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Par Adrienne Pesser
Seize ans, deux films et déjà autant de montée des marches. Thomas Doret mène une vie peu ordinaire depuis que les frères Dardenne nous ont fait découvrir ce jeune talent flémallois dans Le gamin au vélo. Récemment, il a rencontré Renoir !
Pour la plupart des élèves de l’Athénée royal de Seraing, les cloches sonnent la fin de la journée. Thomas Doret commence alors sa seconde journée de travail, smartphone en poche,prêt à répondre aux coups de fil professionnels et autres interviews. Sourire aux lèvres, la démarche assurée, voilà un ado bien dans ses baskets ! À tout cela s’ajoutent ses cheveux auburn et son regard malicieux. Enfin, lorsqu’il s’exprime, on ne peut ignorer cet accent typiquement liégeois qui rythme ses mots.
Jean-Pierre et Luc Dardenne l’ont choisi sans la moindre hésitation pour le premier rôle du film Le gamin au vélo. Il y incarne Cyril, un adolescent abandonné de tous, une boule de nerfs, qui trouve l’amour qui lui manque tant chez une mère de substitution ( jouée par Cécile de France). Au vu des récompenses, les frères ne s’y sont à l’évidence pas trompés.
Dans une bulle
L’histoire peu ordinaire d’un gamin ordinaire débute lorsque son papa remarque une annonce sur la toile, correspondant en tous points à son fils alors âgé de 13 ans. Sans vraiment y croire, une lettre de candidature voit le jour. "On ne sait jamais. Ce serait une chouette expérience."
Sélectionné parmi 150 garçons, il est le cinquième à se présenter au casting. Le courant passe tout de suite avec les " frères ". Son interprétation de la première scène du film – une conversation téléphonique – convainc les deux cinéastes. À travers ses yeux, son intonation, ses mimiques, Thomas parvient à faire exister son personnage. Il rend perceptible l’imperceptible. Un talent inné, pur, naturel, et encore inexploité.
La machine se met en route. De juillet à octobre 2010, le Flémallois vit "dans un cocon, une bulle et le tout dans une atmosphère presque familiale", comme le décrit Delphine Tomson, productrice exécutive des Films du Fleuve. Il ne pouvait rêver meilleures conditions pour une première expérience. Répétitions et tournage ont lieu à quelques minutes à peine de chez lui, sur les hauteurs de Seraing, dans le quartier de la Bergerie. De nature "très discret, secret, limite muet ", ses proches peinent à en savoir davantage sur le tournage. Les nouvelles proviennent plutôt de l’équipe du film qui ne tarit pas d’éloges. Delphine Tomson le définit comme "un bûcheur, un ado toujours d’excellente humeur avec de l’énergie à revendre."
Pour maîtriser ce trop plein d’énergie, Thomas a trouvé un exutoire taillé sur mesure : le karaté qu’il pratique depuis l’âge de six ans, si bien qu’il a déjà obtenu la ceinture marron. Jean-François Colpin, son instructeur depuis ses débuts, voit en la personne du " petit Thomas " un "véritable modèle à suivre». " Ce marmot nerveux s’est assagi avec le temps. Son niveau de concentration et ses capacités de mémorisation se sont considérablement développés et il a également acquis une grande maîtrise de lui-même." Des qualités qui ont joué en sa faveur sur le tournage.
Selon Thomas, pas de quoi se vanter : « Certes, j’ai monté les marches, mais d’autres ont fait cent fois plus. Cannes oui, mais tu n’es pas un dieu pour autant ! » Comme il le rappelle avec humour, « Ici, ce n’est pas Cannes… c’est Flémalle ! »
La tete dans les nuages, les pieds sur terre
Cannes et son 64e Festival… Quelle meilleure manière de changer la vie d’un ado que rien ne prédestinait à un tel avenir ? La sortie du film, en mai 2011, coïncide avec la montée des marches. Les réactions affluent, celles de ses proches en premier lieu. Sa maman, emplie de fierté et d’émotion, explique : "Je ne me rendais pas compte qu’il pouvait jouer de la sorte. Mon mari et moi avions du mal à nous imaginer le résultat final, vu que notre fils ne disait pas grand-chose." Une amie de la famille insiste : "Quand on regarde le film, on observe que lui, au point d’en oublier l’histoire. Une performance insoupçonnée ! Le spectateur ne peut être qu’admiratif."
