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Par Gilles Bechet
Restaurateur étoilé, Benoit Gersdorff n’aime pas le sur place, dans la cuisine comme aillaurs. Rachetant une vieille ferme sur le site de la Citadelle de NAmur, il décide de la rénover pour en faire une résidence high-tech haut de gamme. Une première !
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Monsieur Bigneron dans sa jeep Willys rouge venant verser le lait de sa cruche et déposer des œufs frais provenant de sa ferme. Benoît Gersdorff n’a jamais oublié cette image. Vers l’âge de 4 ans, il vivait chez ses grands-parents à 400 mètres de la ferme que Monsieur Bigneron louait au Baron de Fallon. Plus de quarante années ont passé. Les derniers exploitants et propriétaires, usés par la vie, ont rangé les fourches et les bottes en caoutchouc. Un manteau de silence a enveloppé ce qui a longtemps été la plus vieille ferme en activité de la Citadelle de Namur. La bâtisse, presque en ruine, a été mise en vente publique. Benoît Gersdorff est venu, accompagné de son fi ls. Et il a acheté la ferme. Sans objectif précis. Juste une intuition et l’envie de ne pas laisser partir un morceau de mémoire d’enfance. Aujourd’hui, la ferme a presque achevé sa mue et s’apprête à recevoir des hôtes dans un confort inégalé.
Sans aucune prétention
Le parcours professionnel de Benoît Gersdorff s’apparente à une course à la passion attisée par la curiosité. Formé à l’école hôtelière de Libramont, il y a rencontré sa femme, devenue sa partenaire de cœur et d’affaires. Il s’y est fait ses premières armes devant les fourneaux. Pour apprendre son métier, rien de tel que l’écolage des grands. Ce sera les stages chez des chefs étoilés à Bruxelles, à Paris et à la Côte d’Azur. Il prend goût aux voyages avec les galas gastronomiques où il porte la toque à Shanghai, Bangkok, Sydney ou dans les Émirats arabes. De retour en Belgique, il lance L’Essentiel à Temploux. Pendant deux ans, il arrête la cuisine pour s’occuper du chantier. « Nous avons ouvert sans aucune prétention, si ce n’est l’envie de recevoir des gens en essayant de leur faire passer un bon moment dans un endroit qu’on avait mis en œuvre. » Le restaurant fut rapidement étoilé. Après un an, voilà que débarque Raphaël Adam, un jeune garçon plein de promesses. Pour Benoît Gersdorff, une des clés de la réussite, c’est la capacité à déléguer. Il forma le jeune homme en cuisine et en salle, l’envoya en stage. Et quelques années plus tard, il lui remettait les commandes de L’Essentiel. Dans la continuité. C’était pour Benoît Gersdorff la fin d’un cycle. Après plusieurs années de travail absorbant, le nez dans le guidon, il ressentait le besoin de prendre de la hauteur. « J’ai fait appel à des coaches d’entreprise qui m’ont amené à réfléchir à ce que j’avais vraiment envie de faire. Je me suis rendu compte que j’adorais gérer et stimuler des équipes. » Homme d’idées, il fonctionne aux intuitions qui, parfois, lui reviennent en pleine figure. Pourquoi fast-food ne pourrait-il pas rimer avec repas équilibré et gastronomique ? En ouvrant un nouveau restaurant dans le domaine de Chevetogne, il veut prouver qu’on peut faire des repas gastronomiques à 10 euros ? Il installe des cuisines avec des rôtissoires, propose des picattas de saumon au concombre. C’est le bide. « Les gens réclamaient des hamburgers-frites et des hot-dogs. Ils ne voulaient rien d’autre. On s’est rendu compte qu’il y avait un énorme travail d’éducation à faire. » À Jambes, il reprend La Plage d’Amée, un restaurant qui vivote pour en faire une affaire qui marche. Très tôt, Benoît Gersdorff a eu la bougeotte et la soif d’apprendre. Aujourd’hui, il parcourt le monde avec un agenda à faire pâlir un DJ. Il fait de fréquents arrêts à Hong Kong, où il apporte ses services et conseils à un restaurant ouvert au profit d’une clinique pour les enfants souffrant de troubles du langage. Au détour de ses voyages émerge le concept qu’il attendait pour faire revivre la ferme achetée quelques années plus tôt, et la conviction qu’on n’est pas plus mal en Wallonie qu’ailleurs.
