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Par Charline Cauchie
Développer une série animée innovante pour les tout-petits, voilà le pari de ToonYou depuis 2014. Aujourd’hui, l’objectif est atteint haut la main. Mais, la start-up a encore plein de projets ambitieux dans sa sacoche. Rencontre avec son cofondateur, Alexandre Touret.
Alexandre Touret a de quoi être fier. L’application « ToonYou : My Dream Jobs » lancée par la start-up du même nom dont il est le cofondateur a le vent en poupe. Simple à télécharger, et disponible sur téléphone (iOS, Android ou Windows Phone) mais aussi sur PC/Mac, elle a rapidement conquis de nombreux parents. Se présentant comme une série télévisée pour enfants, son but est d’illustrer,dans chaque épisode, un métier différent expliqué aux 2-6 ans. « Les épisodes, d’une durée de trois minutes, se regardent en famille pour les 2-5 ans, et les 5-6 ans peuvent les visionner seuls », précise le jeune patron.
La particularité de l’appli ? Être une série d’animation TV « personnalisée » à l’aide des parents (un seul ou les deux) qui ont la possibilité de télécharger une photo de leur visage et de celui de leur enfant avant le début de « l’expérience », comme on dit dans le jargon.
Rendre l’enfant plus attentif
En 2012, une enquête menée par le groupe Nickelodeon montre que 90 % des enfants considèrent leurs parents comme leurs héros N° 1. Alors, pourquoi ne pas les mettre en scène ? « ToonYou : MyDream Jobs » consiste à faire découvrir à l’enfant le métier de l’épisode à travers les membres de sa propre famille qui en deviennent les protagonistes : astronaute, trapéziste, pompier, facteur, informaticien et bien d’autres encore. Ils y évoluent au travers de petites aventures drôles et pédagogiques. « Notre travail se base sur une réflexion menée avec des pédopsychiatres et sur ce que l’on appelle le réflexe neurophysiologique : l’enfant est pourvu d’un instinct qui lui permet de retenir la combinaison unique nez-bouche-yeux de ses parents qu’il va plus écouter que les autres adultes. » Chacun des 70 épisodes déjà produits permet ainsi d’immerger véritablement l’enfant (et les parents) dans l’histoire du dessin animé.
Bien sûr, entre un enfant de 2 ou 6 ans, la perception ne sera pas la même. « Grâce à la personnalisation, le dessin animé va intéresser les tout-petits dès 2 ans. Eux vont voir leur maman qui ouvre un stand de limonades avec des catastrophes en cascade. Les plus grands comprendront le lien avec le métier décrit qui peut se révéler compliqué au quotidien : celui d’entrepreneur. » Alexandre Touret parle d’expérience, il a deux petits cobayes à la maison : « J’ai des enfants de 2 et 5 ans. Grâce à eux, je me suis clairement rendu compte qu’il fallait ajouter des sourires et une bonne dose d’humour, on a privilégié les petites blagues pour “supporter” l’aspect éducatif de notre série. »
Réalité enfantine
Les concepteurs ont été chercher l’inspiration à la source : chez leur public cible ! Par exemple, dans la relation que l’enfant peut entretenir avec le papier et le carton, des matières de bricolage qu’il utilise fréquemment et qui sont les matériaux de la série. Puis, dans la manière de concevoir les scénarios. « On voulait entrer littéralement dans le monde et l’imagination des enfants. Ceux-ci ont une faculté dingue à se raconter des histoires. Ils prennent n’importe quel objet proche et les font jouer ensemble.On voulait rendre cette spontanéité, faire en sorte que notre personnage animé se déplace et fasse des trucs extraordinaires, comme un enfant pourrait les imaginer. »
La start-up réfléchit d’ailleurs à développer ces « paper toys » pour les imprimer et en faire des livres personnalisés. « On a eu une bonne idée avec les livres partiellement personnalisés en librairie. Les parents donnent les infos nécessaires dans l’appli et nous, on leur envoie le livre réalisé à partir de cela. Aux États-Unis, le site LostMy.Name a vendu des millions de livres en jouant sur la disparition du prénom de l’enfant (prénom encodé par le parent sur le site) que celui-ci recherche à travers son ouvrage personnalisé. Aujourd’hui, on a des outils pour divertir les enfants différemment, à nous deles utiliser ! »
Une concurrence impitoyable
