- Patrimoine
Par Christian Sonon
À MARIEMONT
Le Musée de Mariemont fait resurgir de terre le monde des Mérovingiens ! Marquée par Clovis, cette dynastie a exercé le pouvoir sur l’ouest de l’Europe pendant trois siècles, entre la chute de l’Empire romain et le couronnement de Charlemagne. Une époque bien plus intéressante qu’il n’y paraît.
Childéric Ier, roi des Francs et des Gallo-romains
Sur sa bague, qui lui sert de sceau, le roi mérovingien est représenté avec de longs cheveux tressés et portant une cape. Les deux sont des signes de pouvoir : les premiers chez les Germains, la seconde au sein de l’Empire romain. Sur une simple effigie de la taille d’un timbre- poste, Childéric arrive ainsi à dire à ces deux communautés culturelles bien différentes : « Je suis votre roi à tous » .
Soyons francs : à part l’histoire du vase de Soissons (que Clovis lui-même se souvint longtemps), la culotte du Roi Dagobert et la lignée des rois fainéants, nous ignorons tout des Mérovingiens qui régnèrent pourtant du Ve au VIIIe siècle sur une très grande partie de la France et de la Belgique actuelles, ainsi que sur une partie de l’Allemagne, de la Suisse et des Pays-Bas. Heureusement, jusqu’au 13 juin, l’exposition « Le Monde de Clovis », organisée par le Musée de Mariemont en partenariat avec l’Agence Wallonne du Patrimoine, nous propose une rencontre intime et culturelle avec les Francs. Les mises à jour de nombreuses nécropoles dans nos régions ont permis de mieux connaître les us et coutumes de ce peuple et de redorer son blason, comme nous l’a expliqué Marie Demelenne, la co-commissaire de l’exposition avec l’archéologue Olivier Vrielynck.
Marie Demelenne co-commissaire de l’exposition “Le Monde de Clovis”.
Marie Demelenne, comment présenteriez-vous les Francs et les Mérovingiens ?
Les Francs sont l’un de ces peuples germaniques qui, lors des premiers siècles de notre ère, ont multiplié les incursions en Gaule, avant de s’y installer de manière durable et de s’associer avec les Romains. Au Ve siècle, ils ont même obtenu un traité et sont devenus un peuple fédéré ; ils ont pu garder leurs institutions, religion et droit, pour autant qu’ils contribuent à la vie de l’État, principalement du point de vue militaire. Ils ont alors pris de plus en plus d’importance au point de finir par imposer leur dynastie et de gouverner sur tout le territoire. Les rois Mérovingiens ont régné durant trois siècles, avant d’être déposés par les maires du palais, parmi lesquels les Pippinides, nom d’une famille dont les descendants les plus connus sont Pépin le Bref et Charlemagne. C’est avec eux que débute la dynastie carolingienne.
Les Mérovingiens étaient-ils des rois fainéants ?
Ce sont les Carolingiens qui, voulant légitimer leur prise de pouvoir, ont raconté l’histoire à leur sauce et véhiculé l’image d’une période de stagnation, de guerriers barbares et de rois fainéants qui circulaient avachis sur des chars trainés par des bœufs. S’il en était ainsi c’est parce qu’ils n’avaient ni capitale ni palais fixe et se déplaçaient constamment d’une région à l’autre afin de se montrer, de faire la justice… L’Histoire a retenu cette version parce que leurs écrits ont pu être conservés, au contraire de ceux des Mérovingiens qui n’ont pas résisté à l’usure du temps. Mais leur portrait est bien plus multiple et nuancé.
En faisant connaître ces rois, l’objectif de l’exposition est donc aussi de les réhabiliter ?
Nous avons également voulu montrer que la transition entre les Francs et les Gallo-romains s’est faite de manière nuancée et progressive. Car il n’y a pas eu de grands raids et de pillages, ni de débâcle et de brutal effondrement. Si la violence a bien été présente, les deux peuples se sont ensuite entendus au niveau de l’organisation du territoire et des mariages ont été célébrés entre les élites des deux camps. La période mérovingienne témoigne d’une intégration aboutie, incorporant survivances romaines et apports germaniques. Un mélange de tradition et de créativité.
