- Économie
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Par Christian Sonon
Son premier cyclotron a été construit en 1986 à Louvain-la-Neuve. Aujourd’hui, Ion Beam Applications (IBA) emploie 1 300 personnes dans quinze pays et est leader mondial en protonthérapie.
«Savoir que l’on contribue à sauver des vies humaines, cela fait chaud au coeur. Surtout s’il s’agit d’enfants… » Yves Jongen sait de quoi il parle. Il est le Chief Research Of f icer de IBA (Ion Beam Applications), une société qu’il a fondée en 1986 et qui rassemble aujourd’hui 1 300 collaborateurs dans quinze pays et une soixantaine d’implantations dans le monde, dont 500 en Belgique. À Louvain-la-Neuve principalement. Si le groupe produit des traceurs radiopharmaceutiques permettant la détection précoce de tumeurs, ce sont surtout ses cyclotrons spécialement conçus pour la radiothérapie, et plus particulièrement pour le diagnostic et le traitement du cancer, qui ont contribué à sa renommée. Mieux ! IBA est leader mondial en protonthérapie. Une technique qui consiste à détruire les cellules cancéreuses en les irradiant avec un faisceau de protons et non plus de photons. L’avantage ? Elle permet de mieux cibler les tumeurs et donc de limiter les effets secondaires de cette thérapie qui sont particulièrement dangereux chez les enfants.
Malgré les avancées des chercheurs américains et japonais, la société néolouvaniste détient à elle seule 50 % des parts du marché dans ce domaine. « Nous avons une longueur d’avance, certes, mais la course continue tous les jours, explique l’ingénieur, dans le soussol de l’un des quatre sites néolouvanistes de la société où se concentrent les activités de recherche et de développement. Jusqu’il y a peu, l’hôpital qui désirait s’équiper de salles pour la protonthérapie devait investir entre 100 et 120 millions €. Aujourd’hui, grâce à une nouvelle génération de cyclotrons de plus petite taille que nous avons mis au point et qui utilisent le principe de la supraconductivité, le coût est descendu à une vingtaine de millions €. Ce qui est déjà plus accessible », souligne- t-il, en montrant, d’un côté, le modèle traditionnel de 200 tonnes et 4,70 m de diamètres qui est en partance pour Dresde et, de l’autre, le « petit dernier », un cyclotron de 50 tonnes et 2,50 m qui, lorsqu’il sera complètement monté et réglé avec une précision extrême, mettra le cap sur le centre de protonthérapie de Nice.
À l’heure actuelle, 22 hôpitaux ou centres de thérapie répartis dans le monde ont choisi de s’adresser à la société belge afin de s’équiper en protonthérapie (voir encadré). Il est loin le temps du premier cyclotron conçu dans un parc à conteneurs de Louvain-la- Neuve, en 1986. Yves Jongen était alors directeur du Centre de recherche du cyclotron pour le compte de l’UCL (Université catholique de Louvain), lorsqu’il eut l’idée de concevoir et de construire des accélérateurs de particules de plus petite taille, non plus pour des applications nucléaires, mais médicales. « On sait, par exemple, que le sucre se concentre de préférence sur des tumeurs ou des métastases. En le marquant à l’aide de traceurs radioactifs, on parvient à le suivre et à détecter les cellules cancéreuses. Nous avons réfléchi aux caractéristiques que devrait avoir le cyclotron idéal pour la production de radioisotopes et la radiothérapie, puis nous l’avons dessiné. Mais aucune firme n’a voulu s’engager dans la construction, estimant ce système trop révolutionnaire. Finalement, c’est la Région wallonne qui nous a aidés. Elle nous a suggéré de créer une société pour mener ce projet à bien et a accepté d’avancer 75 % de l’argent nécessaire à sa mise en route. Née dans le giron de l’UC L, notre spin-off connut un départ rapide puisque nous avons eu quatre commandes dès la première année. »
