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Par Waw
Saint-Hubert, la capitale européenne de la chasse, est aussi une terre propice à la contemplation. Cette balade en vélo à travers
la Forêt du Roi Albert, qui passe à proximité du Fourneau Saint-Michel, est un livre ouvert sur la faune et la flore du pays.
En cette matinée d’hiver, le givre s’est déposé sur la forêt de Saint-Hubert. Les chênes et les hêtres sont des statues de glace avant que le soleil ne perce la brume et ne chauffe les corps. Le sourire sur les lèvres, heureux à l’idée de traverser à vélo une des plus belles régions du pays, nous quittons Saint-Hubert par la rue Saint-Michel. Après un kilomètre, nous tournons à droite vers le parc à gibier en suivant le balisage vert. Le chemin carrossable nous fait ensuite entrer dans la forêt. Autour de nous, les imposants troncs des hêtres nous dominent de haut, serions-nous les petits poucets de la journée ?
Dans cette grande forêt d’Ardenne, les traces de nos pneus se mêlent aux empreintes du bestiaire. Près de la fagne du Bèyôli, elle nous enveloppe, devient immense quand elle se drape de filandres de brume. On ne distingue plus ses contours. Quel plaisir d’entendre uniquement le bruit de nos pneus… Sur ces chemins aisés, nous prenons la peine de ressentir cette magnificence forestière. Et le merveilleux est omniprésent.
Après avoir dévalé la pente le long du ruisseau de Palogne, le parcours rejoint le ruisseau de la Masblette qui bondit de roche en roche et scintille, tandis que les colonnes de hêtres ouvrent des baies de lumière comme une cathédrale. Avant de traverser ce ruisseau, il est possible de poursuivre le chemin jusqu’à l’Arboretum Saint-Michel, voire même jusqu’aux lieux historiques du Domaine du Fourneau Saint-Michel où l’on pourra visiter le Musée du fer et le Musée de plein air.
Distance : boucle de 29 km via le réseau des circuits balisés VTT.
Difficulté : élevée (pour vélos électriques)
Balisage : le tracé suit d’abord le circuit n° 2 (balisage vert), puis rejoint le n° 3 (balisage jaune) via le parcours de la GTA (Grande Traversée des Ardennes, carré jaune et blanc).
Départ : place du Fays à Saint-Hubert.
Reconstruite en 1729, l’abbaye de Saint-Hubert demeure de nos jours une perle architecturale au cœur de la forêt ardennaise.
L’abbaye de Saint-Hubert
Au VIIe siècle, Hubert est évangélisateur d’une contrée dont le christianisme eut des difficultés à pénétrer le massif sombre. Devenu premier évêque de Liège, saint Hubert meurt en 727. Sa dépouille est transférée en plein cœur de l’Ardenne, sur le plateau désolé d’Andage. Des moines bénédictins s’y établissent et fondent une abbaye, l’une des plus anciennes et des plus illustres de l’Europe occidentale. Le culte de saint Hubert donnera son nom à la nouvelle cité. Au XIe siècle, l’abbaye bénédictine connaît prospérité et fonde plusieurs prieurés. Reconstruite en 1729, elle demeure de nos jours une perle architecturale au cœur de la forêt ardennaise.
Un fer qui casse
Nous sommes en 1780, les caisses de l’abbaye de Saint-Hubert sont vides ! Pour l’abbé, il faut construire des hauts-fourneaux, vite ! Ambitieux, il veut casser le monopole des sidérurgistes liégeois. L’implantation est choisie : ce sera à Saint-Michel. Le cadre est idéal. Les forêts apportent le charbon de bois, combustible nécessaire aux hauts-fourneaux. Et les rivières et leurs forts courants donnent l’énergie nécessaire pour actionner les soufflets et les marteaux (les makas). « C’est le plus beau haut-fourneau de la province », s’enorgueillit l’abbé. La précipitation n’est pas bonne conseillère car les hommes, plus habitués à utiliser la cognée, sont malhabiles. Le minerai de Jemelle est de mauvaise qualité et les affaires débutent mal. Beaucoup plus loin, dans le Nouveau Monde, le canon gronde : la Guerre d’indépendance américaine débute. Benjamin Franklin, futur président, se rend en Europe et achète des armes, beaucoup d’armes. A Liège, les makas frappent 24 heures sur 24. La cité ardente devient l’arsenal des révolutionnaires. L’abbé veut s’approprier une partie du butin et fabriquer des canons lui aussi. Et tant pis pour la morale ! Malheureusement, la forge produit trop vite les bouches de canons. Ils explosent un à un… C’est la ruine ! Le haut-fourneau qui a craché tant de fumées et de poussières s’éteint à jamais. De nos jours, le bâtiment du facteur de forge, la halle à charbon et le haut-fourneau, intacts, sont les témoins du rêve de grandeur de l’abbé entrepreneur.