Une clientèle haut de gamme
Les bâtiments seront vidés, désossés, démontés et remontés pierre par pierre sans rien perdre de leur élégance toute classique. Repensés, les lieux accueillent désormais six appartements haut de gamme de 150 m² possédant chacun leur personnalité et leur tonalité. Literie Hästens, WiFi indépendant, téléphone par IP, service 24 heures sur 24, ainsi qu’une salle de massage, sauna, hammam, piscine intérieure et extérieure. Les résidents pourront aussi bénéficier d’une salle de cinéma et d’une salle à manger prévue avec du personnel. Rien n’est laissé au hasard. « C’est un produit qui n’existe pas encore en Belgique. Je pense pouvoir compter sur une clientèle haut de gamme qui apprécie un niveau de services personnalisés qu’on trouve rarement en hôtellerie. Une partie de ces gens serait prête à venir à Namur », avance-t-il, « qui n’est tout de même qu’à une cinquantaine de kilomètres de Bruxelles. » Il songe aux stars invitées par le Festival de Namur, mais aussi à des cadres, ou des top managers internationaux qui ont affaires chez nous pour un mois ou deux, et qui préfèrent une retraite bucolique à un environnement urbain. L’objectif est aussi d’amener cette clientèle d’exception à découvrir les charmes discrets de la capitale wallonne. « C’est aussi un levier pour attirer des gens à Namur. On vise un marché de niche qui est une clientèle trop sporadique pour justifier l’établissement d’un hôtel de 30 chambres. Avec ce produit, je peux proposer à ma clientèle quelque chose de top pour le prix de quelque chose de moyen dans la capitale. » Le gros œuvre est à présent achevé. Place à la finition pour une ouverture attendue au mois de septembre 2009. Sans se laisser corseter par un cahier de charges trop strict, il garde une place pour l’intuition. « On peut changer d’avis en cours de route. Déplacer un mur ou une porte pour intégrer de nouveaux éléments. » Pour Benoît Gersdorff, la filiation entre restauration gastronomique et restauration patrimoniale est évidente. « Je vois la conduite d’une rénovation comme l’élaboration d’une recette de cuisine. Devant ses casseroles il faut être attentif à l’intensité des feux, goûter ce qui frémit pour rajouter l’un ou l’autre ingrédient. Dans l’Horeca comme dans la rénovation, tout le monde apporte sa pierre à l’édifice. Si vous avez un bon chef, mais que le plongeur ne nettoie pas bien et qu’en salle on tape les assiettes sur la table, l’impression d’ensemble sera négative. » Grand partisan du travail collégial, Benoît Gersdorff sait aussi qu’il est important de garder la décision finale. Pour rester maître du projet, il n’a pas voulu confi er son bébé à un grand nom, préférant s’associer à des PME ou à des outsiders comme l’architecte Pierre Brahy de B concept, ou le bureau Architecture et Nature passionné par l’architecture durable et organique. « Il faut forcément faire des choix et des arbitrages. Entre les toilettes sèches et les jacuzzis, on ne parle évidemment pas de la même empreinte écologique », sourit-il.
Réfléchir différemment
Après 25 ans passés en cuisine, Benoît Gersdorff ne regrette pas de laisser sa toque au vestiaire. « Il faut savoir faire des choix. La gestion est exigeante, on ne sait pas être créatif en cuisine, faire des achats et en même temps être au bureau, faire un peu d’ingénierie fiscale et résoudre les problèmes quotidiens que pose la gestion d’une équipe de dix personnes. » Même s’il a délaissé les fourneaux, il n’en est jamais loin. Il suffit qu’une ou deux personnes manquent à l’appel alors que les réservations s’accumulent, Benoît enfile la blouse blanche brodée à son nom pour jongler avec les poêles et les casseroles, surveiller l’intensité des feux et veiller à ce que chaque membre de l’équipe assure sa part de boulot. L’homme est confiant dans le potentiel de son nouveau projet. « Des grosses agences immobilières à Bruxelles ont avancé qu’il n’y a aucune demande, mais c’est un peu l’histoire de l’oeuf et de la poule. Il faut que des gens comme moi prennent le risque. L’argent n’est pas mon moteur » confie-t-il, presque pour s’excuser, tout en ajoutant qu’il s’est engagé dans un investissement immobilier à risques et qu’il fera tout pour rentabiliser sa mise. Il ne se sent pas pour autant enchaîné aux murs de la ferme. Il possède une base de repli : quelque 2 800 m² dans le sud de la France. « Il y a une source, une ruine avec des pierres à démonter et remonter. Avec ça, il ne me faut rien d’autre ! » S’il avait fait une étude de marché pour L’Essentiel, il ne se serait peut-être pas lancé dans l’aventure. Avec son nouveau projet, il a procédé de la même manière. Le tsunami fi nancier qui paralyse aujourd’hui l’économie n’est pas le meilleur des contextes pour se lancer dans une entreprise qui ne manque pas d’ambitions. « Je vais avoir du mal. Mais ce sera comme tout le monde. Des solutions miracles, il n’y en a pas. Il va falloir être créatif, réfléchir différemment et trouver des réponses. » Lorsque L’Essentiel Residence & Spa accueillera ses premiers clients, on peut parier qu’au fond de l’œil pétillant de Benoît Gersdorff, on verra passer l’ombre d’une Willys rouge.
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