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VENTS DE FOLIE

  • Dossier
Hainaut

Par Carole Depasse

La créativité est-elle identique à Londres, Casablanca ou Pilsen? Démonstrations et réponses par la Maison Folie qui invite huit villes du monde à nous initier aux valeurs artistiques et culturelles qui font leur génie et leur identité.

Le concept des « Ailleurs en folie », projet hors norme de Mons 2015, est simple : la Maison Folie de Mons, scène multidisciplinaire et transfrontalière du Manège de Mons, se transforme en Maison Folie internationale dans laquelle des artistes étrangers vont tenter d’immerger le public dans leur scène artistique et culturelle. L’enjeu du projet est, pour chacune des huit villes sélectionnées, d’imaginer un programme décalé, festif et participatif qui envahira, un temps court (de 4 à 11 jours), les espaces de la Maison Folie ainsi que la ville de Mons. Les initiateurs montois du projet et leurs complices d’ « Ailleurs » espèrent ainsi une propagation rapide de l’énergie créative des villes hôtes et une contamination fulgurante de tous ceux qui, déjà sensibles à l’interculturalité, auront la curiosité de vivre l’expérience du partage artistique proposé. Pour Anne André, directrice de la Maison Folie, les « Ailleurs en folie » sont la poursuite d’un travail entre le local et l’international engagé depuis 2005. « Depuis cette date, nous développons un focus sur une région du monde. Le concept existe déjà, mais nous avons souhaité l’intensifier dans le cadre de Mons 2015, notamment en ciblant des villes européennes. Il ne s’agit pas de faire voyager des artistes avec un programme ficelé d’avance. En amont, il doit exister une volonté de contact des artistes étrangers avec la population, les associations et les artistes de Mons. »

L’enjeu du projet est, pour chacune des huit villes sélectionnées, d’imaginer un programme décalé, festif et participatif qui envahira les espaces de la Maison Folie ainsi que la ville de Mons.

 

Depuis deux ans, régulièrement, les huit commissaires et les artistes impliqués dans le projet sont venus en résidence à la Maison Folie de Mons. Chaque « Ailleurs » est une construction progressive, partagée et « négociée » avec les Montois. Et la folie dans tout cela ? Éclairage furtif sur deux « Ailleurs en folie », ceux de Londres et Casablanca pour donner l’envie d’aller plus loin et de s’interroger.

British humor

Chaque commissaire a « carte blanche ». Car la folie de Londres n’est pas celle de Casablanca pour ne citer que deux des huit villes invitées. Londres est le second « Ailleurs » programmé. La jeune commissaire, Marine Thévenet, de la société de production indépendante Artsadmin, est venue avec un concept original : transformer la Maison Folie en un Working Men’s Club, un amalgame entre une Maison du Peuple et un bistrot s’il est possible de tenter une comparaison bien de chez nous. Le Working Men’s Club est une institution populaire qui s’est développée au XIXe siècle dans une Angleterre industrielle triomphante. Les travailleurs nombreux s’y rencontraient, buvaient, jouaient, tapaient la carte et discutaient politique en refaisant le monde... ouvrier. Démantelés au XXe sous l’ère Thatcher, ces social clubs sont aujourd’hui réinvestis par des artistes contemporains. Marine Thévenet a choisi de travailler avec l’un deux : le Bethnal Green Working’s Men Club, installé dans le secteur Est de Londres, quartier en pleine « gentrification ». « Bethnal Green est un quartier populaire qui renaît. Les lieux de fête, les night-clubs abondent mais, en même temps, la tendance est de chasser les classes populaires vers la périphérie. Notre idée est de mettre en scène cette réalité qui fait écho à ce qui se passe à Bruxelles ou dans d’autres villes européennes. Le Bethnal Green Working Men’s Club a encore une âme et nous voulons la célébrer ainsi que la culture ouvrière avant qu’elles ne disparaissent. » Moquette au sol, murs laminés, chaises en velours, scène de cabaret entourée de rideaux lamé or, cœur rouge lumineux en arrière-fond et un bar où les commérages vont bon train, le Bethnal Green Working Men’s Club est kitsch à mourir ! Mais voilà un produit culturel qui sied à Mons : même reprise en main par des artistes d’un lieu populaire historique, même programmation artistique de proximité, même esprit décalé. En février 2015, cinq artistes dont Rebecca Davies, maîtresse de cérémonie, vont transformer la Maison Folie de Mons en un british social club. Ils vont habiter le lieu et interpréter des personnages tels une barmaid gouailleuse, un crooner de charme ou un professeur d’aérobic allumé. Rebecca Davies en serveuse excentrique vous interpellera dans un français aléatoire, vous jouerez au bingo (lotto), aux fléchettes et chanterez à l’occasion d’un karaoké certainement un peu givré. « Les artistes jouent les figures familières du Working Men’s Club. Il s’agit de caricatures respectueuses et engagées car il s’agit, en finalité, de faire revivre ces lieux rassembleurs en voie de disparition », ajoute Marine Thévenet. En parallèle à cette comédie humaine, une série de performances, de concerts et de séances de cinéma, en lien avec la question de la régénération urbaine, sont au programme de quatre jours qui laisseront des traces. « Une cinéaste, Andrea Luka Zimmerman, a filmé durant sept années, avec l’aide de ses voisins, son HLM dans l’Est de Londres. Un vaisseau social des années 1930 qui va être détruit prochainement pour être remplacé par des logements plus huppés. Son film, présenté en avant-première, relève à la fois du documentaire et de la féérie. » Enfin, parce que l’humour est aussi dans la légèreté, une artiste de Glasgow, Rosana Cade, occupera la rue en compagnie d’artistes montois. Ils prendront par la main des passants pour une brève marche improvisée. Moment extrêmement intime : un apprentissage so british de la relation à l’étranger.