Le succès de ToonYou est d’autant plus notable que la concurrence est très présente sur le marché du dessin animé. « Une série d’animation coûte très cher, les besoins de production sont importants et les questions de coproduction souvent compliquées. Les principales boîtes sur le marché sont de véritables machines à gaz assez impressionnantes. Mais on savait que sur un public cible, celui des tout-petits, on pouvait apporter quelque chose avec des moyens moins élevés tout en répondant à une nouvelle attente. » L’approche avec laquelle ToonYou évoque les métiers, thématique centrale, était assez innovante. « Il fallait créer sinon des vocations au moins des curiosités et expliquer les métiers de façon plus complète et actualisée : arrêter de ne parler “que” des pompiers, des policiers ou des infirmières, mais montrer que l’éventail est beaucoup plus large et intéressant ! » Ainsi, « ToonYou : My Dream Jobs » fait la part belle à des professions nouvelles ou moins populaires : DJ, informaticien, professeur, chocolatier, sculpteur, soldat de la paix, éboueur, pour ne citer que celles-là.
L’ambition affichée de la start-up est d’apporter quelque chose de différent dans le divertissement etl’animation pour enfants. « On est persuadé qu’il existe énormément d’applis pour enfants où il y a surabondance d’interactivités alors que, les médecins le disent, il y a un besoin chez l’enfant de divertissements passifs qui permettent de se reposer, car les enfants sont beaucoup plus sollicités qu’avant (école, exercices intellectuels, jeux vidéo, etc.). Nous nous situons entre les deux, le dessin animé passif, mais avec une touche d’humanité. »
Une prouesse technologique
On voit que les clés du succès de ToonYou sont le caractère éducatif de ses contenus et l’innovation visuelle que permet la personnalisation du dessin animé. Mais pas seulement. Pour arriver à la notoriété, les concepteurs savaient qu’il fallait innover dans le format court à destination de nouveaux supports, autres que la télé. « 40 % des jeunes enfants regardent leur divertissement sur tablette ou téléphone, nous avons donc pensé notre produit sous forme d’application et pour le web », explique Alexandre Touret.
En tout, pour l’application et son extension digitale, sept personnes ont travaillé à temps plein pendant 18 mois. Les défis étaient nombreux. « Qu’est-ce qui est techniquement possible ? Quel est le procédé visuel approprié ? On a opté pour la réalisation de cette série en paper toys et en stop motion, à la Wallace et Gromit, une technique que l’on connaissait pour l’avoir déjà utilisée. Pour les trucages, on a travaillé sur les déformations visuelles, l’apparition de fumée, nuages, etc. » Mais la plus grosse prouesse reste le moteur de spécialisation. « On a mis au point un moteur de personnalisation qui génère plus de 100 expressions d’après un seul et unique portrait téléchargé. Cela nous permet d’appliquer des pleurs, un sourire, de la surprise au visage du personnage, des émotions qui correspondent à l’histoire et la rendent plus réelle, plus plausible. »
Aujourd’hui, ToonYou est disponible sur Google Play, iTunes, mais également sur le Windows store, etc. Bref, « on couvre 100 % du marché des applis grâce à un accompagnement de Microsoft pour la mise au point d’une application que vous pouvez installer sur votre PC ou votre tablette, comme un vrai programme ». Vu l’âge du public cible, les appareils utilisés sont ceux des parents. « On voulait un outil “ATAWAD” (any time anywhere any device). Cela ne veut pas dire pour autant que le parent est déresponsabilisé. On va mettre en ligne un mode “lire toutes mes vidéos” qui permet le visionnage des épisodes les uns à la suite des autres sans interruption. On laisse donc les parents prendre la décision d’arrêter la lecture quand ils estiment que l’enfant a passé suffisamment de temps devant un écran. »
RTBF, Amélie Nothomb ou encore le fondateur de Google
Pour la réalisation des personnages de la version télé, ToonYou a fait appel à des invités de choix. « Amélie Nothomb a accepté de prêter son visage pour l’épisode sur le métier d’écrivain, Larry Page, le fondateur de Google, sera notre informaticien et on attend pour communiquer sur une autre très grande personnalité américaine... », sourit Alexandre Touret.
