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Par Gilles Bechet
On pèche par gourmandise
A un jet de louche de l’abbaye de Leffe se niche Le Confessionnal, un restaurant dont la cuisine comme le cadre semblent surgis du passé. Son chef, Philippe Gérard, y sublime les plats traditionnels, simples et copieux. Comme ceux que préparaient nos grands-mères.
Si on s’y confesse, c’est en faisant bombance devant un copieux repas plutôt qu’en chuchotant assis sur une étroite banquette en bois. Installé à l’entrée de Dinant, le restaurant, aujourd’hui tenu par Philippe Gérard, doit son nom à sa proximité avec l’abbaye de Leffe qui se dresse de l’autre côté de la rue. L’établissement occupe deux anciennes maisons ouvrières dont l’une était celle d’un cordonnier. Quand on pousse la porte, on a l’impression d’entrer chez un antiquaire. Les petites tables de bois couvertes d’une nappe à carreaux sont entourées d’un amoncellement d’objets patinés par le temps où les cloches à fromage avoisinent une statue polychrome de Saint-Nicolas, les peintures de basse cour répondant à un curieux ancêtre de la machine à écrire.
C’est en 2016 que Philippe Gérard a repris l’établissement créé quelques années plus tôt par Alain Blondiaux. Le gros de la rénovation était fait. Le nouveau chef y a façonné une atmosphère plus personnelle avec les objets chinés sur les brocantes et marchés. Par la suite, ce sont les clients qui sont venus apporter, qui une vielle soupière, qui un vieux livre de recettes ou une tête de moine en bois.
Les casseroles sur les tables
La cuisine que l’on sert ici est à l’image de cette atmosphère chaleureuse et chargée. « Le meilleur compliment que l’on peut me faire, glisse le chef, c’est de me dire : « J’ai mangé comme chez ma grand-mère ». » A la carte, rien que des plats de terroir qui ont progressivement déserté les tables de la plupart des restaurants. Os à moelle rôti au four et pain grillé, ris de veau aux girolles ou joue de bœuf à la bourguignonne. « On fait de la cuisine simple sans chichis. On dépose les casseroles sur les tables. C’est plus convivial, ça permet de s’échanger les portions. » Pas plus de 20 couverts au Confessionnal. Philippe Gérard est seul en cuisine, aidé d’une personne pour le service en salle et d’une autre pour la plonge. Tout est préparé sur place, de bout en bout. « Pour la blanquette, j’achète la pièce de veau que je découpe moi-même avant de la cuire. Après, on le goûte parce qu’on a encore des morceaux de cartilage sous la dent, alors que la viande des blanquettes industrielles est toute filandreuse ». Pareil pour les vols au vent qui ne sont pas des préparations au poulet, comme le tout-venant, mais bien avec de la poule qui a été longuement mijotée sur les fourneaux.
Complet midi et soir
Avec sa petite jauge, le restaurant est complet midi et soir, plusieurs jours à l’avance. Le midi, Philippe Gérard met souvent le téléphone sur répondeur plutôt que de devoir invariablement répondre qu’il n’y a plus de place, il peut ainsi se concentrer sur ses casseroles. La clientèle est composée de gens des environs et d’habitués parmi lesquels des chefs de restaurants étoilés qu’il a souvent entendu louer sa cuisine authentique. « Le seul reproche qu’on a pu me faire, c’est que c’est trop copieux. »
A contre-courant du gastronomiquement correct, la cuisine du Confessionnal n’est pas pour les petits mangeurs. « Celui qui est au régime ne vient pas ici. Je vois aussi que les gens qui font attention sont les premiers à mettre le couteau dans le beurre. Comme je ne fais jamais de pub, ceux qui sont déjà venus reviennent avec des amis parce qu’ils savent qu’ils vont aimer. »
Passionné par son métier, Philippe Gérard n’a vraiment pas la grosse tête. Pour lui, on n’invente plus rien en cuisine, on se contente d’adapter les anciens. « Prenez la cuisson à basse température, ce n’est pas nouveau. Quand on laisse une casserole mijoter sur le bord d’un fourneau, on fait de la basse température. Pour le matériel de cuisine, c’est la même chose. On a juste ajouté un moteur et mis du plastique tout autour. »
L’homme n’est pas pour autant rétif au changement. « Rien n’est acquis, il ne faut pas croire qu’on connaît tout. » Ainsi, au détour d’un film sur la toile, il a vu que le chef Jean-Pierre Bruneau cuisait sa pièce de veau pour la blanquette avant de la découper et il a adopté l’idée.