Très vite, Yves Jongen, le « chercheur », sentit la nécessité de s’adjoindre du soutien d’un « commercial ». Ce fut Pierre Mottet, ingénieur en gestion (UCL) et futur directeur (CEO) de la société – il quitta ce poste en mai dernier pour être nommé vice-président du conseil d’administration –, avec lequel il allait entamer une longue et fructueuse collaboration et être nommé « Manager de l’année » en 1997. « IBA effectua un tournant majeur en 1989 lorsque le chef du service de radiothérapie des Cliniques universitaires de Saint-Luc m’appela pour me lancer sur la piste de la protonthérapie, poursuit Yves Jongen. Nous avons dû patienter jusque 1994 pour décrocher notre première commande, venue du centre de thérapie de Boston, mais quatre ans plus tard, notre croissance était telle que nous avons décidé d’entrer en bourse… »
« On sait, par exemple, que le sucre se concentre de préférence sur des tumeurs ou des métastases. En le marquant à l’aide de traceurs radioactifs, on parvient à le suivre et à détecter les cellules cancéreuses. Nous avons réfléchi aux caractéristiques que devrait avoir le cyclotron idéal, puis nous l’avons dessiné. Mais aucune firme n’a voulu s’engager dans la construction, estimant ce système trop révolutionnaire. »
La suite ne fut pas toujours facile. Au début des années 2000, le groupe doit composer avec les retombées de l’affaire Lernout & Hauspie et la méfiance des banquiers. Mais ses cyclotrons eurent le mérite de ne pas s’affoler et, aujourd’hui, IBA engage à nouveau : 120 nouvelles têtes en 2011, 150 (prévues) en 2012… « Principalement pour nos départements Recherche et Développement à Louvain-la-Neuve », explique Didier Cloquet, le directeur du personnel, qui souligne que si la société recherche surtout des physiciens, physiciens d’hôpitaux, chimistes, électroniciens, électromécaniciens et commerciaux, ce sont surtout des ingénieurs qui constituent la denrée rare. « Nous avons pourtant un projet passionnant pour des jeunes prêts à voyager : partir un ou deux ans à l’étranger en équipe afin de monter un hôpital clé sur porte. Un projet qui demande esprit d’autonomie et de décision, car les patients ne peuvent pas attendre ! »
Un centre de protonthérapie en Wallonie ?
« IBA n’est pas une bombe à dividendes, car nous investissons sans cesse dans de nouveaux produits et de nouveaux services. C’est pourquoi l’action monte et descend régulièrement », annonce Yves Jongen. Le responsable de la recherche ne cache pas qu’une nouvelle idée, un nouveau défi, n’a cessé de tourner de plus en plus vite dans sa tête avant d’aller marteler récemment sa matière grise : la construction d’un centre de recherche en protonthérapie en Belgique ! « C’est notre grand espoir. Pareil centre se justifie pour une population de 10 millions d’habitants. Le projet existe depuis dix ans dans notre pays, mais comme bien d’autres aujourd’hui, il a des difficultés à recueillir l’adhésion au niveau fédéral. Avec la collaboration de l’UC L, des Cliniques universitaires Saint-Luc, de la Région wallonne et d’IBA, il pourrait voir le jour en Wallonie. »
Le premier habitant de Louvain-la-Neuve
Venu de Nivelles où il a passé sa jeunesse, diplômé de l’Université catholique de Louvain, Yves Jongen a connu la cité universitaire alors qu’elle n’était encore qu’un champ de boue gisant entre une poignée de fermes brabançonnes et quelques vieilles bâtisses. « J’ai conclu mes études d’ingénieur électronicien par une spécialisation en physique nucléaire et c’est ce qui m’a valu d’être engagé par l’UC L pour diriger le Centre de recherche du cyclotron, explique-t-il. On m’a trouvé un logement dans une maison rue Basse, près du futur centre de la nouvelle ville, et j’y ai émigré en août 1970. J’étais ainsi devenu le premier habitant de Louvain-la- Neuve que j’ai vu sortir de terre peu à peu. Au sens propre du mot, car je me rappelle que je devais mettre des bottes pour traverser les chantiers en ligne droite depuis mon habitation jusqu’au cyclotron. »
Dans le monde
Vingt-deux hôpitaux ont déjà choisi Ion Beam Applications pour s’équiper d’un centre de protonthérapie. Douze sont opérationnels et dix en phase de construction ou d’installation :
• Sites opérationnels : Boston, Chicago, Princeton, Hampton, Philadelphia, Bloomington, Jacksonville et Oklahoma (USA), Kashiwa (Japon), Zibo (Chine), Iisan (Corée du Sud) et Paris.
• Sites en cours d’installation : Prague (Tchéquie), Essen (Allemagne), Trente (Italie) et Seattle (USA).
• Sites en construction : Dresde (Allemagne), Dimitrovgrad (Russie), Uppsala (Suède), Cracovie (Pologne), Shreveport et Knoxville (USA).