Le premier partenariat de ToonYou s’est très rapidement mis en place. « Quand on s’est rendu compte, fin 2014, que le projet était possible technologiquement, on a développé notre produit et on en a parlé à la RTBF qui est très vite devenue partenaire. Ce qui les intéressait, c’est qu’on n’était jamais dans le gadget. Chez nous, pas de cartes de voeux à envoyer à sa grand-mère pour Noël ou d’animations de chats. En tant que professionnels de l’entertainment, nous proposons un contenuqualitatif avec un socle solide mêlant divertissement et pédagogie. » Grâce à un accord de diffusion signé avec la RTBF, les paper toys à tête carrée de ToonYou passent à présent deux fois par jour sur La Trois et les épisodes sont tous accessibles sur le site d’OUFtivi.
Mais ce n’est pas tout. « Par la même occasion, nous avons convaincu le groupe français Lagardère, qui a une antenne de distribution de programmes, de nous prendre en mandat. Ce qui signifie que nous sommes intégrés à leur catalogue et que nous pouvons être achetés par des chaînes du monde entier. » Ainsi, ToonYou sera diffusée dès septembre sur la chaîne Unis/TV5 au Canada ainsi que par Majid Kids TV au Moyen-Orient et des discussions sont également en cours avec la Corée du Sud.
L’aventure… commence
En plus des collaborations, ToonYou a, en quelques mois, reçu de nombreux prix qui sont autant de confirmations de son succès : le prix du jury au MIP Junior, le plus gros salon d’achat de contenus audiovisuels à Cannes, ainsi que le prix Crossmedia de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD). Les concepteurs sont également lauréats Boost up! et ont terminé dans le top 12 de la mondialement connue Creative Business Cup à Copenhague en représentant la Belgique parmi des centaines de concurrents.
Des envies d’international ? ToonYou n’en manque pas avec des contenus déjà disponibles dans deux langues (français et anglais), mais « nous restons très actifs sur le réseau wallon. Les fonds d’investissement en Wallonie sont très efficaces et accompagnent les stratégies de façon trèsproactive en aidant vraiment au développement. Nous nous situons également dans un lieu à Mont-Saint-Guibert, le Creative Spark, sorte de pépinière pour start-up, avec d’autres comme ilooove.it ou encore Speaky et dans lequel nous nous sentons très bien ».
ToonYou a fait ses preuves. « Suite au développement de l’appli et la manière dont elle s’exporte bien, nous avons réalisé une version 2.0 qui sera disponible pour l’été ! Quant au site web, www.toonyou.com, la nouvelle version vient d’être mise en ligne : encore plus fluide, dynamique et simple d’utilisation, explique fièrement Alexandre Touret, et on travaille déjà sur la suite, "My DreamPets", destinée aux enfants un peu plus grands et qui se focalisera donc sur les animaux. Pour vous mettre dans le secret : la série sera particulière, car l’enfant se réveillera chaque matin avec la missionde résoudre les problèmes de son quotidien grâce à des animaux. » En fin d’année, ToonYou mettra aussi sur pied une levée de fonds à laquelle les particuliers pourront participer. Affaire à suivre !