- Portrait
Par Thierry Tinlot
Depuis fin 2017, et pour la première fois, une femme est à la tête de la rédaction du plus auguste hebdo wallon qui fête cette année ses 80 ans. Elle s’appelle Florence Mixhel, est liégeoise, a 36 ans et plein d’idées en tête. C’est dans l’immeuble en verre des Editions Dupuis, à Marcinelle, qu’elle a répondu aux questions de Thierry Tinlot qui la précéda à ce poste de 1993 à 2004.
Qu’y at-il de wallon en vous ?
Je trouve que je suis une assez bonne représentante de la région. Je suis liégeoise, j’ai fait mes études à Namur et à Louvain-la-Neuve, je travaille à Charleroi… Il me manque juste une grand-mère à Arlon et un amoureux à Mons et ce serait parfait. Mais, désolé, il est liégeois aussi.
© Olivier Dossogne |
Qu’est-ce qu’il y a de wallon dans Spirou ?
A la base, il est Carolo. A mon sens, le personnage est quand même pas mal basé sur la personnalité espiègle des jeunes de la région. Je crois qu’aujourd’hui encore, cette impertinence se retrouve dans les pages du journal. « Le Petit Spirou », par exemple, est resté assez fidèle à cet esprit frondeur. Petit bonus, à ma connaissance, je suis la première wallonne à la tête du journal. Yvan Delporte, rédacteur en chef historique, était Carolo d’origine mais il vivait et travaillait à Bruxelles.
C’est important que la rédaction soit à Marcinelle ?
Je trouve important que la rédaction se trouve au sein de la maison d’édition. Les bureaux de Spirou ont longtemps été situés à Bruxelles. Dans le contexte actuel où l’édition revêt plusieurs aspects (audiovisuel, multimédia, marchés internationaux), il est important qu’on puisse travailler et échanger, ensemble et rapidement, sur un même lieu.
Qu’est-ce qui, dans l’histoire de Spirou, a fait ce que vous êtes aujourd’hui ?
Mes parents étaient séparés. Chez mon père, il y avait des Spirou qui dataient de son enfance. J’ai donc appris à lire dans le magazine de son époque, celui des années ‘70. Ma propre culture s’est faite davantage via des albums que des périodiques. Mais j’ai, depuis mon arrivée ici, effectué un sérieux rattrapage. C’était une chouette redécouverte : le journal avait changé, les personnages aussi, mais l’esprit est resté.
Avant de prendre la tête de la rédaction, vous y travailliez déjà depuis une dizaine d’années. Qu’en avez-vous retenu ?
C’est un job où l’humain est primordial. On travaille avec des auteurs et les relations sont au cœur du job. Chez Dupuis, même si c’est un cliché, ça reste une boîte avec un esprit familial. Je me lève toujours avec le même plaisir et l’envie d’être ici malgré les 120 km qui séparent Soumagne, où je vis, de mon bureau. Outre cela, j’ai appris la rigueur et la gestion du stress, des éléments incontournables dans notre métier, même si, vu de l’extérieur, ça a l’air plutôt cool et relax de bosser au journal Spirou.
Qu’est-ce qui vous a fait peur en accédant à pareil poste au sein d’un journal aussi prestigieux ?
Comme tout le monde, j’ai des peurs, mais je vais essayer de les dompter. Pour fêter les ‘80 ans du journal, on va engager, en 2018, un tournant vers le numérique. Outre l’édition papier, nous allons développer une offre forte et originale sur le site du journal. Mon objectif, et donc mon stress aussi, est d’arriver à bien gérer ces deux aspects qui passeront par des développements différents. Ensuite, un de mes défis sera d’arriver à gérer à la fois ma vie professionnelle et privée, car le boulot est très prenant. Mais nous sommes quelques milliards sur cette terre à avoir les mêmes challenges ! Enfin, comme tous les responsables éditoriaux, j’ai bien évidemment peur de passer à côté du super projet de BD.
Pouvez-vous résumer votre projet pour le Spirou de 2018 ?
J’aimerais renforcer le caractère tout public du journal, en ouvrant davantage vers la jeunesse. Afin qu’un enfant, par exemple, puisse s’en emparer, s’y retrouver et y trouver son compte. Tant sur le fond que sur la forme. C’est vraiment une gageure, car si on regarde l’ensemble des magazines disponibles en kiosque, on se rend compte qu’ils sont plus souvent segmentés – en âge, en centres d’intérêt – que généralistes et tout public. Il faut bien se rendre compte que Spirou est une exception dans le paysage de la presse francophone. Je souhaiterais également renforcer l’interaction avec les lecteurs, en utilisant, bien entendu, le site et les réseaux sociaux. Enfin, comme expliqué précédemment, nous allons faire un effort sur le développement de l’offre numérique et des nouvelles séries.
A l’époque de la réalité virtuelle, quelle est encore la pertinence d’un Spirou en papier ?
Heureusement pour nous, le magazine fait toujours rêver et il reste un objet de désir et de plaisir pour lequel on se chamaille afin d’être le premier à le lire. Tant que cette envie existera, il y aura de la place pour un Spirou en papier. Même si ça ne nous empêchera pas de développer une offre numérique complémentaire, créée pour être lue directement sur une tablette ou un smartphone.
Est-ce que vous allez désormais obliger vos enfants à lire Spirou ?
Un Prix Spirou richement doté En collaboration avec la Fête de la BD à Bruxelles et ses Prix Atomium, Spirou offre désormais chaque année un prix (aide à la création) de 15 000 € pour un projet alliant humour et aventure, dans la grande tradition des célèbres héros de l’hebdomadaire : Spirou et Fantasio, Tif et Tondu, les Tuniques Bleues… |
Ils ne m’ont pas attendue. Mon fils est fan de « Petit Poilu » et ma fille de 5 ans adore déjà le magazine, même si elle ne lit pas encore les textes. Je me rends compte que, dès qu’il y a des héroïnes, elle s’y identifie. Pour elle, les personnages existent vraiment. Elle m’a déjà demandé si on pouvait aller au Canada rencontrer les trois ados de la série « Les Nombrils ». Dans le même ordre d’idée, mes enfants sont persuadés que Spirou est mon collègue de bureau.
A vos yeux, Spirou c’est pour les garçons ou pour les filles ?
Nous sommes justement en train de faire une étude sur le sujet, mais on a clairement gagné des lectrices ces dernières années. Autre info importante, on sait qu’aujourd’hui, six BD sur dix sont achetées par des femmes.
Spirou en vrai ! Cette année, le journal accompagnera deux gros événements. Au printemps, la Ville de Charleroi fêtera en avril les 80 ans de son groom préféré, avec toute une série de manifestations (expo Gaston sur la Place Verte, concert d’hommage au gaffophone au Quai 10, conférences, projections…). Et cet été, un Parc Spirou s’ouvrira près de Salon-de-Provence. |