- Patrimoine
- / Terres de mémoire
Par Gilles Bechet
Après plus de deux ans de travaux, le théâtre de la bataille de Waterloo est prêt à perpétuer la mémoire d’un événement qui a façonné le destin de l’Europe. Nouveau musée sous terre, pour laisser respirer la topographie et la vue sur la butte du Lion. Et dans la foulée du bicentenaire, la Wallonie met en valeur d’autres sites liés à la campagne napoléonienne.
Les premiers touristes anglais sont venus sur le site quelques années à peine après la bataille. Il n’y avait rien de plus à y voir qu’une plaine vallonnée de terribles souvenirs. Dès 1826, un lion s’est dressé sur la butte pour empêcher que le boulet ne tonne encore sur une Europe meurtrie. En 1912, le bâtiment du Panorama a été érigé pour abriter la toile circulaire de Louis Demoulin. En 2015, ces témoins du passé sont toujours là, mais on n’en verra pas plus en surface, car pour préserver le paysage du champ de bataille, le bâtiment du nouveau Mémorial a été complètement enterré. Le mur qui borde le léger plan incliné donnant accès au site sera recouvert d’un tapis végétal composé de 11 variétés, parmi lesquelles la vigne vierge, la clématite, l’hortensia grimpant ou le chèvrefeuille. Ce projet qui représente un des plus gros investissements touristiques en Région wallonne (40 000 000 €) a été mené à bien par La Belle Alliance, un consortium qui regroupe 7 sociétés et partenaires expérimentés. La supervision scientifique de l’ensemble du contenu de ce mémorial a été confiée à un comité composé de napoléonistes issus de cinq pays belligérants.
Avant d’entamer son parcours à travers les 1 700 m2 d’exposition, chaque visiteur se choisit un guide virtuel, parmi les 40 acteurs de la bataille. Des personnages inspirés par des combattants français, anglais, prussiens ou néerlandais, acteurs de la Bataille, dont les écrits et les notes sont parvenus jusqu’à nous. Pour se familiariser avec les différentes armées en présence, le visiteur remonte une galerie flanquée de soldats en uniforme en marche vers la bataille. Pour être comprise, cette bataille doit être décryptée au travers de son contexte historique et politique.
La supervision scientifique de l’ensemble du contenu de ce mémorial a été confiée à un comité composé de napoléonistes issus de cinq pays belligérants.
Un gouffre idéologique séparait toute l’Europe de Napoléon, perçu comme un hors-la-loi. Les enjeux militaires dépendaient souvent du type d’armes dont disposaient les soldats de chaque camp, et qui dictaient leurs stratégies. Des objets d’époque emblématiques ou des fac-similés jalonnent la visite. Une place de choix sera réservée aux plus belles pièces de la fameuse collection Brassine (plus d’informations dans le n° 25 de WAW). Les multiples bornes interactives quadrilingues apportent une information riche mais non-redondante. « Nous avons quatre niveaux de plus en plus détaillés qui laissent au visiteur le choix de picorer en fonction de ses intérêts plutôt que de devoir se gaver d’un contenu unique et parfois indigeste qui apparaît à l’écran », précise Philippe Chiwi de la société audiovisuelle De Pinxi. Chargée du développement des contenus interactifs et des films en 3D dans le domaine du divertissement ou de la muséographie, cette firme bruxelloise s’est forgé une solide expérience auprès de nombreux clients belges et internationnaux. Pour le Bagacum de Bavay en France, par exemple, ils ont conçu une fiction archéologique interactive ; pour le musée olympique de Lausanne, des modules interactifs autour des objets de la collection ou encore les environnements multimédia virtuels de l’expo Golden Sixties à Liège.
Vivre pendant 15 minutes l’expérience de la bataille constitue assurément un des climax de la visite. Pour gérer le flux des visiteurs, une zone d’attente est prévue et elle prend des airs de bivouac par une nuit d’orage. Dans l’espace de projection, un écran de 25 mètres de long et 4,5 de hauteur offre une expérience immersive inédite. Réalisé par Gérard Corbiau, avec une caméra panoramique 3D, le film plonge les 90 spectateurs directement au coeur de la bataille. Les armées chargent, les hommes et les chevaux tombent, la poudre parle, le sang coule. Après tout ce fracas, on peut tenter de reprendre ses esprits en contemplant le terrible bilan de ce qu’il faut bien appeler une boucherie. Une ligne du temps permet de se rendre compte de l’impact de Waterloo sur la destinée des différents pays belligérants. Tout au long de son parcours, grâce à l’audioguide personnalisé, le visiteur laissera derrière lui des petits cailloux numériques qui lui permettront d’assembler, à l’issue de sa visite, une mosaïque multimédia, témoin de « sa » bataille qu’il recevra quelques jours plus tard sur sa boîte mail.
Vivre pendant 15 minutes l’expérience de la bataille constitue assurément un des climax de la visite. Pour gérer le flux des visiteurs, une zone d’attente est prévue et elle prend des airs de bivouac par une nuit d’orage.
Le Mémorial 1815 a été conçu pour absorber un maximum de 7 à 800 000 visiteurs annuels. Avec un volume estimé à 500 000 pour une jauge normale, le musée caché de Waterloo ne restera pas longtemps dans l’ombre et n’aura aucune peine à mettre en lumière ce lieu de patrimoine devenu le premier site du tourisme de mémoire en Europe.
