique conçu à travers les locaux réaménagés évoque la vie quotidienne de sa garnison.
ÉMINES, SEUL FORT NAMUROIS OUVERT AU PUBLIC**
Ce fort est l’un des mieux conservés de la position fortifi ée de Namur, car il a fait l’objet de moins de destructions durant la Première Guerre mondiale et sa reconversion en dépôt de munitions et poste de commandement dans les années 1930 lui a évité des modifi cations signifi catives. D’importants travaux de déblaiement et de sécurisation ont été réalisés en vue des commémorations de 2014. Le fort d’Émines est en eff et le seul fort namurois à être ouvert au public de façon régulière. Afin d’appréhender au mieux la vie quotidienne, mais aussi l’enfer que connurent les soldats durant l’invasion, des visites guidées sont organisées dans une partie du fort jusqu’au 15 novembre 2014.
* Les 12 forts de Liège : Barchon, Boncelles, Chaudfontaine, Embourg, Évegnée, Flémalle, Fléron, Hollogne, Lantin, Liers, Loncin et Pontisse. Les 9 forts de Namur : Andoy, Cognelée, Dave, Émines, Maizeret, Malonne, Marchovelette, Saint-Héribert et Suarlée.
** Depuis août 2014, le fort de saint-Héribert est également ouvert au public: www.fortsaintheribert.be