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Par Laurence Blairon
Du 25 janvier au 17 mai 2015, l’exposition « Van Gogh au Borinage » organisée au BAM (Beaux‑Arts Mons) met en lumière une période méconnue et pourtant décisive de la vie d’un des plus grands peintres de tous les temps : celle où il fait le choix de devenir artiste et s’approprie les thèmes qui jalonneront son oeuvre.
Il ne reste que très peu de témoignages picturaux du séjour de Vincent Van Gogh au Borinage, de décembre 1878 à octobre 1880. « Beaucoup de dessins se sont perdus ou ont été détruits », déplore Sjraar van Heugten, commissaire de l’exposition et ancien directeur des collections du Van Gogh Museum d’Amsterdam. « Il n’y a là rien d’étonnant, assure‑t-il. Van Gogh n’était pas un artiste naturellement doué. Autodidacte, il s’imposait une discipline de fer et réalisait quantité de croquis pour améliorer sa technique. Pour lui, ces dessins malhabiles n’avaient que peu de valeur. C’étaient de simples exercices. »
L’exposition « Van Gogh au Borinage », qui constitue le coup d’envoi de la manifestation Mons 2015, dresse le portait fascinant d’un génie en gestation. Car c’est au milieu des gueules noires, entre terrils et corons, que l’un des artistes les plus célèbres au monde a la révélation de son destin.
Prédicateur raté
Lorsqu’il arrive dans le bassin houiller, Vincent Van Gogh a 25 ans. Comme son père, il veut être pasteur. Préoccupé par le sort des plus pauvres, il se fait engager comme évangéliste au sein de la communauté protestante de Petit‑Wasmes (Colfontaine aujourd’hui). Il lit et commente la Bible chez les mineurs, dont il partage bientôt le sordide quotidien, renonçant à tout luxe et allant jusqu’à faire don de ses propres vêtements. Son exaltation n’est que modérément appréciée par l’église protestante qui, au bout de six mois, ne prolonge pas son contrat. « Cette disgrâce est très mal reçue par sa famille. Sonné, Van Gogh sombre dans la dépression », raconte M. van Heugten. Le jeune Néerlandais déménage à Cuesmes (Mons), où il aide quelque temps le pasteur local, mais le coeur n’y est plus. Son frère Theo, avec lequel il reprend contact après une année de silence, l’incite à se remettre au dessin. « Il lui fait parvenir un peu de matériel, des planches du Cours de dessin de Charles Bargue et des reproductions d’oeuvres de peintres dont ils admirent les scènes de la vie ouvrière et paysanne, tels que Jean‑François Millet et Léon Lhermitte. Pour Vincent Van Gogh, c’est une véritable résurrection et le début d’une immense carrière artistique. »
L’art de la copie
Inlassablement, Van Gogh s’emploie à copier et recopier les tableaux qui l’inspirent le plus. Il commence également à dessiner d’après nature. « Ces premières études sont particulièrement émouvantes, même si on n’y reconnaît pas encore la patte du maître », souligne Sjraar van Heugten.
Les rares dessins de l’artiste naissant à avoir été conservés constituent les pièces phares de l’exposition au BAM. Le visiteur découvre ainsi, aux côtés d’oeuvres plus abouties prêtées par le Van Gogh Museum d’Amsterdam et le Kröller‑Müller Museum d’Otterlo (parmi lesquelles Le semeur), deux magnifiques croquis au fusain datant de 1879‑1880, venus spécialement de la National Gallery of Art de Washington. Tous deux représentent de modestes logis (La maison Magros et La maison Zandmennik), un thème cher à Van Gogh, qu’il revisitera d’ailleurs bien des années plus tard en peinture, comme le prouve la Rue à Auvers‑sur‑Oise, un prêt de la Finnish National Gallery.