Retour à Cannes où le film a enthousiasmé les critiques en raflant une récompense et non des moindres, le Grand Prix du Jury ! Le changement s’opère à la seconde même où le jury remet le prix aux deux réalisateurs. Photos, interviews, autographes s’enchaînent. Du jour au lendemain, Thomas Doret se voit propulsé sous les feux des projecteurs. Issu d’une famille modeste, l’ado accepte les compliments sans pour autant prendre la grosse tête. Tellement humble ce gamin, qu’on aurait bien envie de le secouer pour qu’il se rende compte qu’une opportunité pareille n’arrive pas à tout le monde. Selon lui, pas de quoi se vanter. "Oui, j’ai monté les marches, mais d’autres ont fait cent fois plus. Cannes oui, mais tu n’es pas un dieu pour autant !" Comme il le rappelle avec humour : "Ici, ce n’est pas Cannes… C’est Flémalle !"
Depuis le tournage du Gamin au vélo, Thomas ne cesse d’évoluer. Ses proches remarquent une forte prise d’indépendance et ce besoin capital de gérer seul sa vie. Il aurait presque tendance à oublier qu’il doit encore demander l’avis de ses parents, qui d’ailleurs ne souhaitent pas mieux que de suivre les choix de leur fils. Même du haut de ses 16 ans et avec un tel parcours, il restera toujours pour son entourage le " petit Thomas ".
Camera ou bistouri ?
Bientôt deux ans déjà que Thomas Doret reçoit récompense sur récompense. Pour n’en citer que quelques-unes : le « Prix du Meilleur Espoir » aux Magritte – le Square à Bruxelles marque sa première prise de parole devant un large public, un moment impressionnant –, le « Prix du Meilleur Acteur » au Textur Film Festival en Russie et, plus récemment, « l’Artiste liégeois de l’année ». Au Prix des Lycéens, les élèves de rhétorique lui ont octroyé le prix « Toi, làbas, si loin, si proche ». Une récompense dont il peut être fier. "Il s’agissait d’un jury jeune. Je ne savais pas comment ils allaient réagir. Visiblement, le film les a touchés." Un lieu où il souhaiterait retourner ? Le Festival du Cinéma belge à Moustier, près de Jemeppesur- Sambre. Il y était invité en compagnie des frères Dardenne et se souvient d’une ambiance conviviale, presque familiale.
Du jour au lendemain, Thomas Doret se voit propulsé sous les feux des projecteurs. Photos, interviews, autographes s’enchaînent au rythme qu’on imagine. Ou pas.
Pour le 65e Festival de Cannes, le gamin a troqué le décor sérésien pour un paysage bleu azur. Non content d’avoir gravi les marches une première fois, il en a à nouveau profité avec son second film, intituléRenoir et réalisé par Gilles Bourdos. Tourné au Rayol-Canadel dans le Var en automne 2011, sa sortie dans les salles est prévue pour janvier 2013. Dans cette grosse production, Cyril fait place à Coco, fils cadet du peintre, Renoir étant interprété par Michel Bouquet lui-même. "Il pourrait en laisser un peu pourles autres, non ?", s’amuse l’amie de la famille, un sourire taquin au bout des lèvres. À présent, il va falloir cultiver ce talent, l’exploiter sans en abuser. Et quand on lui parle de cours de théâtre, il grimace : "À vrai dire, je préfère le naturel."
Pour ne pas s’égarer, Thomas peut toujours compter sur les frères pour le conseiller. Même s’il n’a aucun projet sérieux en vue pour l’instant, la carrière de l’ado semble en bonne voie. Et quand on l’interroge sur son avenir, la réponse fuse : "Pourvu que cela continue. Je me verrais bien habiter à Paris et m’essayer à d’autres styles : drame, comédie, film d’action… Si la chance tourne, je deviendrai neurochirurgien." Rien de moins ! Et vu le caractère déterminé du gaillard…■
Filmographie
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Le Gamin au velo
De Jean-Pierre et Luc Dardenne
— 2011 —
Renoir
De Gilles Bourdos
— 2013 —