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Par Sébastien Lambotte
Comptant parmi les derniers producteurs de Tabac de la Semois, Vincent et Gaëtane Manil, à Corbion, entretiennent la tradition. On vient de loin pour ce tabac traditionnel, qui fait parler de lui… jusque dans le New York Times.
Les chemins qui mènent à Corbion sont aussi tor tueux que les méandres de la Semois. Ce petit village, situé à deux pas de la cité médiévale de Bouillon, est particulièrement connu des amateurs de tabac. C’est au coeur de l’entité que l’on trouve en effet l’un des derniers fabricants de Tabac de la Semois. Vincent Manil et son épouse, Gaëtane, ont commencé à torréfier le tabac en 1989, s’inscrivant dans une tradition régionale qu’ils entendent perpétuer. « Le climat de la vallée, entre douceur et brume, et une terre pauvre, permettent de planter un tabac tout à fait particulier, à la couleur et aux saveurs appréciées des connaisseurs », commente Gaëtane.
Une réputation tenace
Au coeur des années 1960, dans cette belle région de la Semois, la fabrication du tabac constituait un élément essentiel de l’économie locale. Aujourd’hui, les planteurs comme les fabricants se font de plus en plus rares. La réputation de ce tabac, toutefois, ne s’amenuise pas. La preuve en a encore été apportée au printemps dernier. Le Tabac de la Semois a été mis à l’honneur sur trois pleines pages au coeur du New York Times. « C’est assez incroyable », commente Vincent. « Quelques mois auparavant, nous avons reçu un coup de téléphone d’un journaliste anglophone qui nous a fait part de son souhait de faire un reportage sur notre tabac qu’il avait découvert chez un ami en Italie et dont il était tombé amoureux. Pour être franc, nous n’y avons pas cru… » À leur grande surprise, le journaliste a débarqué dans la région et a passé trois jours avec la famille Manil pour découvrir tous les secrets d’un si bon tabac et aussi pouvoir en vanter, en long et en large, les mérites outre-Atlantique.
Au coeur des années 1960, dans cette belle région de la Semois, la fabrication du tabac constituait un élément essentiel de l’économie locale. Aujourd’hui, les planteurs comme les fabricants se font de plus en plus rares. La réputation de ce tabac, toutefois, ne s’amenuise pas.
Le Tabac de la Semois est le fruit d’une longue tradition. S’il ne plante et ne récolte pas le tabac lui-même, Vincent Manil le torréfie dans sa cave, à l’ancienne, avant de l’empaqueter ou d’en faire des bouchons de pipe. Torréfier le tabac nécessite un réel savoirfaire que seule l’expérience peut apporter. « Un bon tabac ne doit pas être trop sec, parce qu’il ne serait pas bon à fumer, ni trop humide, parce qu’il ne se conserverait pas bien. Torréfier le tabac exige d’être particulièrement attentif. Il faut pouvoir l’apprécier au toucher pendant le processus de torréfaction, afin de l’extraire du four un moment le plus opportun. » Tout est question de doigté, de précision. Surtout, développer un tel savoir-faire nécessite de la passion, et du temps.
Le plaisir des effluves
Depuis près de 25 ans, Gaëtane, Vincent et leurs enfants baignent dans cet univers. Plusieurs jours après chaque torréfaction, leur magasin, le musée qui y est annexé et leurs espaces de vie baignent dans d’agréables effluves. L’odeur du tabac produit ici n’a rien de comparable avec l’odeur de ces cigarettes qui peuvent empoisonner l’atmosphère. Ici, elle se respire avec plaisir. Le Tabac de la Semois, d’ailleurs, ne se fume généralement qu’en connaissance de cause, par passion. « Il n’est en rien addictif comme pourrait l’être la cigarette. On parle ici d’un produit de qualité, auquel nous voulons redonner ses lettres de noblesse », explique Gaëtane. « Nos clients sont des fumeurs de pipes ou de cigares. En fumant, ils partent à la recherche du goût et du plaisir que procure le tabac, un plaisir d’épicurien. »
À Corbion, sur les hauteurs, où ne vivent que quelques dizaines d’âmes, la porte du magasin de la famille Manil s’ouvre bien plus souvent que l’on n’aurait pu l’imaginer. Au-delà de la clientèle locale et nationale, on vient de loin, de très loin même, pour se procurer ce savoureux tabac. « Nous avons encore eu un Parisien voici deux jours. Et au début de la semaine, c’est un Australien qui est venu nous acheter du tabac. Des gens viennent des quatre coins de la planète, d’Italie, de Malaisie, de Chine… », poursuit l’épouse de Vincent Manil. « Aujourd’hui, les passionnés échangent énormément sur les forums de discussion en ligne à propos du tabac. Cela contribue énormément à la notoriété du Semois. » Forcément, de nombreuses demandes affluent également des États-Unis. L’article du Times, évidemment, n’a pas été sans conséquence. « Nous recevons beaucoup d’emails en provenance des États-Unis », explique Vincent. « Nous ne pouvons, jusqu’à présent, pas envoyer de tabac directement à l’étranger. Les législations en vigueur ne facilitent pas l’exportation. Mais des démarches ont été entamées pour pouvoir proposer notre tabac dans l’une ou l’autre boutique spécialisée à New York. L’obtention des autorisations nécessaires n’est cependant pas aisée. »
Un musée et un livre
Passionnés par le tabac et par leur région, terroir à l’origine de ce produit remarquable, Vincent et Gaëtane témoignent de cette tradition par leur métier et leur production. Mais ils ne se sont pas arrêtés là. Dans la cave de leur boutique, ils ont créé un musée dédié au tabac et plus particulièrement au Semois. « Quand nous nous sommes lancés dans la production du tabac, nous n’avions pas de plan de carrière. Nous sommes partis à l’aventure. Mais, au fil des années, nous nous sommes laissé gagner par la passion. Nous avons accumulé de nombreux objets en lien avec le tabac. Nous avons souhaité présenter notre collection, proposer une visite de l’atelier, afin de permettre à tout un chacun de mieux comprendre ce métier traditionnel. Nous proposons donc une visite ludique et atypique au coeur de notre passion et de la tradition. »
Au-delà du musée, Gaëtane et Vincent ont eu l’idée de retracer l’histoire du Tabac de la Semois au moyen d’un livre. L’ouvrage, partant des connaissances qu’ils ont accumulées, permet de découvrir cette culture singulière des bords de Semois aujourd’hui menacée. L’ouvrage décrit notamment le cheminement du tabac, depuis la graine plantée jusqu’au produit qui ne demande qu’à être fumé. Le livre s’attarde aussi largement sur la Semois, la vallée dans laquelle il est produit. « Cet ouvrage est un réel témoin de l’existence de cette activité qui tend à disparaître. À nos yeux, il manquait une telle trace. Nous avons donc voulu y remédier », ajoute Gaëtane. Il ne fait aucun doute que cet ouvrage illustré ne se savoure à sa juste valeur qu’en appréciant en parallèle le goût authentique du Tabac dont il parle.
Informations :
Rue du Tambour, 106838 Corbion-sur-Semois
Tel. : +32 (0) 61 46 81 29
tabacmanil@skynet.be www.tabac-semois.com