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Par Charline Cauchie
Élue Best Workplace en 2015 et 2016, EASI est l’entreprise où les employés se sentent le plus heureux. Après vérification, on n’y confond pas bien-être (matériel) et bonheur au travail. Serait-ce là la clé de l’épanouissement en entreprise ? Le CEO Salvatore Curaba nous dévoile les ingrédients de sa réussite.
Son bureau est entièrement vitré, pas plus grand que celui de ses collaborateurs et la porte en esttoujours ouverte. Salvatore Curaba est le fondateur et patron d’EASI, l’entreprise où règnent à la fois le costume-cravate et une sorte de bienveillance ambiante. Quand il raconte son parcours et l’histoire de son entreprise, le CEO répète à plusieurs reprises le mot « bonheur ». Une notion sur laquelle il réfléchit, semblet- il, depuis longtemps. « C’est une préoccupation certainement, mais c’est surtout un savoir-vivre. Je ne voudrais pas que cela soit pris pour du calcul. Je ne calcule pas “tiens, si j’ai desemployés heureux, ils seront plus productifs, je vais gagner des concours, etc.” Ce n’est pas mon raisonnement. C’est simplement important pour moi d’être heureux et de travailler avec des gens heureux. »
Les piliers
Mais qu’est-ce qui rend les employés d’EASI si heureux ? « Il y a deux ans, j’étais incapable de répondre. Je ne savais ni pourquoi mes employés étaient heureux, ni pourquoi nous étions une société si performante. » Invité à de nombreuses conférences sur le sujet et récemment reçu pour un échange avec le Roi Philippe, Salvatore Curaba a interrogé sa propre réussite pour la théoriser. Il l’attribue à cinq piliers sur lesquels repose EASI.
Ces piliers sont, premièrement, les valeurs humaines, car « je veux avant tout travailler avec des gens qui partagent nos valeurs : le respect (des autres ou de ses engagements), la positivité et l’égalité. Je ne pourrais pas travailler avec des gens qui ne voient que les problèmes ou des directeurs qui se sentiraient supérieurs aux autres. C’est comme au foot, cela ne sert à rien de recruter un joueur qui va marquer 30 goals si, à côté, il met une mauvaise ambiance au sein de l’équipe. »
Deuxièmement, l’organisation. « EASI étant une entreprise méga structurée, nous sommes des malades de l’organisation. Tout doit être sous contrôle. Nous avons des procédures pour tout. Mais avec de la souplesse et la possibilité de remettre en question le système. Ça fait d’ailleurs partie des services que nous apportons à nos clients », ce qui pourrait paraître contradictoire, car la définition communément admise de bonheur au travail passe par le concept d’« entreprise libérée ». Mais la liberté, essentielle au bonheur, comme on le verra plus loin, ne peut se développer qu’autour d’un cadre très défini, selon Salvatore Curaba.
La capacité à faire des efforts quand c’est nécessaire est le troisième pilier. « Les personnes doivent avoir le sens des responsabilités, respecter une deadline, aller au bout de la mission sans qu’on ait besoin de le demander. Ça doit venir naturellement. Comme dans le sport, si on ne travaille pas dur,on n’obtient pas de résultats. »
Le quatrième pilier est celui du partage. « Dans une entreprise, il faut mettre les choses en place de façon à ce qu’il y ait énormément de partage des connaissances et de l’expérience. Toujours aider les autres. Mes directeurs ne servent qu’à cela, faire évoluer les employés. Et moi-même, à faire évoluer mes directeurs. » Le grand patron a ainsi appris à faire un pas de côté. « Je ne veux pas être le patron qui freine son entreprise, car c’est souvent ce qui se passe lorsqu’un CEO pense qu’il doit être partout et que tout doit passer par lui. Je dois laisser mes directeurs se développer et, moi, je dois avoir le courage de me mettre en retrait pour qu’eux puissent monter encore plus haut. »
Bien-être et bonheur
Le cinquième pilier, c’est bien sûr le bonheur en lui-même, qu’il faut commencer par bien définir. « Il y a souvent une confusion entre bonheur et bien-être qui, lui, concerne la mise à disposition de services et le confort matériel (bureaux lumineux, cafétéria suréquipée, etc.). Chez EASI, les employés ont accès à ce bien-être. On organise plein d’activités, nous avons notamment des salles de jeux et de détente. C’est bien, mais ça reste superficiel et insuffisant, car pour atteindre le bonheur, il faut répondre à des besoins beaucoup plus profonds. »
Pour Salvatore Curaba, ces besoins semblent évidents. La reconnaissance d’abord, « besoin vital et universel de l’être humain. Combien de fois disons-nous merci à nos collaborateurs ? Chez nous, on n’arrête pas de se remercier et de se féliciter. C’est un véritable culte de la reconnaissance que nous cultivons même à travers une cérémonie que nous organisons chaque année. » Ensuite, il y a la liberté, car « on veut tous travailler de manière libre et autonome et prouver ce qu’on est capable defaire sans être contrôlé en permanence. Les techniques de management impliquant le contrôle sont totalement dépassées et inefficaces. Chez nous, dans un environnement structuré et où les procédures sont très claires, chacun a la liberté de développer son potentiel, ses initiatives et ses responsabilités. »
Secrets et échecs n’existent pas
Le troisième besoin est la transparence. « Chaque travailleur a besoin de se projeter dans le futur. En matière de salaire, il doit savoir ce qu’il peut faire pour évoluer et cela doit être clair et objectif. En matière de projets d’entreprise, il doit savoir si la sienne va bien, si elle va racheter telle autre boîte, etc. Si la direction ne communique pas avec transparence, chacun commence à se poser des questions, la méfiance s’installe et la confiance diminue. On entre alors dans une spirale négative qui va grignoter le bonheur. » Chez EASI, aucun tabou entre collègues et supérieurs. Tous les troisièmes jeudis du mois, Salvatore Curaba organise une réunion où il présente les résultats d’EASI et annonce les nouveaux projets à tous les employés invités à poser leurs questions.