En février 2015, cinq artistes dont Rebecca Davies, maîtresse de cérémonie, vont transformer la Maison Folie de Mons en un british social club. Ils vont habiter le lieu et interpréter des personnages tels une barmaid gouailleuse, un crooner de charme ou un professeur d’aérobic allumé.

 

Énergie noire

Troisième « Ailleurs », Casablanca, ville portuaire bâtarde, géographiquement coincée entre l’Europe et l’Afrique, influencée par des courants culturels contradictoires, dynamique, chaotique, où tout peut simultanément se faire et se défaire. Qu’est-ce qu’une ville d’une telle intensité peut offrir à l’Europe et à Mons ? Nedjma Hadj Benchelabi, conseillère artistique Arts de la scène pour l’ « Ailleurs Casablanca », nous raconte comment Alya Sebti, commissaire, amoureuse de la Maison Folie de Mons (« un bâtiment qui a du vécu comme Casablanca »), a, pour ce lieu si spécial, proposé d’y faire entrer un art de la scène vivant, même charnel : la danse contemporaine. « Les chorégraphes marocains ont un langage et un vocabulaire pertinents. Ils ont à vous montrer de belles œuvres qui parlent de nous, du port, des tensions de la ville... Les corps sur scène évoquent tout ce que nous sommes capables d’absorber dans une Casablanca effrayante mais pleine d’espoirs. » Aux côtés des danseurs, d’autres artistes marocains atypiques symboliseront à leur façon leur ville « folle ». Parmi ceux-ci, Younes Baba-Ali, plasticien, dont les installations multimédia évoquent l’élan sauvage du développement économique dans un Maroc contemporain. « La question du plagiat et ses implications m’interpellent. Il existe des entreprises marocaines dont les logos ou les noms sont plagiés de multinationales. Un exemple ? Une entreprise marocaine d’ameublement en kit s’appelle Kitea ! Mon idée est de travailler de manière sculpturale sur les enseignes lumineuses plagiées de ces entreprises et de les exposer dans la cour de la Maison Folie. » Une reconstitution en néons d’une facette de l’économie marocaine. Activités clandestines

Hassan Darsi fait partie de l’éclectique délégation de Casablanca. Plasticien, il a l’habitude artistique d’intervenir dans l’espace public et, particulièrement, celui des villes. Mons, Capitale européenne 2015 de la Culture, est un fabuleux terrain de jeux à la hauteur de cet artiste personnel. « Ma proposition est de réfléchir avec les étudiants de Arts2, Ecole supérieure des arts de Mons, sur la communication artistique et, plus particulièrement, sur le moment où l’artiste est seul, dans la « clandestinité » et que rien n’a encore filtré sur son travail. » Probablement l’unique moment de liberté où l’artiste est maître de son œuvre. Dès le voile levé, c’est fini ! L’œuvre tombe dans le « magma de la communication », commente Hassan, et est inévitablement manipulée et déviée par les medias, les critiques et les galeristes. Hassan sait de quoi il parle lui qui s’est vu interdire à plusieurs reprises ses interventions publiques. « Je propose de revenir à ce moment privilégié de totale liberté où les enjeux de la communication ne font pas encore pression sur la créativité. » À ce moment, l’artiste se moque bien de réussir. Après, c’est autre chose. « J’envisage ensuite de réfléchir à cette notion de clandestinité avec le passant. Cette réflexion aboutira à un objet, une inscription, un poster, une perturbation d’un itinéraire en ville, une danse ... Tout ce que vous voulez. » Chacun trouvera son moment de liberté.

Les Ailleurs en folie

Maison Folie

Rue des Arbalestriers, 8

B-7000 Mons

+32 (0)65 39 59 12

www.mons2015.eu/fr/ les-ailleurs-en-folie

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