La forêt mythique
Le circuit s’engouffre alors à nouveau dans la forêt en suivant le parcours n°3 (balisage jaune) qui s’élève for- tement pendant près de trois kilomètres. Près de Mochamps, minuscule hameau situé sur le territoire de Tenneville, nous allons côtoyer l’emblème de la forêt, le cerf élaphe, grâce aux postes d’observation disséminés ci et là pour le plaisir des yeux et des sens.
La forêt laborieuse
En Ardenne, si la terre est ingrate et difficile à cultiver, la forêt permet aux hommes d’en tirer subsistance. Elle a enfanté des métiers qui se sont perdus à l’aube de la mécanisation. Ainsi, aux alentours de Mochamps, au nord de Saint-Hubert, vivaient des sabotiers et des charbonniers. La fabrication du charbon de bois était effectuée dans les clairières comme en témoignent les quelques aires de faulde qui sont encore bien visibles sur les côtés des chemins. Le charbonnier enflammait du bois empilé sous une meule de foin recouverte de terre. A l’abri de l’oxygène, le bois se consumant était carbonisé, c’est-à-dire qu’il perdait son humidité et sa matière végétale. Les charbonniers vivaient plusieurs semaines dans les bois pour surveiller ces foyers qui étaient régulièrement source d’incendies de forêt.
De nos jours, les hommes n’occupent plus en permanence le hameau de Mochamps qui ne possède toujours pas de réseau électrique ni de distribution d’eau !
La Tour d’observation de Priesse et l’aire de vision de Bilaude, remarquables constructions s’intégrant dans la nature, nous permettent de voir la faune sauvage de près. Dans le carnet déposé à l’attention des promeneurs, nous notons les observations du jour. De l’étang, le paysage est magnifique.
Un peu plus loin se présente la boulaie du Rouge Poncé, l’une des plus anciennes réserves naturelles domaniales en Région wallonne puisqu’elle a été créée en 1969. Cette étrange forêt de bouleaux pubescents s’étend sur 37 hectares sur un sol tourbeux, un milieu que l’on retrouvait régulièrement en Ardenne avant son assèchement pour la production et l’exploitation de conifères. Cette boulaie présente une succession de zones ouvertes et humides lui permettant d’accueillir des espèces rares comme la camarine, la linaigrette vaginée ou encore l’un des plus grands coléoptères de la Belgique, le carabe chagriné.
Nous retrouvons le ruisseau de la Masblette le long duquel nous nous laissons griser par une descente magnifique qui s’interrompt par un coup de frein peu avant le Pont Colle quand, sur la gauche, viennent à notre rencontre le ruisseau de Palogne et notre itinéraire de l’aller que nous allons suivre en sens inverse pendant un kilomètre environ avant de bifurquer sur la gauche et de reprendre le fil du circuit n°2.
La forêt silencieuse
Le chemin entre à nouveau dans le grand massif. En quelques tours de roue, nous sommes à nouveau happés. Plus on roule, plus on pénètre dans la forêt sans retour tant elle paraît s’étendre vers nulle part. Et elle n’a rien de sombre ni de triste. Les feuillus captent une partie de la lumière mais laissent d’autres rayons illuminer le sol, les ruisseaux et le roc. Les côtes succèdent à des descentes en plein bois et l’on prend du plaisir à sillonner entre les grands arbres. Le sentier aboutit dans une vallée perdue où trônent quelques bouleaux épars, isolés au milieu d’une lande. Quelle quiétude ! Nous fermons les yeux et écoutons ce silence des grands espaces… Qui n’a pas rêvé un jour de se balader en terre sauvage, de s’y ressourcer, de rouler à n’en plus finir et de souffler un instant ? En parcourant ces terres préservées, en empruntant ce magnifique chemin qui longe la fagne de La Doneuse, on s’illumine de bonheur simple. Cette large vallée a été l’objet d’une restauration qui a éliminé les massifs d’épicéas. Au fil des années, de nombreuses vallées d’Ardenne retrouvent enfin leur milieu originel.
Mais la fin de la balade est proche. Les derniers kilomètres de l’itinéraire rejoignent doucement l’orée avant de plonger vers l’abbaye qui domine la petite cité de Saint-Hubert, ceinturée par ce grand vert que nous venons de parcourir avec une joie indicible.
Cet itinéraire, proposé grâce au partenariat avec l’éditeur Olivier Weyrich, est tiré du mook « 10-Découvertes », rédigé par deux experts du vélo,
Pierre Pauquay et Olivier Béart.