La période mérovingienne témoigne d’une intégration aboutie, incorporant survivances romaines et apports germaniques. Un mélange de tradition et de créativité.
Comment avez-vous conçu l’exposition ?
Ce qui fait son originalité c’est que nous sommes partis du quotidien des habitants. Nous avons créé et mis en scène six profils de personnages fictifs mais réalistes, une princesse, une fillette, un garçon, un géant, une religieuse et un potier, afin de parler de l’habitat, l’alimentation, les armes, les ornements, les croyances, les déplacements, les écrits… L’exposition permet ainsi la rencontre d’hommes et de femmes à 1.500 ans d’écart ! A côté de cela, nous avons voulu montrer, à l’aide du matériel archéologique retrouvé dans de nombreuses nécropoles, que sous cette dynastie des échanges commerciaux existaient à l’échelle mondiale. Ainsi, on a constaté que les pierres qui sertissent une fibule, cette grosse broche qui servait à maintenir les vêtements, sont des grenats exportés d’Inde et du Sri Lanka. Et si des gens et des biens ont circulé aussi loin, c’est qu’il en a été de même pour les idées. Cela balaie donc l’image d’un Haut Moyen-Age replié sur lui-même et en régression par rapport à la civilisation romaine.
Des Francs habillés à Soignies
Edith, la princesse saxonne de Tournai, et Odon, le potier de Quévy : deux des six personnages fictifs qui « racontent » leur histoire personnelle aux visiteurs. L’illustrateur bruxellois Cédric Volon les a dessinés sur base d’une documentation très précise fournie par les archéologues et ce sont les élèves de la section couture de l’Institut Provincial des Arts et Métiers du Centre (IPAMC), implantation Soignies, qui ont réalisé les costumes.
Un mini Louvre
Établissement scientifique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le Musée royal de Mariemont conserve, étudie et valorise les collections que le célèbre industriel et grand voyageur Raoul Warocqué a léguées à l’Etat belge à sa mort en 1917. Son intérêt pour l’art était à l’image de sa fortune : immense. Ces collections mêlent les trésors des plus grandes civilisations (Egypte, Grèce, Rome antique, Chine ancienne…) à ceux provenant des populations ayant vécu dans nos régions, des Celtes aux Mérovingiens en passant par les Gallo-romains. Tout ce qui a trait à l’histoire du domaine de Mariemont, depuis le XVIe siècle, y occupe une belle place également, ainsi que la porcelaine de Tournai. Le musée, sorte de mini Louvre, est donc une continuation de ses passions.
« Raoul Warocqué a légué ses collections, ainsi que le château du XIXe siècle et le parc, à la condition que l’ensemble soit accessible au public, souligne Marie Demelenne. C’est ainsi que le musée s’efforce de valoriser ces collections en organisant des expositions sur des thématiques qui lui étaient chères comme, récemment, les textiles coptes et la médecine au temps de la Rome antique, et de les enrichir en menant une politique d’acquisition influencée par les mêmes intérêts. »
Des intérêts que Raoul Warocqué partageait avec les habitants de Morlanwelz puisque, quand le château a brûlé en décembre 1960, ceux-ci se sont rués à la rencontre des flammes pour participer au sauvetage des fameuses collections dont 95 % ont pu être sauvés. Le musée actuel, construit sur le même emplacement, a été inauguré en 1975.
Des verres sans pied mais à plusieurs mains !
Ce gobelet apode (sans pied) est exceptionnel par son décor en résille. À l’époque mérovingienne se tenaient de fastueux banquets qui permettaient au souverain et aux élites de resserrer leurs liens, notamment en buvant au même verre. Comme il ne pouvait tenir debout, il fallait le passer de main en main ou le vider d’un trait !
D’où provient le matériel archéologique exposé ?
