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Par Carole Depasse
architecturale
Projet de bibliothèque publique dans le cadre d’une étude pour la revalorisation de la ville de Borlänge (Suède) - Réinterprétation du style classique mêlé au style local dit « Swedish Grace »
Nadia Everard, diplômée en architecture, sillonne l’Europe pour y trouver les ferments d’une renaissance esthétique. La jeune femme tient un discours ferme à l’égard de l’architecture contemporaine et propose de renouer avec une architecture durable, traditionnelle et populaire.
Nadia, vingt-quatre ans et du tempérament, a grandi à Ambly (Ardennes) où le domaine familial lui laisse le souvenir d’un havre champêtre et tendre. Est-ce en escaladant les vieilles poutres de la maison qu’elle devint sensible au métier d’architecte ? Pas exactement. La passion des bâtiments lui vint, nous assure-t-elle, par le dessin et la peinture. « Le dessin à main levée est essentiel à mon travail car il ne connaît de limites que l’espace d’une feuille et ma propre imagination. Quand un bâtiment naît à partir du dessin, il est nécessairement plus touchant, plus idéal et plus libre que lorsqu’il naît sur ordinateur ».
L’architecte ? Un philosophe-roi !
Certaines décisions nous font découvrir des dimensions nouvelles de la vie. Pour Nadia, ce fut la décision de terminer son Master d’architecture en Angleterre. Outre-Manche, elle découvre que l’architecture n’est pas qu’une discipline technique mais une science de l’esprit, une authentique conception du monde. « L’architecte est un philosophe-roi ! Il possède la possibilité de concevoir le monde et d’y faire régner ses conceptions. Et, de ce grand pouvoir, lui vient une grande responsabilité : celle de prolonger la beauté du monde ». Il y a cependant des écueils à éviter comme Nadia l’a développé dans un article publié par le Monde Diplomatique. « Les architectes peuvent commettre deux péchés. Péché d’orgueil, d’abord, s’ils sont obsédés par l’idée de laisser leur empreinte sur la ville, s’ils construisent en niant ce qui a précédé. Dans ce cas, leur contribution à l’architecture générale ne sublime pas les villes comme elle devrait. Péché contre l’esprit créatif, ensuite, s’ils se laissent dominer par les outils qu’ils utilisent, les logiciels d’architecture, qui suffisent désormais à dessiner les plans d’un bâtiment standard en deux temps trois mouvements ».
« C’est la preuve qu’en construisant des villes harmonieuses, respectueuses des styles locaux et qui ne brutalisent pas leurs habitants, ni par la taille, ni par le nombre, on atteint une chose qui dépasse de très loin la beauté formelle : le bien-être ».
La Table Ronde
Installée en Belgique, Nadia Everard travaille à la création d’une activité de conseil en urbanisme dont elle tient déjà le nom, La Table Ronde, en référence à l’unité dont l’architecture doit se faire l’étendard. « Les pouvoirs publics et les promoteurs immobiliers sont la clef pour provoquer une rupture décisive des projets d’urbanisme. Souvent, dans nos échanges, ils me confient leur difficulté à poursuivre une vision d’ensemble, à gorger leurs projets de cette humanité qui emplit les villes d’architecture éternelle. La Table Ronde a vocation à les conseiller dans la voie d’une action vigoureuse, populaire et durable au service de la renaissance de l’urbanisme ».
Respecter l’habitat des gens
Fraichement diplômée, Nadia est impatiente de se lancer dans le métier. « J’ai beaucoup travaillé pour éviter que ma main tremble lorsque je signerai mes premiers plans. » Jusqu’à présent, ses projets témoignent d’une évidente finesse, de sa conscience aiguë des aspects populaires et historiques de l’architecture et du lien qui traverse un style, un endroit, une époque.
La jeune femme a par ailleurs complété ses études en s’initiant à l’architecture classique et traditionnelle. « La découverte des règles de l’architecture classique, au lieu de brider mon travail, m’a donné une formidable aisance. Le classicisme structure ma façon de construire, il me donne des repères esthétiques et de proportion tout en me laissant libre de construire comme il me plaît ou, plutôt, comme il plaît aux habitants ! »
Faire de l’architecture populaire, c’est tout d’abord respecter l’habitat des gens, affirme-t-elle. « Je ne veux pas dire qu’il faut le tenir pour sacré, bien sûr, les villes peuvent – doivent – changer, mais à condition de préserver leur unité esthétique. Qu’on le veuille ou non, voir pousser des tours là où se tenaient autrefois des maisons de maître, c’est un traumatisme ». Et Nadia de citer en exemple Poundbury (Grande-Bretagne), une villle qui sort de terre sous l’impulsion du Prince Charles dans un style traditionnel anglais. « Poundbury jouit d’une popularité sans pareille auprès de ses habitants et les taux de satisfaction y atteignent des records. Je veux croire que l’architecture y est pour quelque chose. »
nadia@everard.be
Instagram: @natyganeve
Une architecte complétée
d’une photographe
Sousse, Tunisie, 2017
La liberté guide l’action de la jeune femme. « Lorsque je suis entrée à l’université, j’ai vite compris que le dogmatisme y avait cours : certaines idées ne pouvaient être remises en cause, certains auteurs étaient des gourous… On nous pressait d’être plus innovant, plus moderne, plus audacieux ! Et que faisait-on du millénaire d’architecture qui nous précède ? Rien. L’histoire, les traditions, les techniques éprouvées par le temps… au diable ! ».
Elle se tourne, en parallèle de ses études, vers la photographie. Munie d’un modeste appareil, elle parcourt les chantiers de Bruxelles et d’ailleurs. « Les photographies de chantiers ont été mes premières protestations, une manière de dire : tenez, voyez ce qu’ils font de nos villes ! » Ses clichés nous montrent des formes brutes, couleur grise béton, d’immenses toiles derrière lesquelles les grues incisent le tissu urbain, des échafaudages, des façades à vif et des trous béants.
Progressivement, la jeune femme se forge un nom dans le monde de la photographie artistique et architecturale. Son compte Instagram, suivi par quelques quatorze mille personnes, devient le lieu d’une discussion vivifiante mêlant architectes, artisans, promoteurs, étudiants ou simples curieux. On commente, aime, critique et donne son avis sur l’évolution des villes. « C’est là que j’ai compris que le débat architectural ne devait pas se cantonner aux murs de l’université mais qu’il devait inclure tout le monde car il concerne tout le monde », dit-elle. Bientôt, son succès attire l’œil des entreprises de construction. « Je dois dire que j’ai été surprise lorsqu’une entreprise est venue me proposer un premier contrat photos sur ses chantiers ». Très vite, les contrats s’enchaînent ainsi que les propositions d’expositions (InsideOut Gent, Londres).
Actuellement, Nadia travaille sur un essai photographique de l’architecture traditionnelle contemporaine russe.