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Par Thomas Turillon (L'Avenir)
au Domaine de Graux
Economiste de profession, Elisabeth Simon ne connaissait rien à la terre quand elle a hérité du Domaine de Graux, sur les hauteurs tournaisiennes. Aujourd’hui, celui-ci est un exemple de saine gestion. Et des formations en agroécologie vont bientôt voir le jour.
«En 1492, Christophe Colomb mettait le pied en Amérique. Ici, on posait la première brique ! », aime lancer la propriétaire à propos du domaine familial. Durant ce que les historiens appellent « Le beau XVIe siècle », l’endroit très marécageux est asséché. La terre devient fertile, propice à la culture. Après des décennies de labours, ce petit paradis de Gaurain-Ramecroix entreprend un virage en 1995. Cette année-là, le papa d’Elisabeth décède. Le désir de ne pas laisser filer le joyau familial la taraude. Elle tourne alors le dos à sa profession d’économiste. « Ce moment coïncide avec la période de ma vie où je cherchais à contribuer au bien être humain et de la planète. J’ai repris cette ferme conventionnelle où nous n’avions que des cultures céréalières et pas d’animaux, en me disant que je pourrais y créer la ferme idéale. C’est parti du cœur et non de la tête. Il fallait être fou à cette époque, avec l’agriculture en déliquescence complète. »
Une formation sur le tas
Heureusement, Elisabeth a eu l’intelligence de ne pas brûler les étapes en domestiquant le milieu naturel avec respect. « Quand vous reprenez une activité à laquelle vous ne connaissez rien et qui fonctionne, la bonne stratégie est de continuer et d’apprendre comment ça marche. J’ai retravaillé avec les fermiers locaux. Pendant dix ans, ça m’a pesé car je n'y connaissais rien. Pour avoir l’air un minimum intelligente, je lisais beaucoup. Cela a été une formation sur le tas. »
Sa carrière dans les Big Five à Bruxelles puis en Angleterre lui fut bénéfique lorsqu’elle fit rimer virage avec apprentissage. « Mon expérience dans la finance est toujours très utile dans ce que je fais. Je gère une ferme comme on gère un business classique. Cela se fait de la même façon. Après, on s’y intéresse, on l’apprend, on le comprend… Ce n’est une fois que j’ai bien compris toutes les ficelles de ce nouveau métier que j’ai pu commencer à y mettre ma pâte ».
Le début de la permaculture
On se retrouve alors en 2003, année qui ouvre l’ère de la permaculture, un concept totalement absent du vocabulaire commun à l’époque. Son soubresaut agricole évolue pour tendre vers un maximum de naturel. Mécanisation, pesticides et labours néfastes aux terres sont proscrits. L’écrin vert se refertilise et un rendement similaire à l’agriculture chimique s’apprécie. Fille d’un ornithologue et d’une océanographe, Elisabeth se devait d’être à son tour en harmonie avec la terre. Sa Terre. « Je me suis dit que ce n’était pas bon de traiter le sol comme un vulgaire substrat, comme un support à la culture. Il fallait que je reparte de la terre, car c’est un organisme vivant qui est la source de tout », explique-t-elle.
Ayant basculé totalement en bio en 2011, le Domaine de Graux sert aujourd’hui d’exemple à d’autres et proposera bientôt des formations en agroécologie. On appelle ça un cercle vertueux.
Le représentant d’Al Gore à la rescousse
Le Domaine de Graux, ce fut un sol à rééquilibrer mais aussi des briques à réexploiter. « Je voulais faire vivre le lieu, l’entretenir. Il fallait donc trouver une activité. J’ai eu un tas d’idées et c’est à force d’échanger avec des professionnels que j’ai pris cette option. »
Elisabeth Simon repart d’une page blanche avec cette adaptation écologique au diapason de la démarche déjà entreprise à cette adresse. « Être passif, c’était impossible avec de vieilles pierres, mais je voulais que cette nouvelle activité économique ait au moins un CO neutre. »
Là aussi, l’agroécologiste apprend sur le tas, se renseigne auprès de spécialistes. « En ramant avec mon utopie, je suis allée jusqu’à rencontrer l’ingénieur Serge de Gheldere, qui était le représentant belge de l’ancien vice-président des Etats-Unis Al Gore. Je l’ai appelé en lui disant que je n’en pouvais plus d’essayer de faire quelque chose qui me semblait concrètement être un plus pour la planète. » Son culot paie : Elisabeth est invitée chez lui. « Je tremblais en sonnant à sa porte, mais il m’a compris et a étudié tous les aspects du projet gratuitement. »
DES MICRO-FERMIERS INDEPENDANTS
L’image d’Epinal du fermier dans sa ferme, Elisabeth Simon ne l’entrevoit plus. « Pour moi, la ferme du futur sera un domaine sur lequel travaillera un nombre important de micro-fermiers indépendants. Ils seront les cogérants du site. On ne peut plus travailler tout seul sur de toutes petites fermes indépendantes. » C’est son quotidien à Graux qui mène à cette logique. « On est en train de mettre cette structure en place ici. Un maraîcher indépendant s’occupe des légumes et j’aimerais faire la même chose avec les animaux. On ne peut pas être bon en tout dans une ferme. S’occuper de poules ou de vaches, ce sont deux métiers différents. Que chacun fasse ce qu’il aime et ce pourquoi il est bon, mais que tous travaillent ensemble dans la même ferme.»
Un partenariat avec « Chef chez soi »
C’est finalement en 2012 qu’un centre de réception voit le jour dans l’un des espaces de la ferme. Mais à l’heure de couper le ruban, une énième interrogation surgit dans l’esprit de la fondatrice : qui va pouvoir gérer des banquets allant jusqu’à 600 personnes tout en respectant l’ADN du lieu ? Un traiteur bio ? « Ça n’existait pas, si ce n’est à Bruxelles, loin de mon Tournaisis. Je voulais quelqu’un qui tienne la route, qui montre que le bio pouvait aussi être haut-de-gamme. »
D’abondantes recherches mèneront finalement Elisabeth à pousser la porte de « Chef chez soi » dans la capitale, afin de conclure un partenariat exceptionnel avec ce traiteur. « Comme personne à vingt kilomètres à la ronde n’était capable d’assurer les commandes d’un centre de réceptions de cette taille en bio, « Chef chez soi » a accepté de relever le défi. Parce qu’il avait été l’un des premiers à avoir un composteur et à recycler ses huiles de friture à Bruxelles, je savais d’emblée qu’il serait à la hauteur. Aujourd’hui, il est devenu organisateur d’événements et mon partenaire principal pour la ferme. Tout ce que je produis, il le transforme dans sa cuisine ! »
« Chef chez soi » suit le rythme des saisons, ce ne sont pas ses fourneaux qui dictent la culture. Une panacée rendue possible grâce à la permaculture. « Nous produisons plus de cinquante sortes de légumes ainsi que de l’huile de noix, nous avons le deuxième plus grand verger conservatoire de Belgique, nous élevons des Black Aberdeen-Angus, du cochon Mangalitza très gras à la qualité exceptionnelle et nous démarrons un élevage de poules. C’est du plein air intégral qui respecte les groupes familiaux… »