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Par Gilles Bechet
Au bout de cinq années de recherche, une équipe de l’UCL a pu identifier une substance capable de bloquer les métastases du cancer. Un espoir considérable contre un tueur implacable.
Ce 24 juillet dernier, l’UCL annonçait lors d’une conférence de presse qu’une de ses équipes de recherche dirigée par le professeur Pierre Sonveaux avait pu prévenir chez la souris le développement des métastases d’un cancer particulièrement agressif. Cette découverte, une première mondiale, suscite de nombreux espoirs, car elle est une étape majeure dans le traitement de cette maladie qui cause, en Belgique, 27 000 morts par an (chiffres de 2008), dont 90 % sont dus à la dissémination des métastases, ces tumeurs- filles, parfois nombreuses, qui apparaissent dans des endroits distants de la tumeur d’origine.
Au départ de cette recherche, il y a le constat que sur les millions de cellules tumorales qui se déversent chaque jour dans le sang, seule une infime minorité d’entre-elles est capable de développer des métastases. « Pour comprendre le mécanisme d’apparition de ces métastases, nous avons fait du méchant un «super méchant» et cherché à comprendre ce qui s’était passé afin, dans un second temps, de rendre ce méchant innocent », résume le professeur Sonveaux.
Des cellules de tumeur d’un mélanome (cancer de la peau) ont été injectées à des souris. Peu métastatiques au départ, elles ont été rendues super métastatiques par une accélération du processus de sélection naturelle. La comparaison des cellules d’arrivée avec celles de départ a permis de mettre en évidence le rôle central de la mitochondrie (la centrale énergétique de la cellule) dans le processus métastatique et cela par la production d’un « déchet », le superoxyde. C’était une première grande étape de la découverte. La deuxième a été de se dire qu’en bloquant, à l’aide d’un inactivateur, la production de superoxyde, on empêcherait le développement spontané des métastases. Et enfin, le coup de chance a été de trouver dans le MitoQ une molécule déjà en phase de test chez les patients atteints de la maladie de Parkinson ou d’hépatite C, un inactivateur efficace du superoxyde. Dans certains modèles expérimentaux, la molécule s’est avérée extrêmement efficace dans certains modèles expérimentaux. Administrée quotidiennement à des souris inoculées par des cellules de tumeur d’un cancer du sein humain, elle a réussi à empêcher à 100 % la dissémination des métastases chez ces rongeurs. Cette réussite, incontestable, saluée par une publication dans la revue Cell Reports, doit beaucoup aux spécificités de l’Institut de Recherche Expérimentale et Clinique (IREC) de l’UCL. Reconnu par la communauté scientifique mondiale pour son expertise dans la compréhension des mécanismes métaboliques, le labo se distingue aussi par sa volonté permanente de rendre les découvertes les plus utiles possible. Si la découverte est importante, ce que tout le monde attend, à juste titre, c’est son application dans la médecine humaine. « Le but de nos recherches est avant tout de sauver des vies le plus tôt possible, mais ici, avant de pouvoir commencer à traiter des cas de cancer chez l’homme, il nous faudra sans doute attendre la prochaine génération de patients. » Rongeurs et humains ne sont pas identiques. Ainsi, différentes choses restent à tester. En particulier, il est important de vérifier si le traitement est efficace dans plusieurs types de cancers métastatiques, de même que de tester la compatibilité de ce traitement avec les autres traitements anticancéreux que sont la radiothérapie et la chimiothérapie. Les phases ultérieures comprendront donc des tests supplémentaires avec des souris et, s’ils sont couronnés de succès, des essais cliniques à mener en collaboration avec les firmes pharmaceutiques. Des négociations s’amorcent. Il n’est jamais simple de combiner les objectifs thérapeutiques de la recherche avec les intérêts financiers des firmes pharmaceutiques et de leurs investisseurs. Pierre Sonveaux, qui peut compter sur l’équipe, dont des spécialistes en négociation mis à sa disposition par l’université, est confiant. « Nous avons besoin des firmes pharmaceutiques et elles ont besoin de notre expertise. Reste à les convaincre que notre approche est solide et que le risque est minime par rapport aux bénéfices potentiels. »
« Le but de nos recherches est avant tout de sauver des vies le plus tôt possible, mais ici, avant de pouvoir commencer à traiter des cas de cancer chez l’homme, il nous faudra sans doute attendre la prochaine génération de patients.»
La recherche qui vient de franchir une étape fondamentale a été entamée en 2009 par une bourse de 1,5 million € attribuée par le Conseil européen de la Recherche (ERC). Cette bourse a permis à Pierre Sonveaux de développer une équipe et de recruter des chercheurs de qualité. Dans son laboratoire, travaillent aujourd’hui une quinzaine de personnes parmi lesquelles des post-doctorants, des doctorants, des techniciens et des étudiants-chercheurs venus d’Espagne, de France, d’Italie et de Belgique. Le financement de la recherche est toujours une savante mosaïque de fonds divers en équilibre précaire. Ainsi, Pierre Sonveaux et deux de ses chercheurs sont entièrement payés par le FNRS. Le Télévie finance pour sa part un tiers des chercheurs de l’équipe, la Fondation contre le Cancer, la Fédération Wallonie-Bruxelles (programme des actions de recherche concertée) et la Politique scientifique fédérale (Belspo) ont également largement participé au fonctionnement du laboratoire. La Fondation Louvain, enfin, est l’interface mise en place par l’UCL pour récolter les dons, legs et mécénats destinés à soutenir la recherche en général ou, si les donateurs en expriment la volonté, directement des laboratoires comme celui du professeur Sonveaux.
La divulgation de cette avancée scientifique spectaculaire a suscité de nombreuses réactions dans la communauté scientifique internationale. Mais heureusement, aucune université de prestige n’a pour l’heure tenté de débaucher un membre de l’équipe. Bien au contraire, le professeur Sonveaux a reçu des demandes de chercheurs étrangers souhaitant la rejoindre. « Lorsqu’on bénéficie en Belgique et en Wallonie d’une structure aussi compétitive que l’UCL, avec laquelle on a franchi une étape importante de la lutte contre le cancer, pourquoi s’en aller ? Accueillons-y plutôt les chercheurs les plus doués. La science n’a pas de frontières. »
Renseignements
Institut de Recherche Expérimentale et Clinique (IREC)
www.uclouvain.be/420397.html
Fondation Louvain
www.uclouvain.be/fondation-louvain