À quelques centaines de mètres, l’Hôtel du Musée a lui aussi fait l’objet d’une rénovation en profondeur. Les visiteurs affamés et assoiffés pourront s’attabler au restaurant le Wellington (90 couverts) ou à la brasserie Le Bivouac de l’Empereur (138 couverts), qui auront tous deux retrouvé tous leurs éléments de décor historiques.
La ferme de Hougoumont, dernier témoin authentique de la bataille, a également fait l’objet d’importants travaux de restauration. Le site, qui accueillera une scénographie évoquant les moments clé de la bataille, est appelé à devenir un lieu de réflexion et de réconciliation. Le corps de logis quant à lui, appelé la maison du jardinier, proposera à l’étage un gîte de deux chambres. Malgré l’effroyable carnage dont ces murs ont été témoins deux siècles plus tôt, les nuits y sont désormais paisibles.
LA BELLE RETRAITE
Le 19 juin 1815, le maréchal Grouchy apprenait la défaite de l’empereur et quittait Wavre avec ses 35 000 hommes de la 3e et 4e armée. Il faisait chaud ce jour-là, les hommes étaient sales, harassés. Ils avaient soif et n’avaient pratiquement pas dormi depuis quatre jours alors qu’ils battaient en retraite, prenant la route de Namur, talonnés par l’armée de Blücher. Aujourd’hui, les conditions sont nettement plus agréables pour emprunter la Route de l’Armée Grouchy, l’itinéraire touristique qui traverse la Wallonie de Wavre à Givay, en passant par Namur. « Nous avons pris exemple sur la Route Napoléon développée par la Région wallonne », explique Josette Champt, directrice de la Maison du Tourisme des Ardennes brabançonnes. « Avec le même objectif, qui est de suivre le tracé napoléonien pour valoriser tous les éléments de patrimoine en lien avec la campagne de Belgique. » L’état du territoire et des voiries s’est bien évidemment radicalement transformé depuis 1815, sans pour autant être complètement méconnaissable. Les communes partenaires ont néanmoins tenu à élaborer un tracé le plus fidèle possible aux données historiques. La première partie de l’itinéraire reliant Wavre à Namur propose deux tracés correspondant aux deux colonnes qui ont, à l’époque, été déployées simultanément pour accélérer le retour. La première passant par Gembloux, l’autre par Grand-Leez. L’époque n’est plus aux attelages tirés par des chevaux faméliques cahotant sur des chemins de terre. La Route de l’Armée Grouchy s’est donc adaptée aux modes de déplacement modernes en proposant, sur toute sa longueur, un itinéraire voiture et un itinéraire « modes doux/voies lentes ». Il y a ceux qui préfèrent gagner plus rapidement les sites remarquables et ceux pour qui la promenade importe plus que la destination et préfèrent s’imprégner des paysages à vélo ou à pied. Le 15 avril marquera le début de la campagne 2015 avec des multiples manifestations ponctuelles à Wavre comme à Namur autour de lieux liés à la campagne napoléonnienne. Au-delà des commémorations du Bicentenaire, la Route sera pérennisée en proposant aux touristes baladeurs quelques heures de découvertes pour goûter au patrimoine et aux paysages, touchés mais pas figés par l’histoire.
À partir d’avril 2015 :
napoleon-grouchy-1815.com
AU PLUS PRÈS DE LA BATAILLE
« Quand je me balade à Ligny sur le terrain de la bataille, je sais où était positionné tel régiment, je sais d’où tiraient les batteries d’artillerie et quand je regarde vers le moulin Naveau, je peux presque voir Napoléon qui me regarde. » Enfant, Léon Bernard rêvait de devenir archéologue ou policier. Il est devenu policier et commissaire à la police judiciaire. À 35 ans, il a commencé une collection d’objets et souvenirs du passage de Napoléon en Belgique. Historien de terrain, comme il se revendique, il est devenu le spécialiste incontesté de la bataille de Ligny, dernière victoire de l’Empereur. Il connaît par coeur la topographie de ce champ de bataille, deux fois plus vaste que celui de Waterloo, qu’il a arpenté par tous les temps. Aujourd’hui, alors qu’il savoure une retraite bien méritée, il dispose de plus de temps pour se consacrer au petit musée privé où il expose une partie de ses trésors. Des boulets le long du mur, des caisses débordant de balles, d’éclats d’obus et de biscaïens exhumés du champ de bataille. Dans ses vitrines, les soldats de plomb côtoient les boutons, les épées, les pistolets, les fragments de pipe, les dés à coudre, ou cette lettre à l’écriture ampoulée adressée à Monsieur Février, notaire impérial à Sombreff e. « Ce qui m’intéresse, c’est comment les gens vivaient à l’époque et ce qui s’est passé dans ce petit coin de Belgique quand 160 000 soldats ont débarqué avec armes et canons. Comment voulezvous comprendre le présent si on ne connaît pas le passé ? »
Léon Bernard a édité à compte d’auteur une histoire de la bataille en cinq volumes et assure sur demande des visites sur les sites de Ligny et Fleurus.
Léon Bernard
+32 (0)476 73 67 12