Un autre dessin retient l’attention, celui d’un Moissonneur avec faucille, d’après Les travaux des champs de Millet. Cette oeuvre datant de 1880, dont on avait perdu la trace pendant près de 30 ans, a été retrouvée par M. van Heugten dans un petit musée particulier au Japon. À Mons, elle est exposée aux côtés d’une huile sur toile montrant un personnage quasiment semblable, peinte par Van Gogh en 1889 alors qu’il est installé à Saint‑Rémy‑de‑Provence. « Elles sont réunies pour la première fois », jubile M. van Heugten, qui rappelle que Van Gogh, à la fin de sa vie, a renoué avec ses débuts et s’est de nouveau mis à réaliser des copies. Cette fois, néanmoins, avec toute la maestria d’un peintre au sommet de son art.
Inoubliable Borinage
Vincent Van Gogh gardera à jamais la nostalgie du Borinage. Il sera d’ailleurs tenté à deux reprises d’y revenir après 1880. « [Dites-leur] de ma part que je n’ai jamais oublié le Borinage et que j’aurais toujours encore envie de le revoir », écrira-t-il à un ami belge au sujet de deux vieilles connaissances. C’est là que sa vocation d’artiste lui est apparue clairement et que les thèmes qui constituent dans une large mesure la trame de son oeuvre (la rudesse de l’existence et l’engagement en faveur des plus démunis notamment) ont pris corps.
L’exposition au BAM, qui replace les oeuvres de Van Gogh dans le contexte socio‑économique de l’époque au Borinage, propose plus de 70 peintures, dessins et lettres de l’artiste. « Ces lettres n’ont quasiment jamais été montrées au public, car jusqu’ici, cette période de la vie de Van Gogh ne passionnait pas les chercheurs », avoue Marije Vellekoop, directrice de la section artistique du Van Gogh Museum d’Amsterdam. « La manifestation Mons 2015 a été l’occasion de mener des travaux d’investigation plus poussés », ajoute-t-elle.
Les lettres de Vincent Van Gogh sont présentées dans des vitrines chichement éclairées pour en préserver l’encre. « Ce sont des documents exceptionnels, car il faut se rappeler qu’après l’échec de son aventure pastorale, Van Gogh décide de rompre tout contact avec sa famille pendant un an. Au BAM, nous exposons sept lettres, dont cinq qu’il a rédigées vers la fin de son séjour au Borinage », précise Mme Vellekoop. Cette correspondance révèle un Van Gogh combatif, ayant retrouvé de l’énergie et une certaine sérénité. « Je ne saurais te dire combien je me sens heureux d’avoir repris le dessin », écrit-il en 1880 à Theo. Et de le presser : « Si je ne me trompe pas, tu dois encore avoir Les travaux des champs de Millet. Voudrais-tu avoir la bonté de me les prêter… et de me les envoyer par la poste ? » « Je sens le besoin d’étudier le dessin de la figure sur des maîtres tels que Millet, Breton, Brion et Boughton. » La suite est connue.
Sur les traces de Van Gogh
Pour célébrer le retour de Vincent Van Gogh dans son cher Borinage, Mons 2015 et ses partenaires ont voulu permettre au visiteur de cheminer sur ses traces. La rénovation de deux petites maisons où l’artiste a résidé de 1878 à 1880, l’une à Colfontaine, l’autre à Cuesmes, a donc été engagée. La découverte de ces lieux chargés d’histoire complète l’expérience proposée par l’exposition au BAM.
D’autres activités sont prévues en cours d’année autour de la personne et de l’oeuvre de Vincent Van Gogh dans le cadre de Mons 2015, capitale européenne de la culture. La Grand‑Place de la ville se parera ainsi en juillet de 8000 tournesols géants qui formeront un surprenant labyrinthe végétal. Un festival de courts‑métrages ravira en outre les amateurs de cinéma.
Renseignements
« Van Gogh au Borinage. La naissance d’un artiste »
Du 25 janvier au 17 mai 2015
Du mardi au dimanche de 10h00 à 18h00
BAM (Beaux-Arts Mons)
Rue Neuve, 8 – B-7000 Mons
www.bam.mons.be