Un autre besoin ? « Le challenge. Il ne concerne peut-être pas toutes les personnalités, mais on doit avoir des missions pour être heureux dans la durée. En fait, on n’est pas là pour travailler, mais pour s’accomplir. Certains veulent changer le monde, d’autres être les premiers, les artistes ont besoin decréer. En donnant des challenges aux gens, ils n’ont plus l’impression de venir travailler, mais d’accomplir une mission. » D’ailleurs, en ce moment, le challenge d’EASI n’est pas des moindres : avec leur nouvelle solution mails InboxZero, ils ont l’ambition de détrôner Google. Rien que ça ?! « Je me rends compte que c’est un peu débile, mais quelque part, j’y crois. Pourquoi ne pourrions-nous pas y arriver ? Ça nous fait rêver collectivement et ça nous fait du bien ! » Rêver trop haut, n’est-ce pas risquer l’échec et la déception ? « Je ne ferai jamais le reproche à un employé de ne pas avoir réussi, mais je lui reprocherai de ne pas avoir fait le maximum pour réussir. Tant qu’on s’est battu, il n’y a pas d’échec. Chez nous, on n’a pas peur d’accomplir, car il n’y a pas d’échec à craindre. »
Une société partagée avec les employés
Salvatore Curaba aime ses collaborateurs, cela se sent. D’ailleurs il n’hésite pas à lâcher le mot qui, pour lui, est le dernier besoin essentiel en entreprise. « L’amour ! Personnellement, je ressens un amour bienveillant et tribal et, en retour, je me sens aimé par mes employés. Je ne sais pas sibeaucoup de patrons peuvent en dire autant. » Le CEO évoque aussi la grande fierté qu’il ressent pour ses collaborateurs de longue date. « Je suis aussi fier de mes directeurs que de mes enfants, ils sont plus forts que moi, ils tirent la société vers le haut. C’est du pur bonheur ! » D’ici la fin 2016, EASI devrait encore recruter 30 à 40 personnes et bientôt compter 40 actionnaires, car tous les directeurset cinq employés sont actionnaires d’EASI. Une vingtaine d’autres le deviendront prochainement. « Ils ne reçoivent pas ces actions, ils les achètent et cela implique que je ne peux plus considérer EASI comme ma société, mais la nôtre. Cela crée un lien très fort. C’est du partage. D’ailleurs, bientôt, je ne serai même plus majoritaire et, quand je serai retraité, je devrai revendre mes propres parts, car seules les personnes actives au sein de la société peuvent en posséder. »
Imaginez donc une entreprise où chacun se sent important, libre, aimé et est remercié régulièrement. Imaginez une société où les employés peuvent se projeter dans le futur, participer aux décisions et faire confiance à leur entourage. « Alors, tout se met en place. Quand quelqu’un est heureux au travail, il est plus positif, serviable. C’est une spirale positive, plus les gens sont contents, plus on est dans le domaine du plaisir et tout devient possible. On entre dans le domaine de l’excellence et de l’innovation. Je constate à quel point les personnes développent leur créativité, leursperformances et leur esprit d’équipe. Ce qui développe encore plus le bonheur ! J’appelle cela le bonheur au carré. »
Une spirale qui ne serait pas près de s’arrêter. « Je suis très confiant à moyen et long termes. On ne peut que grandir. » Que reste-t-il au grand patron à accomplir maintenant que ses directeurs prennent doucement la relève et insufflent la même philosophie ? Écrire un livre ? « Peut-être pour les 20 ans d’EASI en 2019, on verra… »
BIO EXPRESS
Salvatore Curaba, fondateur d’EASI, n’avait pas pour objectif de fonder sa propre entreprise quand il termine, a l’âge de 20 ans, son graduat en informatique. Footballeur professionnel, il mène de frontcarrière sportive en D1 et dans l’informatique ou il sera programmeur pendant cinq ans. A 30 ans, il est à la fois entraîneur de foot et sales manager dans une société internationale. « À 35 ans, j’allaisdevenir directeur général de mon site, mais étrangement, je n’étais pas très heureux. C’est là que j’ai eu le courage de tout quitter et de fonder EASI. » Habitué à mener plusieurs projets de front, le jeuneentrepreneur prend des risques, contracte un prêt et se lance. « C’était stressant et difficile, mais quand on se donne à fond et qu’on vise l’excellence, ça ne peut que marcher ! »
