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Par Didier Albin
Chanel Kapitanj
Poste à souder, pince de masse, meuleuse, disqueuse, scie à ruban… Bienvenue dans l’univers créatif de Chanel Kapitanj, jeune designer de mobilier déco en métal. Honorée par le titre « Talent de Wallonie 2019 » dans la catégorie artisanat, cette Liégeoise de 27 ans aurait dû être en première ligne, fin avril, au Salon du meuble de Milan.
A Sambreville où elle vient de s’installer, Chanel Kapitanj vit au milieu de ses derniers meubles d’auteur. Adepte du « less is more », elle veut faire de sa maison un atelier show-room, une expérience pour ses visiteurs qu’elle confronte directement à ses créations d’inspiration minimaliste. Pas de tape à l’œil, des lignes pures et sobres que l’on aime à caresser du regard, comme celles de la bibliothèque étagère du salon qui s’articule sur des piétements tubulaires. Fixées au mur de la salle à manger, quatre tablettes métalliques aux formes arrondies, délicieusement design, étincellent de leurs reflets poudrés. Il y a aussi un guéridon aux nuances cuivrées dans le coin opposé.
Chevelure blond vénitien et yeux légèrement maquillés, la jeune femme se partage entre son atelier qui occupe une partie du garage et de la cave, ses chantiers comme celui qu’elle termine pour un bureau d’architecture et, enfin, son travail à temps partiel de formatrice en soudure pour l’IFAPME de Namur et de Dinant.
Elue talent wallon 2019 dans la catégorie artisanat, la créatrice d’origine liégeoise a déjà remporté plusieurs prix. Aux Pays-Bas, lors du concours 2017 de la marque Pastoe, elle s’est imposée en présentant le croquis de « la commode du futur » qu’elle avait imaginé. Aux Blue Stone Awards des carrières du Hainaut, elle s’est adjugé la victoire avec son projet de cloisons démontables et de bancs en acier dans lesquels elle intègre de la pierre bleue.
Un père tourneur-fraiseur, une mère passionnée par la mode
C’est dès son plus jeune âge que Chanel s’intéresse aux objets de déco et aux meubles. Après des études artistiques secondaires où elle apprend à dessiner, la jeune fille entame un master en design industriel à l’ESA de Saint-Luc, à Liège, qu’elle complètera par une formation de métallier soudeur. Son papa étant tourneur-fraiseur dans le secteur de l’armement à l’arsenal de Rocourt, c’est là qu’elle découvre l’univers masculin des métiers de la transformation de l’acier. Passionnée par la mode, sa maman travaille dans le prêt-à-porter. Quelle plus belle synthèse de ces deux modèles que le design d’objets ? « Le mobilier, ça a été tout de suite une évidence, dit-elle. Je ne me voyais pas concevoir des voitures ou des GSM. »
La jeune femme ne veut pas s’enfermer dans l’aménagement intérieur, le mobilier urbain l’intéresse tout autant. Elle se verrait ainsi volontiers réinventer des bancs ou des brises-vue pour l’espace public. Ces objets, Chanel ne veut pas se contenter de les concevoir sur papier. Elle veut passer à la troisième dimension. « Parce que j’aime les volumes », dit-elle. Sous ses mains, les modèles prennent forme : coiffeuse, tabouret, rangement. Elle s’amuse.
Chanel Kapitanj se partage entre son atelier qui occupe une partie du garage et de la cave, ses chantiers comme celui qu’elle termine pour un bureau d’architecture et, enfin, son travail à temps partiel de formatrice en soudure pour l’IFAPME de Namur et de Dinant.
Fascinée par la soudure
Pour ses créations, elle utilise différentes techniques. La gravure d’eaux fortes, par exemple, lui a inspiré un projet de traitement des tôles à l’acide, ce qui rend chaque pièce unique. Il y a aussi le bichromatage, exécuté à l’extérieur ; les éléments de ses installations sont trempés dans un bain qui les protège de la corrosion tout en leur donnant un aspect doré, avec une irisation bleu-vert. Rouiller, peindre, vernir, assembler : elle se pique au jeu de l’envie, sans déroger à la règle de la sobriété. Dès que les plans sont établis, les feuilles de métal, les tôles et tubulures sont envoyées à la découpe à Liège, avant traitement. Elles sont ensuite assemblées à l’atelier. Elle aime mélanger les matières, comme l’acier, l’inox poli et le laiton, mais n’a pas encore testé l’alu. Si elle s’est essayée à la forge, elle le revendique. La soudure la fascine, lui ouvre d’infinis horizons.
Comme tout artiste qui se respecte, Chanel a des (p)références. Philippe Starck, très peu pour elle. La Liégeoise se nourrit plutôt de l’exemple de Dieter Rams, un créateur contemporain allemand qui a énoncé les dix principes de ce qu’il a appelé « le bon design » : innovation, utilité, esthétique, sobriété, honnêteté, écologie, durabilité, minimalisme, exigence, intuitivité. « Moins, mais avec la meilleure exécution » : c’est la signature de Chanel Kapitanj, qui arrive déjà à vivre de sa passion.
Son rêve : se faire éditer
Sélectionnée, avec six autres artistes, pour animer le stand « Belgium is design » au prochain Salon du meuble de Milan, Chanel est consciente de la chance extraordinaire qui lui est donnée de participer à ce mondial de l’ameublement d’auteur. Tout le gratin de la profession y est attendu, à commencer par les éditeurs à la recherche de nouveaux talents pour alimenter leurs collections. Pour ce « Salone del mobile », elle a conçu une étagère, un fauteuil et une lampe. Ils seront exposés… si l’événement est maintenu (1). « Mon rêve, ce serait de me faire éditer », dit-elle. Non par un blockbuster comme le géant suédois de l’ameublement en kit, mais par l’un des grands noms du design haut de gamme.»
(1) A l’heure de boucler ce magazine, le Salon du meuble, initialement prévu du 21 au 26 avril, était repoussé de deux mois (du 16 au 21 juin).