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Par Stéphane Renard
Riche d’une histoire étroitement liée aux Princes de Ligne, le château se dresse en terre hennuyère depuis plus de six siècles. Un joyau somptueusement meublé, au coeur d’un magnifique jardin à la française. Alors, cour ou jardin ? Surtout ne pas choisir !
Né au XIVe siècle, il avait résisté à bien des secousses, dont la révolution française et la Seconde Guerre mondiale. Il faillit pourtant ne jamais connaître le XXe siècle. Le 14 décembre 1900, un incendie ravageait le château de Beloeil, l’un des plus beaux, sinon le plus beau des châteaux de Belgique. Celui que l’on surnomme parfois le Versailles belge ne pouvait cependant périr ainsi. Il fut reconstruit à l’identique, d’après les plans d’origine, entre 1901 et 1906. « Mais le plus formidable, c’est que tout son contenu put être sauvé, se réjouit Isabelle Cachoire, en charge des visites touristiques du domaine. C’était jour de marché. Toute la population a accouru pour aider le personnel à évacuer tout ce qui pouvait l’être. C’est ainsi que la précieuse bibliothèque et ses 20 000 livres furent sauvés par les femmes, qui les emportèrent dans leurs longues jupes ! »
Des anecdotes, mais aussi des hauts faits, le domaine de Beloeil en a vu au cours de sa longue histoire, indissociable de celle de la famille de Ligne, à laquelle il appartient depuis le XVe siècle et qui l’occupe toujours aujourd’hui. La Maison de Ligne est en effet l’une des plus anciennes et des plus prestigieuses familles nobles du pays. Elle trouve son origine au XIe, dans ce qui est alors le vaste comté du Hainaut. Les seigneurs de Ligne tirent leur nom d’un petit village situé à quelques lieues d’Ath. Des racines hennuyères qu’ils n’ont jamais reniées au cours des siècles, et quels que soient ceux qu’ils servirent : comtes de Hainaut, rois de France, ducs de Bourgogne, empereurs d’Autriche, rois d’Espagne et …rois des Belges.
Les meilleurs ébénistes
Le château de Beloeil n’a évidemment pas toujours été ce magnifique ensemble de facture classique. Comme toute place forte digne de ce nom, il commença par être une forteresse médiévale : les tours actuelles et les douves rappellent ce passé austère. Modifié au fil des siècles, il allait devenir cet authentique château de plaisance, au coeur d’un remarquable jardin à la française de 25 hectares.
Dès le début de la visite, qui commence par le vestibule et le grand escalier d’honneur, le charme opère. Franchir la porte de Beloeil, c’est plonger dans un autre monde, celui d’un passé prestigieux dont on aurait miraculeusement préservé l’esprit. « Ce qui impressionne le plus les visiteurs, confie Isabelle, c’est la qualité et l’importance de la décoration. Le château est entièrement meublé. On peut y admirer tout particulièrement le travail des meilleurs ébénistes des XVII e et XVIII e siècles. » Et notamment une table Régence signée par Boulle, qui a pu être restaurée grâce à des dons privés. Aux murs, d’immenses tableaux écrivent autant l’histoire des lieux que la longue généalogie de la famille.
La succession des salles et des appartements n’a rien d’un banal Cluedo. Ici, les pièces évoquent des noms qui rappellent leurs fonctions originales : la salle des Maréchaux, la salle des Ambassadeurs… Et si la salle à manger n’a pas hérité d’une appellation plus glorieuse, retenez qu’elle peut malgré tout accueillir une quarantaine de convives autour de sa longue table en acajou. Convives qui dînent face à l’enlèvement d’Hélène de Troie, reproduite sur une immense tapisserie des Gobelins…
L’important, c’est le rose
À l’étage, le palier est un lieu d’arrêt obligé pour savourer le point de vue. C’est de là que les jardins prennent leurs plus beaux reliefs. Les chambres, toutes richement meublées, rappellent par leur nom – la chambre d’Amblise, la chambre d’Epinoy… – les titres nobiliaires de la famille de Ligne. La pièce la plus surprenante reste l’appartement du Feld-Maréchal Charles-Joseph, dont la couleur rose a pris largement possession. Oui, le rose ! « C’était sa couleur préférée, sourit Isabelle. Cette couleur, disait-il, le mettait de bonne humeur. » Mais le WAW d’admiration se produit toujours au même endroit, en redescendant du premier étage, lorsque l’on entre dans la bibliothèque. « J’avoue, confesse Isabelle, que je passe toujours en tête. Cela me permet de savourer les expressions des visiteurs lorsqu’ils découvrent ces rayonnages chargés de livres précieux. Ils sont abasourdis. » Et pour cause ! Les 20 000 volumes sauvés des flammes dans les conditions que l’on sait forment de somptueux alignements de reliures originales, serrées dans des boiseries anciennes. Atmosphère garantie ! Créée à l’origine par le deuxième prince de Ligne, Albert-Henri (1609-1641), qui était de santé assez fragile, la bibliothèque s’est enrichie au fil des siècles. On y trouve des pièces rarissimes, telles que le Liber passionis aux armes d’Henri VII d’Angleterre, ainsi que toute une collection d’atlas rachetée par le feld-maréchal Charles-Joseph, encore lui, à Charles de Lorraine, gouverneur des Pays-Bas. Et ami personnel.