EASI EN BREF
EASI existe depuis 1999. Basée à Nivelles, Leuven et Liège en Belgique mais aussi en France et auLuxembourg, elle fait à ce jour un chiffre d’affaires annuel de 25 000 000 € et emploie 150 personnes.Spécialisée dans quatre secteurs d’activités pour moyennes et grosses entreprises (logiciels decomptabilité et de gestion des achats, solutions de gestion d’infrastructures IT et Cloud, développement d’applications mobiles et de logiciels de traitement des e-mails), le patron n’hésitepas à qualifier EASI de « première société au monde dans la gestion des e-mails » grâce à SmartMailet InboxZero qui réinventent la manière de gérer sa boîte mail, notamment à travers une structure repensée et des messages sous forme de conversations. EASI a été finaliste Entreprise de l’année EY(Ernst & Young) récompensant les sociétés les plus prospères. Huit fois Trends Gazelle et deux foisBest Workplace en 2015 et 2016, EASI compte des clients aussi variés que Proximus, Burger King, Exki, Honda, Groupama, Médecins Sans Frontière ou Pfizer.
BENJAMIN BARTHELEMI
Équipe commerciale, chez EASI depuis 7 mois
« EASI est une entreprise ouverte. On sent que l’on est écouté et supporté et que l’on grandit avec la société. C’est très important, ça nous permet de nous développer et, in fine, de développer l’entreprise. Beaucoup d’amis me disent qu’après deux ans, ils quitteront leur boîte actuelle parcequ’ils n’y voient pas leur futur. Ce n’est pas mon cas. Je crois que je serai encore très bien ici dans cinq ans, car j’ai des perspectives d’avenir. On est une entreprise de grande taille, mais avec un esprit très “PME”. On se tutoie et on est proche de tout le monde. On peut sans problème aller frapper à la porte du patron. On n’est pas vraiment hiérarchisé même si, d’un autre côté, tout est très catégorisé, structuré et précis. On a des évaluations semestrielles pour nous permettre d’apprécier notreévolution humainement, par rapport aux valeurs de l’entreprise, et professionnellement, par rapport ànos missions. Ça nous permet de savoir très précisément où et comment on va évoluer chez EASI. J’ai eu ma première évaluation en janvier. Mon manager a passé deux heures avec moi pour passer en revue chaque catégorie et cerner où je pouvais m’améliorer et comment le faire. Puis, il y a une attention certaine portée à notre bien-être. Par exemple, on a depuis peu un service de dry cleaningoù l’on peut déposer nos costumes. Tout est fait pour que l’on se sente bien. »
SALVATORE CONTI
Responsable R&D EASI Financials, chez EASI depuis 12 ans
« En 2001, j’ai eu l’occasion de faire un stage chez EASI. Ce qui m’a marqué, c’est que j’avais rencontrélonguement le big boss. Un patron qui prend une demi-heure pour parler avec un stagiaire, je trouvecela génial. Chez EASI, je sentais qu’on voulait me donner de la confiance. Malheureusement, c’étaitune mauvaise année dans l’informatique et je n’ai pas pu être engagé. Dans l’autre boîte où j’aiatterri, j’ai compris que je ne me sentirais pas bien. Je ne suis pas particulièrement carriériste, mais jen’avais pas envie de faire la même chose pendant 15 ans. J’ai recroisé Salvatore à un mariage et le lundi suivant, je signais mon contrat chez EASI ! J’ai commencé comme consultant. Il y avait beaucoup de stress, mais tous les jours c’était différent. On est sans cesse à la recherche de nouveaux challengespour soi ou les autres et, s’il y a un problème, c’est le problème de tout le monde, sans hiérarchie aucune. Les valeurs que nous partageons font notre force. On va toujours chercher à travailler avec des gens qui partagent cela. La seule fois où j’ai dû licencier quelqu’un, nous avons tout fait pour qu’il puisse retrouver un travail qui lui convienne mieux. Dans mon job, j’essaie d’être un leader, plutôt qu’un manager : ramer avec les autres plutôt que frapper le tambour. Car un employé heureux, pour moi, c’est un employé qui ne doit plus se poser de questions sur son devenir au sein de l’entreprise,puisque son avenir a été réfléchi en collaboration avec lui. »