- Tendance
- / Mode
Par Marie Honnay
À TOUT PRIX
Lauréats, en 2020, du prix presse décerné par Wallonie-Bruxelles Design Mode, Jérémy Perpète et Sarah Van Overstraeten, diplômés respectivement d’HELMo mode et de l’IFAPME, incarnent plusieurs visages d’un secteur en plein bouleversement. Portrait d’une double promotion pleine de promesses.
Fidèle à sa vocation première – celle de soutenir les talents dans les secteurs de la mode et du design actifs en Wallonie et à Bruxelles –, Wallonie-Bruxelles Design Mode s’est penchée sur les collections de fin d’année de la promotion 2020 des deux écoles de mode de la Cité Ardente : HELMo Mode, une école qui propose un bachelier en textile fortement centré sur le savoir-faire technique de ses étudiants, et IFAPME Château Massart, une formation programmée en horaire décalé à l’approche résolument artistique. Si les deux lauréats ont livré une collection très identitaire et donc résolument différente, les silhouettes primées tracent les contours d’une mode inclusive célébrant l’artisanat d’art, un travail sur les matières qui passe souvent par une réflexion écologique et des thématiques qui questionnent, entre autres, la notion de féminité et le genre.
Sarah Van Overstraeten
Pour ces deux jeunes designers, biberonnés aux grands enjeux écologiques de notre époque, pas question de « faire une collection de plus ou de trop. » Leurs préoccupations passent par une volonté de récupérer, de recycler et de transformer le vêtement. Cette génération qu’on associe souvent au virtuel accorde en outre une place centrale au concept de collaboration. Une collaboration qui passe, entre autres, par la notion de collectif. En effet, pour leurs collections, Sarah et Jéremy se sont tous deux associés à de jeunes graphistes. De ces dessins sont nés une peinture sur textile, mais aussi des broderies avec, dans les deux cas, une volonté farouche de remettre de l’humanité ainsi que de l’authenticité dans le propos mode.
Les préoccupations de ces deux jeunes designers passent par une volonté de récupérer, de recycler et de transformer le vêtement.
Jérémy Perpète
Deux écoles et beaucoup de talents
HELMo Mode et IFAPME. Si ces deux écoles liégeoises ne jouissent pas encore de la renommée que peuvent avoir des académies comme La Cambre et Anvers, elles ont toutes deux formé des stylistes et des créateurs pétris de talent et d’ambition. Le plus connu est sans nul doute Jean-Paul Lespagnard. Diplômé de l’IFAPME Château Massart, ce designer atypique et sans compromis a remporté le prestigieux festival de Hyères en 2008. Depuis, il a multiplié les projets dans le registre du vêtement, mais aussi du costume. Il a ainsi lancé, dans le centre de Bruxelles, la boutique Extra-Ordinaire, qui est l’expression pure et audacieuse de son univers. Et tout récemment, Silversquare lui a confié l’aménagement de son futur espace de co-working du quartier des Guillemins (ouverture prévue en 2022).
Quant à HELMo Mode, elle a formé des professeurs, modélistes, chasseurs de talents pour des agences de mannequins…, mais aussi des profils plus médiatisés comme Timour Desdemoustier, finaliste du festival de Hyères en 2020. Certains ont entamé des carrières en Belgique ou à l’étranger. C’est notamment le cas de Rachel Cornet, qui s’est lancée avec succès dans le secteur de la maroquinerie artisanale (voir p.77), et de Maxime Cordier, chef de produit pour la jeune marque parisienne Marine Serre connue pour son approche avant-gardiste et engagée du vêtement.
Jérémy Perpète et les métiers d’art
Avec sa collection Too Much is Never Enough, Jérémy Perpète (22 ans), étudiant d’HELMo Mode, a choisi de s’interroger sur l’essence de la famille traditionnelle en questionnant la place de la femme et la vision classique du genre. Si le discours mode du jeune designer est très engagé, la précision de son travail révèle la persévérance d’un garçon davantage centré, au début de son cursus, sur la création que sur la technique. « Depuis toujours, je rêvais d’intégrer une école de mode », raconte Jérémy. « Si l’approche très complète d’HELMo m’a séduit, j’avoue qu’en première année, l’un des professeurs ne croyait pas en ma capacité de dépasser mon manque de pratique. Pendant tout mon cursus, j’ai fait en sorte de lui prouver qu’il avait tort ».
Pour cette collection baroque et très aboutie, le designer a choisi de rendre hommage aux métiers d’art et de s’essayer à différentes techniques : broderie, tricot, perlage… « Cette démarche est partie de ma volonté personnelle d’explorer différentes facettes de l’artisanat d’art, un domaine qui m’a toujours fasciné. Par l’intermédiaire du Textlab de la Design Station de Liège (un lieu de recherche et d’expérimentation dans le registre du design textile, ndlr.), je suis entré en contact avec une étudiante de Saint Luc. C’est elle qui a imaginé les dessins sur lesquels j’ai basé mes deux broderies : les blasons colorés appliqués sur le manteau pour enrichir le brocard existant et ainsi récréer un nouveau tissu, et celui, d’inspiration religieuse, qui orne le devant d’une chemise. » Le résultat : une série de silhouettes entre masculin et féminin réalisées sur base de tissus issus d’anciens stocks qui soulignent le savoir-faire technique de Jérémy et la volonté de l’école liégeoise de former des créatifs, mais surtout de redoutables techniciens. « Cette collection m’a permis, d’une part, d’offrir un aperçu de mon savoir-faire technique et, d’autre part, de véhiculer certains messages. Pour moi qui suis de nature timide, le vêtement est un formidable outil d’expression, une manière de raconter la mode telle que je l’envisage. »
Une série de silhouettes entre masculin et féminin réalisées sur base de tissus issus d’anciens stocks qui soulignent le savoir-faire technique de Jérémy et la volonté de l’école liégeoise de former des créatifs, mais surtout de redoutables techniciens.
Le design textile selon Sarah van Overstraeten
Bien que très différente, ne serait-ce que par sa recherche sur les matières, l’autre collection primée cette année, celle de Sarah van Overstraeten (24 ans), n’en reste pas moins riche en questionnements et en messages subliminaux. La créatrice diplômée de l’IFAPME, qui entame aujourd’hui un bachelier en textile à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, a imaginé une série de pièces qui, elles aussi, transcendent l’idée du genre. « La mode, je suis tombée dedans un peu par hasard après avoir entamé des études en architecture d’intérieur que j’ai abandonnées au bout de quelques années. Ce qui m’a fascinée dans la mode, c’est la rencontre avec la matière. Mes professeurs m’ont poussée à expérimenter de nombreuses techniques de transformation du tissu ou de teinture. Entre peinture sur textile et essais dans le domaine du tricot, ces études me sont apparues comme un laboratoire permanent. »
« Ce qui m’a fascinée dans la mode, c’est la rencontre avec la matière. Mes professeurs m’ont poussée à expérimenter de nombreuses techniques de transformation du tissu ou de teinture. »
© Michael Briglio
Conformément aux exigences de l’école, Sarah s’est intéressée à la maille qu’elle a teinte selon la technique du shibori, mais ses recherches l’ont également guidée vers la déconstruction de plusieurs vêtements. « Dans le cadre de ces expérimentations, j’ai agrandi une veste en jeans et un bleu de travail. Ces volumes réinventés m’ont ensuite conduite à m’essayer à l’art du plissé ». Comme Jérémy, Sarah a joué la carte collaborative en s’associant à Keita, un plasticien liégeois. Le t-shirt en denim né de cette alliance est rehaussé d’un dessin original de l’artiste.