Une histoire de princes
Impossible en effet de parler de Beloeil sans évoquer quelques-uns de ses plus célèbres occupants, dont justement Charles-Joseph (1735-1814), 7e Prince de Ligne. Diplomate de haut vol, il fréquenta les cours d’Europe, où il côtoya l’Impératrice Catherine II de Russie, Marie-Antoinette, Joseph II d’Autriche, Marie-Thérèse d’Autriche… Mais on lui doit surtout des Mémoires, un legs littéraire que certains comparent, en qualité, à celles de Casanova, et qui l’imposa comme l’un des grands mémorialistes belges. Passionné par les livres, il les faisait relier… en rose. Plus proche de nous, le prince Eugène II (1893-1960), 11e Prince de Ligne, fut également diplomate. Lors de l’invasion allemande, il reprendra du service actif avant d’être démobilisé. Dès 1941, il organisera au château l’accueil d’enfants juifs, ce qui lui vaudra en 1975 la médaille des Justes décernée par Israël.
Le 13e Prince, Antoine (1925-2005), fut également une figure marquante. Ce passionné d’aviation (et de montgolfières), qui s’était engagé dans la RAF dès 1943, participera en 1958 à l’expédition Antarctique de Gaston de Gerlache. Il faillit d’ailleurs y laisser la vie. Revenu sur ses paisibles terres hennuyères, le Prince Antoine, soucieux de trouver les fonds nécessaires pour préserver l’immense domaine, sera l’un des artisans de l’ouverture du château au public. C’est à lui que l’on doit notamment l’exposition annuelle d’amaryllis, en mai, et les célèbres Musicales de Beloeil qui, chaque été, transforment ce petit coin de terre hennuyère en une incomparable scène à ciel ouvert, le temps d’une nuit toujours trop courte. ■
Le jardin de Beloeil, 25 hectares d’harmonie végétale
Paix, sérénité, rêverie… C’est un flot d’émotions un peu passées de mode qui nous submerge dès les premiers pas dans le jardin de Beloeil. Il a fallu beaucoup de temps, de patience et de persévérance pour que ces 25 hectares de nature, ébauchés au XVIIe siècle, prennent leur forme actuelle, autour d’une immense pièce d’eau. Aujourd’hui encore, une dizaine de jardiniers s’activent à conserver toute sa noblesse tranquille à ce havre de verdure. Modelé par plusieurs architectes successifs, dont François-Joseph Bélanger (1744-1818), le parc offre un dessin rigoureux. Le départ de la promenade entraîne un choix déchirant. Faut-il emprunter la tranquille et somptueuse allée du Doyen ? C’est en parcourant cette ligne droite de 600 m, dominée par des charmilles hautes de six mètres, que le Doyen de Beloeil aimait lire son bréviaire… Ou faut-il plutôt privilégier la voie parallèle et sa succession de pièces à ciel ouvert ? Ce sera notre choix.
Il s’ouvre sur une vaste cuvette engazonnée, le Boulingrin, où l’on jouait aux boules. Lui succède le jardin des roses, où furent introduites autrefois les premières roses Bengale, et le bassin des Poissons rouges, lieu idyllique qui connut bien des bals et de galants amusements aux XVII et XVIIIe siècles. Ah ! Si les reflets dans l’eau pouvaient raconter les petites histoires de la grande Histoire…
Quelques pas plus loin, le Bassin ovale, alimenté par sa propre source, rappelle une fois encore toute l’importance de l’eau dans cet environnement naturel. Nouvelle démonstration avec Les Miroirs, deux petits bassins rectangulaires nichés au pied de charmilles. Le Prince Antoine de Ligne fit patiemment remonter celles-ci pour respecter les règles édictées par Dezallier d’Argenville (1680- 1765), qui rédigea plus de 500 articles sur le jardinage et l’hydraulique pour l’Encyclopédie. Passage obligé, ensuite, par les Sources, qui alimentent certains bassins. Jetez dans la plus petite d’entre elles une pièce de monnaie et faites un voeu. Si des bulles apparaissent à la surface, c’est qu’il sera exaucé.
En quelques enjambées, nous voici désormais tout à l’opposé du château, à la tête du grand bassin que domine un groupe de sculptures réalisées au XVIIIe siècle par Adrien Henrion, disciple de Pigalle, et représentant Neptune, Eole et Aquillon. Avant de songer au retour, par l’autre rive, un coup d’oeil s’impose à l’Orangerie, superbe bâtiment de 1830, autrefois dédié aux plantes et reconverti en immeuble de réception. Pour achever le tour de la pièce d’eau centrale, deux voies s’ouvrent une fois encore à nous. Soit celle du Mail, longue allée bordée d’arbres, soit une nouvelle succession d’espaces tracés au cordeau, où le végétal et l’aquatique se donnent la réplique avec un constant souci d’équilibre. Avouons un faible pour le « Bassin des Dames », ainsi nommé parce que ces charmantes s’y baignèrent dès le XVIIIe siècle dans la « petite profondeur. » Ce bassin put être restauré en 1993, avec l’aide de la Région wallonne, dans le cadre de l’année européenne des Parcs et Jardins.
À proximité du château, le Bassin des glaces rappelle quant à lui que, jusqu’au début du XXe siècle, on y sciait la glace que l’on entreposait sous une butte pour la conserver jusqu’en été. Depuis, les temps ont bien changé. Mais pas les jardins de Beloeil, impassibles témoins des siècles qui avancent. ■
Renseignements
Domaine de Beloeil
Rue du Château, 11
B-7970 Beloeil
+32 (0)69 68 94 26
info@chateaudebeloeil.com
www.chateaudebeloeil.com
Visites
Ouvert week-ends et jours fériés en avril, mai, juin et septembre, de 13 à 18h.
Tous les jours en juillet et août, de 13h à 18h.
Pour les groupes de minimum 20 personnes (sur réservation), le Domaine est ouvert d’avril à octobre de 10h à 18h et la visite du château se fait avec un guide.