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Par Noé Morin
Les modes passent, la canne reste.
Rivée invariablement aux mains des grands de ce monde comme des plus humbles, elle demeure un objet de raffinement discret.
De Winston Churchill à Charles Baudelaire, de Saint-Jacques à Rocambole, les cannes, pour les plus fameuses, affichent un impressionnant palmarès. Et si l’habit ne fait pas le moine, la canne, si ! Du dandy à l’homme sage, de l’élégant bourgeois au gentleman anglais, aucun prétendant à l’élégance ne devrait plus désormais se passer d’une troisième jambe. Raffinement et intemporalité, voilà l’union que scelle, depuis 2004, Pierre Vanherck avec un succès indéniable.
Si le village de Lillois est peu connu du grand public, y habite pourtant cet artisan de renommée internationale. Ébéniste et tourneur sur bois, il se distingue depuis une dizaine d’années par la création de cannes de prestige. En 2013, Pierre Vanherck lance sa nouvelle gamme dont la pièce maîtresse culmine à 30 000 € ! Au-delà de ces sommes stratosphériques, c’est une véritable passion qui habite Pierre Vanherck, celle du bois.
Des forêts lilloises au Baron de Rothschild
L’appétit lui vient en 1991 peu après qu’une tempête a balayé les forêts wallonnes. Électromécanicien, Pierre Vanherck passe son temps libre à bûcheronner pour s’aérer. Est-ce la vue des troncs d’arbres couchés qui chatouille son inventivité ? Quelques années plus tard, il démissionne et suit une formation auprès des meilleurs artisans de France, les Compagnons du Devoir, tremplin vers l’ébénisterie. Manifestement, la création de mobilier haut de gamme ne satisfait pas pleinement Pierre Vanherck qui aspire à se démarquer d’une filière traditionnelle. L’occasion se présente une première fois par le rachat fortuit d’un stock de bois contenant, entre autres essences, des barreaux de bois exotique du XIXe siècle et destinés précisément à fabriquer… des cannes ! Malheureusement, les tourneurs sur bois sont en voie d’extinction en Belgique et, le savoir-faire manquant, les précieux barreaux demeurent matière morte. Qu’à cela ne tienne, l’idée fait son chemin. En 2004, Pierre Vanherck confectionne sa première canne. De son propre aveu, il ne songe pas immédiatement à la valeur marchande de son ouvrage. Pourtant, contre toute attente, il en obtient un bon prix à l’occasion du salon des métiers d’art et de la création ArtisanArt à Namur. L’opportunité de développer la fabrication de cannes de prestige s’impose à Pierre Vanherck qui ne tarde pas à trouver sa griffe. Après six mois besogneux, il sort fièrement de son atelier des cannes à l’allure inégalable dont les fûts en palissandre sont surmontés de pommeaux en noix de Banksia serties de diamants et d’argent.
L’extravagance ne s’arrête pas là. Pierre Vanherck n’a de limites que les fantaisies de ses clients et ces derniers lui ont récemment confié la création de « Cannes Système » dont le pommeau renferme, selon les besoins, un porte-plume, une fiole de whisky, une lame, une montre ou encore un cigare.
Consécration vaticane
En 2009, à l’approche des fêtes de fin d’année, Pierre Vanherck est contacté par l’Agence wallonne à l’Exportation et aux Investissements Étrangers (AWEX) qui lui passe commande d’une canne prestigieuse mais sobre, destinée à une « personnalité » dont le nom est alors tenu secret. Le contrat signé, l’artisan est avisé de l’identité du mystérieux commanditaire, le pape Benoît XVI ! Trente heures de travail à la main sont nécessaires et le résultat est à la hauteur des espérances du souverain pontife. Entremêlant le palissandre des Indes et l’ébène du Gabon, la canne vaticane est d’une rare finesse. En guise d’ornement, une marbrure blanchâtre propre à ce bois se dévoile discrètement sur le pommeau, à la manière du sceau papal.
Sous une pluie de sollicitations et de commandes, Pierre Vanherck poursuit son bonhomme de chemin. Dans le sillage des expositions de Tokyo et Monaco, c’est aujourd’hui en plein cœur de Paris, sur la place Vendôme, que la luxueuse boutique Lo And Lo s’offre la vente exclusive de son dernier modèle incrusté de diamants. Par le biais de ses créations remarquables, le maître ouvrier veut rompre l’union de la canne et de l’infirmité, ressusciter son usage dandy et lui rendre son lustre d’avant-guerre. Du reste, l’artisan confectionne d’ores et déjà sa dernière trouvaille : la canne olfactive dont le parfum est libéré au-delà des 20°C ambiants.
Cependant, l’homme n’oublie ni ne renie ses racines. « L’importance, la réussite et la prospérité de la Wallonie dépendent des gens qui y travaillent et des artisans qui y perpétuent un savoir-faire », commente-t-il. « Cependant, alors qu’en France, le titre d’artisan d’art est souvent une porte ouverte à la reconnaissance et au succès, chez nous, il s’acquiert de haute lutte. Le mérite lui revient donc pleinement. Nous pouvons donc être fiers de nos artisans-créateurs qui exportent leur savoir-faire et participent au rayonnement de notre région dans le monde. »