Le plus beau métier du monde
Même s’il travaille seul, il n’a jamais voulu d’apprenti. Il a bien fait quelques essais, mais le candidat le plus assidu a été remercié après un mois. « Je ne trouve pas de jeune suffisamment passionné. Ils sont déjà fatigués dès qu’ils commencent et leur grand-mère peut mourir trois fois quand il s’agit de trouver des excuses pour tirer au flanc. Je n’ai pas trop de temps pour expliquer dix fois la même chose. Je veux travailler sans être stressé. »
Ne lui parlez pas de Top Chef et de toutes les émissions culinaires à succès. Philippe Gérard n’a plus de télévision depuis qu’il a repris Le Confessionnal, voici 9 ans. « Quand est-ce que je le regarderais ? Je n’ai pas le temps. Je me lève à 7h et je me couche vers minuit. Top Chef, ce n’est pas la réalité. Ma télé, ce sont les gens. En fin de soirée, j’adore passer en salle et discuter avec les clients ».
Philippe Gérard en est convaincu, il fait le plus beau métier du monde. Quand il a repris le Confessionnal, il avait 54 ans. Comme il hésitait à encore se lancer dans une telle aventure, il est passé voir son premier patron, Jean Ureel, qui tient aujourd’hui La Ferme du Faubourg, à Quenast. À 77 printemps, il était toujours au fourneau, bon pied bon œil. « Ça a changé mon optique et je ne le regrette pas. Le jour où je souffle à l’idée du travail qui m’attend quand je me lève, j’arrêterai. Pour le moment, ça me plaît toujours autant. Quand je vois arriver dans mon établissement des gens avec un grand sourire, je sais que je ne pourrais pas rêver mieux. »
« J’aime le changement »
En 1978, Philippe Gérard sort avec son diplôme en poche de l’Ecole Hôtelière de Namur, la ville où il a grandi. Une formation qu’il a choisie par fainéantise, reconnaît-il avec le sourire. « Mon frère et ma sœur avaient suivi la médecine ou la pharmacie et je ne m’y voyais pas. Quand je suis rentré à l’école, je ne pouvais distinguer un persil d’un cerfeuil ! » Très vite, la passion du métier a pris le dessus. Le week-end, alors que rien ne l’y obligeait, il filait en stage. Après avoir connu son baptême du feu à l’Auberge de Basse-Cabecque (Rebecq-Rognon), il est monté à Bruxelles pour travailler à l’Écailler du Palais Royal. Toujours curieux de nouvelles expériences, il est passé par la Côte d’Azur, au Couloubrier (Le Muy), avant de retourner au pays, au Moulin de Lisogne (Dinant). Pendant 15 ans, il a alors proposé un service traiteur. Comme il avait la bougeotte, il est encore passé par l’Art de Vivre (Barvaux) et le Quartier latin (Marche-en-Famenne). Puis, après un changement de décor avec la cuisine des ambassades de Belgique (4 ans à Londres et 3 ans à Rome), il revient au Quartier latin pour, finalement, prendre les commandes du Confessionnal. « J’aime le changement, c’est vrai. Tous les gens avec qui j’ai travaillé m’ont marqué et sont souvent devenus des amis pour lesquels j’ai le plaisir de cuisiner dans mon restaurant. »
Le Confessionnal
Rue Rémy Himmer 4
B-5500 Dinant
+32 (0) 82 22 45 22