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Par Marie Honnay
Une parenthèse de trois mois a tout changé dans sa vie de femme, de peintre. Rencontre.
Sa mère était collagiste, peintre et graveur. Son père était également plasticien et, influence de leur duo artistique oblige, « entré en gravure », lui aussi. Ses oeuvres, il les imprimait en pressant son corps contre des annuaires téléphoniques. Pour Sofie, cette technique plutôt atypique ressemble étrangement à une première immersion dans cet esprit « corps à oeuvre » qui va, par la suite, devenir le fil rouge de son parcours artistique. Dès 14 ans, elle étudie la peinture, la gravure et l’image imprimée à l’Académie des Beaux-Arts de Liège. Membre du collectif La Poupée d’Encre, elle est aussi enseignante et assistante en gravure à l’Institut Saint-Luc. Ce statut, elle en parle comme d’une respiration au milieu d’un travail autobiographique intense et percutant. À ce point de sa carrière, Sofie envisage d’ailleurs de mettre définitivement un terme à cette oeuvre très personnelle pour se recentrer sur des thématiques moins proches de sa propre histoire. C’était sans compter cette parenthèse de 90 jours. Une pause qui a complètement redéfini les règles du jeu, le rythme de sa création, son sens des priorités.
Trois mois pour la vie
En octobre 2012, Sofie Vangor donne naissance à deux jumeaux prématurés. Six mois plus tôt, au moment où elle découvre qu’elle est enceinte, l’artiste vient de terminer une exposition au Musée des Beaux-Arts de Liège. Un projet qui porte sur le décès de sa soeur, à l’âge de 17 ans. Cette série d’oeuvres personnelles, elle l’envisage comme un point final à ses travaux autobiographiques. Sauf que cette double grossesse prend fin plus tôt que prévu, trois mois avant terme. Ce qui va tout changer, c’est son entrée au couvent. Celui de Saint-Vincent, juste à côté de la Clinique de Rocourt, où elle vient de donner naissance à ses enfants. D’un jour à l’autre, Sofie Vangor plonge dans un univers inconnu, loin de son travail de plasticienne. Cette fois, il s’agit de mener une bataille pour la survie de ses enfants. Et si cette lutte pour la vie ne lui laisse ni le temps, ni l’énergie de créer, l’artiste va tout de même remplir des carnets, sorte de traces écrites de ces 90 jours entre parenthèses, 90 jours de « peau à peau » avec ses enfants.
LE « PEAU À PEAU », EN BREF
Maternité de Bogota, service de néonatalogie, 1978. Le Docteur Edgar Rey Sanabria décide, pour pallier le manque de moyens de son service de prénatalité, de lover les bébés prématurés contre le torse de leurs parents. L’idée est de les réchauffer afin qu’ils retrouvent les 37 degrés dans lesquels ils baignaient dans le ventre maternel. Ce peau à peau permet en outre de compenser les carences affectives de ces petits êtres fragiles. En 2014, si cette technique est encore peu médiatisée, ses bénéfices tant pour l’enfant que pour les parents sont reconnus scientifiquement.
Deux ans plus tard
Pour l’artiste, ce projet d’expo n’avait rien d’une évidence. Ses carnets ne lui ont finalement servi que de témoins. L’essentiel du travail, le concept, les médiums… se sont imposés à elle comme une sorte d’obligation morale. En quittant le service de néonatologie, Sofie Vangor réalise que ce qu’elle a vécu est à ce point intime et bouleversant qu’il est difficile d’en rendre compte avec des mots. Face à l’absence de médiatisation – notamment à l’occasion de la journée annuelle de la prématurité qui a lieu chaque 17 novembre – elle décide d’agir. En tant qu’artiste. En tant que mère. En tant que femme aussi. Car cette exposition que Sofie Vangor avait d’abord pensé titrer « Soeurs de Guerre », elle décide de ne pas la monter seule, mais avec ses « soeurs » de combat, d’autres femmes rencontrées pendant son aventure. Le fait que la majorité ne soit pas artiste rend le résultat encore plus intéressant.
Questions universelles
Sofie Vangor n’a pas demandé à ces mères de peindre ou de dessiner, mais bien de s’exprimer dans un langage qui leur était propre, d’apporter leur regard personnel sur cette expérience. À l’image de son propre parcours qui l’a amenée à passer de la gravure au textile en passant par l’écriture, elle a offert à ses femmes une plateforme d’expression libre et sans barrières. Les questions posées sont, au final, plus universelles que strictement liées à leur expérience. Comment se préparer à une naissance ? Comment l’anticiper et, de manière plus large, comment se préparer à l’imprévisible ? Comment traverser des épreuves ? Comment en revenir ? Comment les transformer en une occasion de partage et de réflexion ? Toutes ces questions ont donné naissance à une exposition qui mêle les peintures, gravures, broderies et vidéos de l’artiste et les installations des autres femmes.
Renseignements
Informations :
http://sofievangor.blogspot.be