Une partie vient bien sûr de nos collections. Mais une vingtaine d’autres institutions, surtout wallonnes, nous ont également prêté des objets, comme les musées archéologiques de Namur et de Tournai, et, surtout, l’Agence Wallonne du Patrimoine, qui est notre plus grand prêteur. De précieux objets proviennent aussi du Musée d’Archéologie national de Saint-Germain-en-Laye, près de Paris, et du Rijksmuseum de Leyde, aux Pays-Bas. Cette diversité nous permet d’avoir un regard sur des populations présentant des caractéristiques différentes. Ainsi, en observant des objets venant d’une nécropole à Broechem, près d’Anvers, on constate des différences notables entre les Francs qui occupaient le territoire wallon et ceux qui vivaient en Flandre près de la mer.
Des patineurs hors pair
A Huy, des fouilles ont également mis au jour des… patins à glace. Réalisés à partir d’un os de bovidé scié, retaillé et poli, ils étaient ensuite fixés via des cordons sur des chaussons en cuir. Une fabrication maison qui montre que la société mérovingienne pratiquait une économie circulaire : toutes les parties de l’animal trouvaient leur utilité. Des vestiges d’une luge ont aussi été retrouvés sur le même site.
C’est un divertissement à programmer après la visite au musée, une activité à faire en famille au sein d’une bulle limitée à six personnes. Des gens sont « enfermés » dans une pièce et doivent résoudre des énigmes pour en sortir. Le pitch ? Des événements bizarres se passent dans le musée au temps du dernier des Warocqué ! Quel est ce secret ou cette malédiction ?…
Infos et réservations : www.charleroom.be
Le mobilier funéraire de la reine Arégonde
Les responsables du Musée de Mariemont ont essayé par tous les moyens d’avoir en prêt le trésor de Childéric Ier, dont la tombe fut découverte à Tournai en 1653 et dont une partie est conservée au Département des Monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. En vain… « Les Français avaient trop peur qu’il arrive quelque chose aux précieuses reliques de celui qu’ils considèrent comme le premier roi de France ! relate Marie Demelenne. En revanche, après plusieurs années de négociations, nous avons obtenu du Musée d’Archéologie national de Saint-Germain-en-Laye qu’il nous prête le trésor funéraire de la reine Arégonde, l’épouse de Clotaire Ier et mère de Chilpéric Ier, qui régnèrent aux VIe siècle. Elle s’est faite inhumée avec sa parure de reine : sa bague avec le monogramme permettant de l’identifier et une série de bijoux personnels (fibules, boucles d’oreilles, grande épingle, garniture de ceinture…) qui sont des pièces uniques. Il n’y en a qu’une petite douzaine, mais il s’agit du mobilier funéraire complet, au contraire du trésor de Childéric qui a été pillé au XIXe siècle. C’est pour cette raison que celui-ci nous paraît plus précieux.»
Repères
• 342 Les Francs saliens s’installent comme fédérés à l’intérieur de l’Empire romain, dans le nord de la Gaule.
• 476 Déposition par les Germains du dernier empereur romain d’Occident. C’est la fin de l’Antiquité et le début du Moyen Age.
• 457-458 Childéric, premier roi (reconnu) de la dynastie Mérovingienne.
• 508 (?) Baptême à Reims de Clovis, fils de Childéric et premier roi de tous les Francs. Début du lien entre le clergé gallo-romain et la monarchie franque.
• 511 Mort de Clovis et partage du royaume des Francs entre ses quatre fils.
• 613 à 639 Clotaire II, puis Dagobert Ier, rois de l’ensemble du royaume franc.
• 732 Les Francs conduits par Charles Martel battent les Arabes à Poitiers. Cette victoire constitue une étape marquante dans l’établissement de la dynastie carolingienne.
• 751 Déposition de Childéric III, dernier roi mérovingien, par les maires du palais. Pépin le Bref devient, en 754, le premier roi de la dynastie carolingienne.
• 800 Charlemagne, fils de Pépin le Bref et roi des Francs, est couronné empereur. Son empire va s’étendre de l’Europe occidentale à l’Europe centrale.
• 924 Fin de l’empire carolingien.
Musée royal de Mariemont
Chaussée de Mariemont 100
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